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L’enfant victime: une représentation de l’enfance
au travers de quelques sources
religieuses, judiciaires et hospitalières
Annie Saunier (Université des Antilles-Guyane)
Se préoccuper de l’enfant en qualité de victime à l’époque médiévale, en particulier
durant les deux derniers siècles de la période, voire au delà sous l’Ancien
Régime, peut être d’emblée considéré comme un véritable anachronisme intellectuel.
Si la proposition formulée il y a déjà plusieurs décennies de l’absence
d’un sentiment de l’enfance au moyen Age a été bien revue et battue en brèche
par les travaux de Flandrin1 et de D. Alexandre-Bidon2, passer de cette
reconnaissance de l’existence d’un amour pour l’enfant à une conception de la
«victimisation» éventuelle de ce même enfant peut apparaître comme un véritable
paradoxe. En effet le terme de «victima», emprunté au latin apparaît au XVI
ème siècle dans le Miroir Historial, selon le dictionnaire étymologique Larousse,
et seulement en 1495 pour le Robert. Autant dire que ce terme demeure
peu usité au cours du Moyen Age et uniquement pour signifier créature vivante
offerte en sacrifice aux Dieux. Selon le Robert ce n’est qu’en 1617 que le terme
sous sa forme française prend l’acception que nous lui connaissons aujourd’hui
de «personne qui subit la haine, les tourments, les injures de quelqu’un», puis
par extension de la maladie ou de tout autre problème.
Nous allons tenter ici de présenter diverses sources dans lesquelles il est
loisible d’identifier, de notre point de vue contemporain, l’existence d’enfants
victimes, puis de tracer un portrait de ces enfants, – âges, sexes, conditions sociales
–, des conditions et violences dont ils souffrent et des attitudes des responsables
et pouvoirs à leur égard. Nous nous efforcerons ensuite de tenter
d’analyser la pertinence d’une idée de «victimisation» de ces enfants et de cerner
les circonstances qui en favorisent l’émergence dans la pensée des contemporains,
même si la terminologie adaptée fait ici encore défaut.
1 J. L. Flandrin, Familles, parenté, maison, sexualité dans l’ancienne société, Paris: le Seuil
1984).
2 D. Alexandre-Bidon et M. Closson, L’Enfant à l’ombre des cathédrales, Lyon: P.U. Lyon,
CNRS, 1985.
7
Quelles sources permettent d’appréhender des enfants victimes?
Un des premiers grands types de sources qui peut fournir une matière relativement
importante sont les écrits d’origine religieuse, recueils de miracles et récits
hagiographiques, modèles de prédication ou exempla, bien évidemment à manipuler
avec précautions critiques essentielles. Les accidents survenus à des enfants,
les interventions miraculeuses intervenues en leur faveur fournissent une
base d’étude intéressante. Nous ne citerons ici pour mémoire, et pour leur valeur
exemplaire, que les travaux de P.A. Sigal.3 L’existence ou l’identification
d’enfants considérés comme des martyrs, depuis le modèle évangélique des
Saints Innocents4 jusqu’à la figure de Saint William de Norwich, proposée par
Thomas de Montmouth dans «La vie et la passion de Saint William, martyr de
Norwich»5. Les récits de miracles concernant des sanctuaires particuliers conservent
des trames identiques sur la longue période, ce qui nous permet de prendre
à titre d’exemple, pour ne pas réutiliser des documents plus connus et déjà exploités,
le cahier des miracles de saint Quirin, dressé en Bretagne entre 1671 et
1770, lequel présente sur un total de 82 attestations de miracles, les cas de 18
enfants.6
Un second type de sources émane des archives judiciaires. Nous y plaçons
tout d’abord les lettres de rémissions.7 Nous avons relevé un petit nombre
d’exemples dans les actes émis sous la minorité de Charles VI.8 Nous pouvons
3 P. A. Sigal, L’homme et le miracle dans la France médiévale, XI-XIIe s. Paris: éd. du CERF,
1985.
4 Récit des Saints Innocents, Matthieu, 2, 16-18, et Jacques de Voragine, La légende dorée,
traduction de J-B. M. Roze, Garnier Flammarion, 2 tomes, 1967, tome 1, p. 88-92.
5 Nous nous appuyons ici sur l’article, de G. I. Langmuir, «Thomas of Montmouth, Detector
of ritual murder», dans Speculum, 59, 1984, p. 820-846. Voir aussi A. Jessop et D. James,
The life and miracles of St William of Norwich by Thomas of Monmouth, Cambridge, 1896.
6 D. Carré, Cahier municipaux du Bulletin municipal du Brec’h, s. d..
7 Rappel de procédure: la lettre de rémission est accordée, à une personne qui risque une sanction
judiciaire, et se trouve soit emprisonnée, soit en fuite, sur sa demande expresse ou celle
de parents ou amis. Elle est généralement concédée quand les faits ne sont pas considérés
comme trop graves, que le bénéficiaire n’est pas récidiviste, contre espèces qui profitent au
Trésor royal. La rédaction de la lettre fournit l’essentiel des faits reprochés dans une version
à la fois précise et destinée à dégager au mieux la responsabilité de l’accusé, et donc à
l’excuser. Elle lui permet, contre une contribution financière et parfois une obligation morale
et religieuse, du type pèlerinage judiciaire obligatoire, d’être élargi, si elle se trouve
emprisonnée, d’être rétablie dans ses droits et dans sa réputation (fame et renommée), et
dégagée de toute poursuite ultérieure au criminel, sauf éventuellement au civil, si la
« victime » réclame une compensation.
8 Archives Nationales de France, Paris, Série JJ:
JJ 118, pièce; Martine Coquelette, infanticide.
JJ 121, pièce172, f° 93 v°, septembre 1382 ; Annette de Boussens, infanticide consécutif à
un inceste.
JJ 121, pièce 268, f° 156 v°, 7 septembre 1382 ; Jehanne la Caballe, infanticide.
JJ 126, pièce 114, f° 71 v°, février 1384 ; tentative de viol sur une fillette.
JJ 129, pièce 72, f° 41 v°, 7 juillet 1386 ; enfant tué par une flèche perdue.
8
aussi recourir aux actes judiciaires accomplis ou à des actes professionnels.
Ainsi nous avons connaissance d’une sentence du Châtelet de Paris prononcée à
l’encontre d’un maître orfèvre coupable de sévices contre son apprenti.9
Un troisième type de sources présente également quelques ouvertures sur
le sort des enfants: les documents hospitaliers. Si les fondations d’établissements
spécialisés dans l’accueil des enfants sont relativement tardives en France,10 certains
textes liés à ces fondations – créations reflètent un intérêt pour le sort des
enfants délaissés par leurs familles, abandonnés ou orphelins, particulièrement
nombreux en période de crise générale, et surtout de mouvements militaires qui
jettent de nombreuses personnes sur les routes et désorganisent les liens familiaux
et sociaux habituels.11 Certaines comptabilités hospitalières font également
état des frais d’accueil et d’entretien des enfants orphelins ou abandonnés.12
Enfin, un dernier type de sources évoque parfois le sort difficile et malheureux
des enfants : les chroniques,13 journaux14 et récits personnels et fami-
JJ 130, pièce 70, f° 39 r°, février 1386 (a.s.) ; une fausse couche en pleine rue.
JJ 132, pièce 113, f° 63 r°, janvier 1387 (a.s.) ; tentative de viol sur une fillette.
JJ 133, pièce 60, f° 28 r°, juillet 1388 ; un enfant mort-né, suspicion d’infanticide.
9 Acte publié par G. Fagniez, Documents relatifs à l’histoire de l’industrie, T. II, 1900, pièce
73, p 170.
10 Cf. A. Saunier, «De l’enfant à l’hôpital à l’hôpital pour enfants. Tentative d’analyse de
l’élaboration d’une adaptation spécifique de l’hospitalisation pour l’enfant au tournant des
XVe et XVIe siècles», dans Annales de démographie historique, 1994, p 293 –302.
11 C’est le cas des circonstances de la fondation du Saint-Esprit à Paris en 1363, reprise dans
une sentence des Requêtes du Palais de 31 mars 1396 qui rappelle: «l’an mil CCC LX, LXI
et LXII, furent ou royaume de France grans guerres, famines et mortaliez par quoy pluseurs
hommes, femmes et enfans laissèrent leur païs pour quérir leurs vivres et autres nécessitez
et que de telles povres gens en vinrent à Paris très grant nombre et quantité et pare
espécial pluseurs enfans qui quéroient leur pain par jour de huys en huys et de nuit ne
trouvoient où gésir par quoy et par espécial les filles estoient en grant péril queles ne feussent
mises à péchié et pour cette cause, par la délibération des bons Bourgeois, manans et
habitans de la ville de Paris, et en grant pitié et compassion de ce qui dit est, iceulx bourgeois
se trahirent par devans M. l’Evêque de Paris et par son autorité ordinaire édiffièrent
et construirent le dit hospital en la dicte place de Sct-Jehan pour y recevoir et couchier les
diz povres», A.A.P. de Paris, fonds Saint-Esprit II, pièce 27 (1), transcription de L. Brièle, p
43 à 56, extrait cité p. 49-50. Nous avons introduit l’accentuation pour plus de facilité de
lecture.
12 Voir à ce sujet A. Saunier, Le pauvre malade dans le cadre hospitalier médiéval, France du
nord, vers 1300-1500, Paris : ed. Arguments, 1999, P. sv et «La clientèle» de Saint-Thomas
d’Argentan entre 1450 et 1520: malades, «gésineresses» et «jettés», dans Marguerite de
Lorraine et son temps, 1463-1521, Bulletin spécial de la Société Historique et Archéologique
de l’Orne, 1989, pp.133-159.
13 Froissart évoque les massacres d’enfants dans le cadre de la jacquerie et de sa répression…
livre 1, chapitres 65 et 66, dans «Historiens et chroniqueurs du moyen Age», Pléiades,
NRF, 1979.
14 Le journal d’un bourgeois de Paris à la fin de la guerre de cent ans signale des « petits
enfants » victimes des loups, de la famine et du froid, des brigands… et des fausses couches
consécutives au tac ou horion…Voir l’édition de C. Beaune, dans collection Lettres gothiques,
Paris: Le Livre de Poche, 1990.
9
liaux, tels les livres de raison15 ou les gestes en mémoire d’un personnage
important.16 La figure de certains personnages historiques témoigne aussi des
risques encourus par des enfants à la valeur symbolique, parfois bien indépendante
de leur volonté, et qui les conduit à une mort programmée certaine.17
Ainsi de nombreuses et diverses sources, dont le recensement précis présenterait
un intérêt certain, témoignent des mésaventures plus ou moins violentes
subies par des enfants, de la naissance jusqu’à l’adolescence, tant du fait des
circonstances générales politiques, militaires, économiques et sanitaires, que du
fait même des adultes, qu’il s’agisse de simple irresponsabilité ou incapacités à
les protéger ou de véritables actes délictuels. Il reste à savoir si la notion de victime
est ressentie ou éprouvée par leurs contemporains, et cela même si
l’appareil terminologique et lexical n’existe pas encore, tant sur la plan privé,
que sur celui de certaines institutions qui interviennent pour aider ou prendre en
charge ou juger » certains coupables.
Accidents concernent les enfants
Les enfants que nous considérons donc entre la naissance et les premiers temps
de la puberté, avant l’âge communément admis pour un mariage consommé,
peuvent subir divers accidents et atteintes touchant leur intégrité physique ou
psychique, les mettant de manière plus ou moins intense en situation de danger
et pouvant entraîner parfois blessures, mutilations, voire décès. Or nous ne pouvons
approcher et estimer ce danger qu’au travers des déclarations des adultes
qu’ils soient concernés par le sort de ces enfants de manière directe et affective:
parents, tuteurs, éventuellement maîtres ou indirecte et professionnelle: autorités
religieuses, hospitalières et judiciaires essentiellement.
Certaines de ces atteintes concernant les enfants apparaissent comme
n’impliquant que la malchance, le hasard ou encore ne font référence qu’à une
implication passive de l’entourage et des responsables tel un défaut de surveillance,
une inattention passagère. Dans ce premier ensemble, très vraisemblablement
à la fois le plus vaste et le moins bien répertorié, car considéré comme
quasiment normal et donc banalisé, nous placerons les maladies enfantines
comme épidémiques, les problèmes de malnutrition et de sevrage, les accidents
de la vie quotidienne, liés au feu, à l’eau, aux chutes diverses et aux animaux
domestiques ou sauvages. Ce sont souvent les recueils de miracles et les livres
de raisons qui nous éclairent sur ces catégories de jeunes victimes. Les sanctuai-
15 Signalons Le livre des naissances de Jean Jouvenel des Ursins, voir L. Battifol, Jean
Jouvenel, prévôt des marchands de la ville de Paris, (1360 – 1431), Paris, 1894, p. 317-
324; et rappelons ici l’importance des livres de raison en Italie, par exemple.
16 Je pense ici au récit concernant Guillaume le Maréchal, dans lequel se trouve évoqué sa
situation d’otage menacé dans sa vie durant son jeune âge. G. Duby, Guillaume le Maréchal
ou le meilleur chevalier du monde, coll. Folio histoire, Fayard, 1986.
17 Ici, évoquons les célèbres «enfants d’Edouard IV» les jeunes Edouard V (1470-1483) et son
frère puîné Richard, emprisonnés et assassinés sur ordre de leur oncle en 1483.
10
res de répit, comme les grands centres de guérison et de pèlerinages peuvent set
trouver tout autant, relativement sollicités. Et sur ce plan les formes de remerciements
et les indications données restent brèves et ne semblent guère évoluer
dans la longue durée. Aux informations apportées par les études de P.A. Sigal,18
bien connues et accessibles, nous apporterons ici en sus celles fournies bien plus
tard, certes, par le sanctuaire de Saint – Quirin en Bretagne, pour la période
1670 – 1770.19 Sur 82 miracles, 18 concernent des enfants guéris suite à un voeu
émis par un parent proche, souvent la mère. Pour 17 de ces enfants le sexe est
connu, et la grosse majorité (14 contre 3) concerne des garçons. Quand l’âge est
indiqué, il s’échelonne entre la naissance et huit ans, l’une des victimes étant
même un foetus puisqu’en fait c’est la mère, enceinte de 6mois qui est touchée,
et elle survit avec son enfant. Les pathologies évoquées sont des fièvres ou des
problèmes moteurs ou sensitifs (marche impossible ou retardée, douleurs articulaires,
surdité, perte de la parole ou perte totale ou partielle de la vue) Pour
certains, il s’agit parfois de la conséquence d’un accident, lié au jeu ou à la circulation,
mais bien souvent aucune origine du mal n’est donnée.20
La simple misère, encourageant à l’abandon, forme un autre type
d’atteinte touchant fortement les enfants. Les comptabilités hospitalières de
Sainte-Croix d’Orléans21 ou de l’hôpital Saint-Thomas d’Argentan22 nous montrent
l’accueil, la prise en charge, parfois sur de nombreuses années, jusqu’au
mariage pour certaines filles, jusqu’à l’apprentissage pour les garçons de ces
«jettés». La responsabilité de la mère se voit parfois mise en cause, et des recherches
sont enclenchées afin de parvenir à faire reprendre l’enfant par un des
géniteurs ou un proche, avec des succès plutôt rares semble-t-il, et dont rien ne
permet de connaître le devenir. La confrérie constituée en 1363 par un groupe de
clercs et bourgeois de Paris pour y faire édifier l’hôpital du Saint-Esprit23 évoque
la présence de troupes d’enfants errants, déplacés dirions nous plus pudiquement
aujourd’hui, dépourvus d’encadrement familial et spirituel, sans ressource
ni lieux d’hébergement, contraints de vivre au mieux de la charité publique
et sans doute au pire de larcins divers. Les fondateurs soulèvent le problème
du danger moral auquel sont exposés ces enfants, et particulièrement du danger
de débauche, de viol ou de prostitution auquel se trouvent exposées les filles.
Les violences physiques provoquées délibérément par des adultes constituent
un second niveau de souffrances auxquelles se trouvent exposés les en-
18 P.A.Sigal, L’homme et le miracle dans la France médiévale, XI- XIIe s. Paris: éd. du CERF,
1985.
19 D. Carré, «Le cahier des miracles de Saint Quirin», Cahier municipaux du Bulletin municipal
du Brec’h, s. d.
20 Voir tableau donné en annexe.
21 A.Saunier, Le pauvre malade dans le cadre hospitalier médiéval, France du nord, vers
1300-1500, Paris: éd. Arguments 1999.
22 A.Saunier, «La clientèle de Saint-Thomas d’Argentan entre 1450 et 1520: malades,
«gésineresses» et «jettés»», dans Marguerite de Lorraine et son temps, 1463–1521, Bulletin
spécial de la Société Historique et Archéologique de l’Orne, 1989, 133-159.
23 Voir note 11, ci –dessus.
11
fants. Certaines, sans doute les plus fréquentes, mais malheureusement pour
nous les moins signalées par les documents, concernent des brutalités inhérentes
aux méthodes de formation ou d’éducation, considérées alors comme normales.
La férule du maître d’école suppose déjà un certain degré de violence, qui reste
dans des normes habituelles alors.24 Mais quand un apprenti orfèvre de trouve
frappé jusqu’au sang avec le trousseau de clefs de son maître, la justice intervient
et autorise la rupture du contrat d’apprentissage, marquant ainsi qu’il y a
bien eut abus de la part du maître irascible.25 Dans le milieu de la chevalerie, la
violence n’est pas moins présente. Le narrateur de la vie de Guillaume le Maréchal
relate, bien a posteriori, les mésaventures du jeune Guillaume considéré
comme un otage dans un conflit qui le dépasse évidemment.26 L’optique est
destinée d’une part à témoigner de son engagement précoce dans des conflits
militaire et politique, et de ses contacts avec le pouvoir souverain, et d’autre part
de son courage ou peut-être plutôt de son inconscience juvénile devant diverses
mises en scène morbide de sa propre mort, destinée à faire fléchir son père qui
se trouve alors dans le camp opposé à celui du roi Etienne. Toujours est-il que ce
jeune garçon, même s’il semble sous la plume de l’écrivain jouir d’un moral
particulièrement trempé face aux épreuves qui lui sont imposées, témoigne, a
contrario, des dangers réels auxquels peuvent se trouver confrontés les jeunes
nobles et aussi sans doute tous les enfants dans le cadre des conflits militaires.
D’ailleurs, même hors des épisodes militaires, l’entraînement lui-même peut être
dangereux, voire mortel, comme le révèle une lettre de rémission accordée à un
archer qui en court d’exercice tire une flèche trop haut, laquelle vient frapper un
enfant au maillot dans les bras de sa mère, et entraîne, quelques temps plus tard,
en dépit de soins rapidement prodigués, son décès.27
Une autre forme d’agression envers les enfants consiste en des atteintes
sexuelles. Des cas de viols, qui rappelons- le, semblent assez fréquents de la part
des jeunes en «groupes» : étudiants, jeunes nobles écuyers ou chevaliers encore
non mariés, à l’encontre des jeunes femmes célibataires, de veuves et bien évidemment
de prostituées,28 existent aussi vis à vis d’enfant, sur un plan plus
individuel et isolé. Les trois fillettes concernées, pour lesquelles nous avons des
éléments textuels, sont au seuil de la puberté, vers 10 ans pour deux, 16 pour
24 Pensons ici aux relations parfois tendues, et à nos yeux emplies de violence, entre le jeune
Guibert de Nogent et son précepteur particulier dans son récit biographique…
25 Texte publié par G.Fagniez, Documents relatifs à l’histoire de l’industrie, T. II ; texte 73, p.
170, 1399, 30 août, sentence du Châtelet de Paris rendue à la suite de sévices sur un apprenti.
26 G.Duby, Guillaume le Maréchal ou le meilleur chevalier du monde, coll. Folio histoire,
Fayard, 1986, anecdotes relatées p. sv .
27A.N. de Fr., JJ 129, pièce 72, f° 41 v°, 7 juillet 1386; enfant tué par une flèche perdue.
28 Cf. l’ensemble des travaux de G. Duby portant sur la sexualité, les précisions de F.Ganshof
sur la violence chevaleresque ainsi que les recherches de Mme P. L’Hermitte-Leclerc sur la
réclusion qui inclut dans la thématique des raisons du choix de la recluse le désir
d’échapper aux dangers de viols ou de trop grande proximité sexuelle.
12
l’autre. Les trois lettres de rémission 29 présentent une configuration très proche.
Les enfants semblent physiquement déjà relativement formées. L’une est qualifiée
de «belle» par l’auteur du viol, une autre qui n’est peut-être pas véritablement
violée, mais subornée, enfante. Deux des trois fillettes sont attaquées lors
d’une rencontre fortuite et courte pendant laquelle le jeune homme qui commet
le forfait s’enflamme de désir. La troisième est engrossée par son propre frère,
convié par les parents à dormir dans la même chambre que sa soeur, mais dans
un lit différent précise le texte, afin de la garder. Il semble que cet inceste, commis
à l’insu des parents, soit plutôt le fait d’un abus de puissance du jeune ( ?)
homme qu’un véritable viol, et d’ailleurs la lettre de rémission est accordée à la
jeune fille accusée de l’infanticide sur son bébé et ne met pas plus que cela en
cause le frère incestueux. Ces trois exemples de fillettes ou jeunes filles témoignent
pour l’existence d’agressions sexuelles, plus ou moins menées à bien,
mais qui ne les affectent pas moins tant au physique –violence, défloration,
grossesse parfois- qu’au psychisme, sans parler ensuite des suites en justice et de
la visite d’expertise menée par es matrones. Même si deux des fillettes, les plus
jeunes, manifestent une résistance qui leur évite d’être «corrompues», elles ne
sortent certainement pas véritablement indemnes de cette aventure.
Enfin le dernier type d’agression envers les enfants que nous retiendrons
est l’infanticide, perpétré surtout envers de très jeunes enfants. Rappelons déjà
que les cas de fausse couche et d’accouchements prématurés d’un enfant mortné
sont fréquemment considérés comme des infanticides de la part des autorités
religieuses et judiciaires, ce qui entraîne quelques femmes victimes de cette mésaventure
à solliciter une lettre de rémission. Nous présenterons ici deux de ces
cas. Le samedi d’avant la Chandeleur 1346 (as), Jehanne Fontquinne, épouse de
Matthieu de Roussoy, se rend à Montreuil sur Mer, rue des «marches», «chargé
d’un boissel de pois». Elle se trouve soudain saisie de «maladie qui naturellement
advient a femmes, tellement que elle se meist a terre et la se delivra d’un
enfant quil n’avoit que xl jours ou deux mois». Ne se sachant pas enceinte, elle
ne pense pas qu’il s’agit d’une fausse couche, ne vérifie pas ce qu’elle a rejeté
dans un flot de sang, et reprend ses activités. C’est la justice de la ville, après
ramassage sur la voie publique du foetus, qui intente une poursuite. Elle se met
alors en asile d’Eglise, se confesse en donnant son point de vue, et indiquant son
ignorance de cette grossesse. Elle obtient donc, ainsi que son époux, lui aussi
compromis dans l’affaire, une lettre de rémission attestant sa bonne vie et renommée.
30 Cet avortement naturel précoce, à moins de deux mois de grossesse,
pouvait être considéré comme un infanticide ou le résultat d’une manoeuvre
abortive. Jehanne se garantit de toute poursuite en arguant de son ignorance sur
son état. Pas de victime enfantine donc ici, mais un simple aléa naturel dont
l’accomplissement en un lieu public milite pour faciliter l’acceptation d’une ré-
29A. N. de Fr. JJ 121, pièce 172, f° 93 v°, septembre 1382 ; infanticide consécutif à un inceste.
JJ 126, pièce 114, f° 71 v°, février 1384 ; tentative de viol sur une fillette.
JJ 132, pièce 113, f° 63 r°, janvier 1387 (a.s.) ; tentative de viol sur une fillette.
30A. N. de Fr. JJ. 130, pièce 70, f° 39 r°, février 1386 as.
13
alité triste, mais sans intention criminelle de la part du couple. La situation
d’Agnès, fille de Lorens de Trouillart apparaît quelque peu différente.31 Agée de
18 ans environs, cette jeune femme a un ami dont elle ne livre pas le nom. Elle
se retrouve enceinte, et à environ deux mois de son terme, elle fait une chute qui
entraîne le mardi suivant après Pâques qu’«elle enfanta d’un enfant mort né».
Son premier geste, dit-elle, fut de le porter près du feu, geste qu’il faut interpréter
dans ce contexte comme un soin maternel envers le bébé, afin de le réchauffer.
C’est alors qu’elle s’aperçoit qu’il est mort. La honte l’emportant alors:
«pour la honte et regart du monde connu et aussi pour temptation de l’ennemy»,
elle porte le petit corps en une vieille masure abandonnée. Puis elle presse sa
mère de l’accompagner en pèlerinage à Saint-Germain de Sugenty. Pour elle il
s’agit bien sur d’un pèlerinage expiatoire. Durant son absence, son père entend
des rumeurs émanant de certaines voisines, bien intentionnées dirions-nous. Il
l’interroge à son retour et obtient son aveu. Cette fois, il n’y a pas de véritable
infanticide, mais plutôt le camouflage d’un enfant mort né illégitime, par une
jeune fille enceinte hors mariage et soucieuse d’échapper au déshonneur et à la
colère de ses parents. Son pèlerinage volontaire plaide pour sa moralité, alors
que son premier geste maternel de soin est destiné à exclure de l’esprit du législateur
l’accusation d’infanticide. Seule la sépulture clandestine peut être retenue
à son égard. Aucune sanction n’est donc retenue à son encontre et elle bénéficie
de sa rémission. Ici encore, point de véritable victime enfantine, mais simplement
un des nombreux cas de mort périnatale attesté aussi dans les livres de raison.
32 Le cas de Martine Coquelette paraît plus litigieux.33 Cette jeune servante
enceinte accouche clandestinement, au terme d’une grossesse celée, en l’hôtel de
ses employeurs. Elle cache le bébé, né viable, sous «une basse» au cellier, escomptant
après le départ de sa maîtresse pour la messe le reprendre et le porter à
l’hôtel-Dieu.34 Quand elle le récupère, elle l’ondoie mais le bébé meurt sans
doute faute de soins plus rapides. Dans la lettre de rémission qu’elle obtient, le
récit insiste sur sa volonté de laisser vivre l’enfant, en l’abandonnant certes,
mais en lui appliquant l’ondoiement, et en insistant de manière indirecte sur sa
situation de service, donc de dépendance qui ne l’autorise pas à conserver son
enfant. Il ne s’agit pas moins d’un infanticide, même s’il n’est pas intentionnel,
et seules sa jeunesse et sa condition permettent, avec le soutien d’amis charnels
(parents, maîtres peut-être) d’être restituée «à sa bonne vie et renommée». Jehanne,
fille de Jehannon la Caballe, non mariée, âgée d’environ 20 ans, enceinte
d’un jeune célibataire de sa bourgade, accouche seule et jette l’enfant en une
31 A. N. de Fr. JJ 133, pièce 60, f° 28 v°, juillet 1388.
32 Le livre des naissances de Jean Jouvenel des Ursins signale sur 16 naissances, 2 morts
d’enfants à moins de 15 jours de l’accouchement. Voir note 15.
33 A. N.de Fr. JJ. 118, pièce 80, 3 avril 1449.
34 «Le dit enfans tous vif mist incontinent après ledit enfantement soubz une basse ou celier de
l’ostel et au dessoubz celui hostel, enveloppé et le baptisa selon son ignorance en entencion
que après que sa maistresse auroit vuidé l’ostel et seroit alée à la messe qu’elle reprendroit
ledit enfans pour le porter secrettement à l’ostel Dieu.»
14
«chambre aisée», «pour eschever l’esclandre du peuple doubtant aussi encourre
le courroux et indignation de son père».35 Elle affirme avoir ensuite récupéré le
bébé, l’avoir baptisé, – certainement faut-il plutôt comprendre ondoyé –, et
l’avoir gardé en vie environ deux mois. Elle craint l’accusation d’infanticide
même si elle invoque la survie du bébé sur deux mois après le premier traitement
qu’elle lui a imposé, et pour lequel il y a peut être des témoins, car sinon
pourquoi s’accuserait-elle ? Aussi sollicite-t-elle cette fameuse lettre qui nous
montre ici, à la fois la détresse initiale d’une jeune mère célibataire, la conduisant
à un geste pouvant devenir irréparable, son remord, et la liaison facilement
établie entre décès périnatal et risque d’infanticide. Notre dernier exemple
concerne Annette de Boussens, âgée de 16 ans environ.36 Abusée par son frère,
au domicile familial, elle parvient à camoufler sa grossesse jusqu’à son terme,
accouche seule et sans témoin d’une petite fille qu’elle jette par une ouverture
dans un jardin voisin. Le petit cadavre est découvert quelques jours plus tard.
Cette fois, aucun élément n’indique un quelconque geste maternel : ni habillage,
ni soin, pas même un ondoiement. Il semble y avoir bien là volonté meurtrière,
mais ce qui permet à cette trop jeune mère d’obtenir sa rémission est «la jeunesse,
ignorance et simplese de la dite Annette» dont la mésaventure familiale
relève finalement non d’un défaut de garde mais plutôt d’un sordide abus de
confiance de la part d’un frère dont nous ne connaissons ni l’âge ni le devenir.
Dans ces divers cas d’infanticides réels et volontaires ou d’incidents
consécutifs à des grosses clandestines, la responsabilité est imputée à la mère,
toujours jeune, entre 16 et 20 ans, primipare, ce qui justifie son ignorance des
soins à donner, non marié et donc dépendante économiquement d’un père ou
d’un employeur. Elles sont assez souvent considérées comme « ignorantes » de
leur état et des suites à donner, même si souvent la grossesse ne provient ni d’un
viol, ni même d’une «surprise». Si les bébés deviennent bien évidemment les
victimes désignées de ces situations de misères physiques ou morales, d’isolement
et de défaut d’encadrement ou de sur encadrement maladroit voire violent,
les jeunes femmes elles-mêmes nous apparaissent également comme des victimes
d’une certaine rigueur morale, de précautions inadaptées, et peut-être aussi
d’un refus de laisser s’exprimer une sexualité adolescente. Mais les autorités et
les parents considèrent-ils alors bébés et mères comme des victimes? Le vocabulaire
ne le traduit pas, certes. Cependant, la remise des lettres de rémission
aux jeunes femmes témoigne pour une relative indulgence à leur égard, qui fait
état de leur condition difficile. C’est peut-être le premier temps d’une notion de
« victimisation » des jeunes femmes, et les regards des voisins, parents et autorités
qui réprouvent les infanticides au delà de l’interdit biblique, tient aussi
compte de l’innocence meurtrie des bébés.
Plus grave encore que l’infanticide commis aux premiers temps de la naissance,
le meurtre ou l’assassinat d’enfants plus âgés, du sevrage à la puberté,
35 A. N. de Fr. JJ. 121, pièce 268, f° 156 v°, 7 décembre 1382.
36 A. N. de Fr. JJ. 121, pièce 172, f°93 v°, septembre 1382.
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retiennent l’attention des contemporains. Nous connaissons les morts d’enfants
soumis à des rites de guérison magique tels ceux dénoncés par Etienne de Bourbon
autour du culte de Saint Guignefort.37 Pratiqué dans les Dombes, régions
propices aux fièvres récurrentes, ce rituel associe des réminiscences païennes
(croyances aux esprits des bois, aux enfants «changelins») et des espoirs de guérisons
des enfants malingres par de passage entre deux arbres entre deux femmes,
la mère et la «prêtresse» ou «sorcière», suivi d’une exposition nocturne, et
d’immersion dans une rivière. Bien évidemment beaucoup de ces jeunes enfants
décèdent au cours du rite, d’une part parce qu’ils sont de constitution faible et
manquent de soins durant plusieurs heures, d’autre part parce que des accidents
de manutention, le froid, le feu qui prend à la petite paillasse entouré de cierges
sur laquelle ils sont exposés la nuit, les loups et autres carnassiers, enfin la
noyade les guettent au long de cette opération du dernier espoir. Le rite est placé
sous l’invocation d’un saint local Guinefort. Etienne de Bourbon enquêtant à la
suite de la dénonciation par quelques mères à l’esprit plus critique de d’autres
sur ces curieuses cérémonies établit que Guignefort est en fait un lévrier légendaire,
qui aurait défendu la vie de l’enfant au berceau de son maître, et à qui la
pensée magique a confié désormais la protection des enfants. Il dénonce à la fois
les aspects païens du rituel, condamne ce culte, interdit sa pratique et fait éradiquer
le bois où le cérémonial avait lieu et boucher le puits servant de tombe légendaire
à Guinefort. Il est intéressant de constater que les diverses phases du
rite regroupent la grande quantité des périls domestiques auxquels les enfants se
voient communément exposés, sans doute affin de les repousser symboliquement.
Il n’en demeure pas moins que ce rite est dangereux pour les enfants, et
Etienne de Bourbon n’hésite pas à dénoncer les mères qui le pratiquent comme
infanticides.
Un second exemple de meurtre d’enfant nous est fourni par le récit de
l’assassinat du jeune William de Norwich, véritable modèle de l’hagiographie
enfantine.38 Le jeune garçon, apprenti tanneur quitte le domicile de sa tante Levina,
mariée à un prêtre nommé Godwin, où il réside, quelques temps avant la
Pâques de l’an 1144,39 requis pour aider à des préparatifs culinaires. Il ne donne
plus signe de vie, et son corps martyrisé est retrouvé dans la forêt de Thorpe, le
dimanche de pâques, 25 mars 1144. C’est Godwin qui est appelé à reconnaître le
cops, déjà enterré, exhumé pour cette reconnaissance puis inhumé à nouveau. La
37 Etienne de Bourbon, «de diversis materiis praedicabilibus, pars iv ; de fortitudine.», texte
latin édité par A. Lecoy de la Marche, Anecdotes historiques, légendes et apologues tirés
du recueil inédit d’Etienne de Bourbon, dominicain du XIIIème siècle, Paris, 1877, n° 370,
p. 325-328 ; et J-Cl. Schmitt, Le Saint Lévrier, Guinefort, guérisseur d’enfants, depuis le
XIII ème siècle, Paris : Flammarion, 1979.
38 G.I. Langmuir, «Thomas of Montmouth, Detector of Ritual Murder», dans Speculum 59,
1984, p. 820 –846.
39 Notons qu’à cette date, en Angleterre, la réforme grégorienne ou tout au moins sa partie
concernant mariage et chasteté du prêtre selon le modèle monastique, n’est pas encore appliquée
avec rigueur, et que cela ne choque ni les contemporains, ni même le moine enquêteur
qu’est Thomas de Montmouth quelques années plus tard.
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tante fait alors état d’un rêve qu’elle aurait eu environ deux semaines plutôt dans
lequel elle implique des Juifs comme responsables de la mort de son neveu. Bien
évidemment le meurtre de cet enfant, portant des maques assimilées à une crucifixion,
et la date de sa découverte contribuent grandement à accréditer l’idée
d’un rituel dont les chrétiens s’empressent de créditer la communauté juive.
L’histoire fit grand bruit. Quant quatre ans plus tard, Thomas de Montmouth,
moine récemment nommé à Norwich, obsédé par la sainteté présumée du jeune
William, s’attache à enquêter sur la mort de l’enfant, il sollicite et trouve, peut
être même «invente» dans le double sens du terme, des éléments et des témoignages
tardifs qui permettent d’accuser les Juifs de ce rituel macabre. «La vie et
la passion de Saint William, martyr de Norwich» qu’il rédige en sept livres entre
1150 et 1173 constitue la première accusation connue et étayée de meurtres rituels
commis par des Juifs. Dans ce récit engagé et violent à l’encontre des
communautés juives, les termes forts et chargés de sens de passion et de martyr
suppléent à l’inexistence du nom victime, et renvoient bien évidemment aux
souffrances du Christ et à toutes les exécutions des martyrs du Christianisme,
dont les Saints Innocents.
Ainsi les enfants subissent de nombreuses atteintes, certains s’en indignent
et tentent de diverses manières d’intervenir, de juger, de condamner ou de dénoncer,
parfois faisant aussi preuve d’une relative indulgence devant des circonstances
fragrantes d’abandon, de misères économiques ou morales. Il nous
appartient maintenant de tenter de saisir à quel moment, dans quelles circonstances,
pour quels cas particuliers ou collectifs, diverses autorités médiévales: familles,
justice, Eglise … prennent en compte la souffrance des enfants et les
considèrent, même si le vocabulaire spécifique n’existe pas, comme des victimes
des faits divers qui les concernent.
Vers une prise de conscience de l’existence de victimes enfantines
La rareté des sources, comme nous l’avons montré ou tout au moins leur grande
dispersion, ne favorise pas cette prise de conscience, d’autant que généralement
la plupart des cas demeurent isolés et individualisés. Dans tous les cas où la
souffrance des enfants n’est prise en considération que sur un plan anecdotique,
dirions-nous, et individualisé : lettres de rémission, accidents et maladies évoqués
dans les recueils de miracles, la conception d’une «victimisation» de
l’enfant n’apparaît pas ou fort peu. C’est d’ailleurs assez normal puisque les parents
ou responsables qui font état de leur geste meurtrier, de leur défaut de surveillance
ou encore de guérison ou du sauvetage ne remettent pas en cause leur
acte, le légitime même par quelques gestes ritualisés (habillement, ondoiement)
et arguent de leur amour parental dans les prières adressées aux Saints guérisseurs
ou sauveteurs, tout autant que de la malchance ou de «la temptation de
l’ennemy» qui induit le geste criminel regretté ultérieurement. Si notre sensibilité
d’aujourd’hui nous donne à voir dans ces enfants, et parfois dans les jeunes
mères des victimes, des victimes de l’ignorance et de la naïveté, de la misère,
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d’une mauvaise hygiène ou d’un défaut de surveillance ou d’éducation, ce n’est
évidemment pas le cas à l’époque médiévale ou alors seulement de manière très
légère et ponctuelle. Dans les cas d’infanticides post-natals, les toutes jeunes
mères coupables sont également le jouet d’une pression sociale et morale sur
leur statut de «fille non mariée», et même si aucune réaction judiciaire ou familiale
ne sont à proprement mises en oeuvre, le courroux paternel, les médisances
des voisines suffissent à provoquer le geste mortel.
Seuls les cas de viols patentés, ou de tentatives de viols sur des fillettes
impubères voient l’intervention de la famille pour obtenir justice du violeur
certes, mais surtout établir une procédure qui permettent d’établir l’exactitude
ou non du fait et, dans les cas «heureux» une sorte de certificat de non corruption
attribuée par la visite d’une matrone, permettant d’assurer pour plus tard,
aux yeux de voisinage, la pureté de la jeune fille et donc de lui garantir un accès
au mariage sans problème. Quand le coupable est un jeune célibataire de seize
ans, considéré comme trop âgé par rapport à sa victime de neuf ans,, et surtout
de condition sociale trop faible, le fait qu’il soit réclamer en mariage par une
jeune fille de la communauté règle le problème à moindre frais.40 Quand le violeur
est un homme marié, la chose devient plus troublante, et il écope d’une détention
d’un an au pain et à l’eau suivie d’un pèlerinage expiatoire à Notre dame
de Boulogne, destiné à effacer le scandale tout en le punissant de son forfait.41
Les cas individuels d’abandons ne font pas non plus l’objet de réactions
spécifiques, autres que quelques recherches de géniteurs ou génitrices à qui remettre
l’enfant, de la part de certains responsables hospitaliers soucieux davantage
d’alléger les charges financières de leur établissement que de la moralité
publique et de l’avenir des enfants.42 Par contre, dès qu’un nombre important
d’enfants se trouve concerné, et que la volonté d’un groupe prend l’affaire à
coeur et adopte une politique destinée à endiguer, contrôler, juguler ce problème,
il semble y avoir alors prise en compte de la situation des enfants subissant les
difficultés et risquant des mésaventures graves. La mise en oeuvre d’une structure
d’accueil, d’une institution ou d’une idéologie s’accompagne alors d’une
«instrumentalisation» des enfants bénéficiaires qui deviennent à la fois la justification
de l’entreprise, l’objet de l’appel de moyens et les futurs usagers.
Qu’il s’agisse des orphelins et enfants démunis et isolés de leur famille
dans les remous de la guerre dont la présence à Paris, génère la fondation de la
confrérie et de l’hôpital du Saint- Esprit de Paris, des petites victimes du rituel
40 A. N. de Fr. JJ 126, pièce 114, f° 71 v°, février 1384 ; tentative de viol sur une fillette.
41 A. N. de Fr. JJ 132, pièce 113, f° 63 r°, janvier 1387 (a.s.) ; tentative de viol sur une fillette.
42 Voir A.Saunier, Le pauvre malade dans le cadre hospitalier médiéval, France du nord, vers
1300 -1500, Paris : éd. Arguments, 1999; «La clientèle de Saint-Thomas d’Argentan entre
1450 et 1520: malades, «gésineresses» et «jettés»», dans Marguerite de Lorraine et son
temps, 1463-1521, Bulletin spécial de la Société Historique et Archéologique de l’Orne,
1989, p.133-159; et «De l’enfant à l’hôpital à l’hôpital pour enfants. Tentative d’analyse de
l’élaboration d’une adaptation spécifique de l’hospitalisation pour l’enfant au tournant des
XVè et XVIè siècles», dans Annales de démographie historique, 1994, p 293-302.
18
de Saint Guinefort qui conduisent Etienne de Bourbon à intervenir pour rétablir
la vérité catholique et, en luttant contre un infanticide déguisé, éradiquer un
culte païen dangereux, ou encore de la construction hagiographique du meurtre
rituel attribué aux Juifs, autour du supplice, vraisemblablement sadique du jeune
William de Norwich, orchestrée par Thomas de Monmouth,43 certains enfants
pour lesquels le sort est ressenti comme véritablement particulièrement grave,
choquant, voire scandaleux, et hors norme, qu’ils soient trop nombreux à pâtir,
dans le temps, ou apparaissent regroupés en nombre s’ils ne jouissent pas du titre
de victimes non existant alors, apparaissent bien aux yeux et au coeur de leur
éfenseurs avec ce rôle, qui dans les cas extrêmes se pare du titre de Martyr et
s’associe à la souffrance – passion qui bien évidemment renvoie à la figure
christique.
43 Malgré le scandale de cette mort, rapidement assimilée à une crucifixion et à une Passion,
comme en témoigne l’iconographie anglaise encore au XV ème siècle, l’enfant n’a pas été
canonisé, le pouvoir pontifical devenant de plus en plus prudent dans ces affaires de sainteté
populaire, surtout, comme ici, en lien avec un supposé rituel juif. Voir à ce sujet
A.Vauchez, La sainteté en occident aux derniers siècles du Moyen Age, E. F. de Rome,
1994, 771 p, note page 526-527 et figure 17.
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Annex: Les enfants bénéficiaires des miracles de saint Quirin
d’après «Le cahier des miracles de saint Quirin», édité par D. Carré, Cahiers
spéciaux du bulletin municipal de Brec’h, s.d.
Les informations sont données selon le plan suivant:
N° d’ordre; âge donné ou estimé; nom; sexe; descriptif de l’affection.
Nous n’avons pas utilisé les déclarations disant fils ou fille de, sans aucun élément
permettant de connaître l’âge. Quant l’indication enfant est portée, nous
avons conservé le cas. Quant l’âge n’est pas donné mais qu’un élément permet
de penser que la victime est bien un enfant, nous le soulignons dans le descriptif.
2: jeune; Vincent Morice; M; chute violente sur le pavé en jouant avec d’autres enfants, entraîne
une perte de la parole durant 7 à 8 ans.
3: 4 ans; F; perte de la parole, de la vue, de la marche durant un an, ne mange pas pendant 9
jours.
10: un enfant; M; cuisse crossée et contrefaite.
28: 2 ans et demi; Guigner Jacques de Romille; M; ne marche pas.
33: 4 ans; Pierre Guiot; M; descente du boyau de naissance (hernie ombilicale ?)
42: 3 ans; Jean le Meer; malade 4 heures, considéré comme mort durant 2 heures, «noir
comme un chapeau».
45: nouveau né; M; comme mort à la naissance, répit de huit jour puis décès.
47: foetus de 6 mois; sexe inconnu; la mère «grosse de 6 mois» est victime d’un incident sordide
(une longue écharde de bois s’enfonce dans sa «nature» lors d’un passage aux toilettes),
forte hémorragie. Mais elle accouche sans problème à terme.
48: 8 ans; Silvestre Levené; M; perte de la vue durant trois mois.
50: 6 ans; Pierre Hamelin; M; malade de fièvre huit jours, crainte de sa mort.
52: petit garçon; M; chute dans la mer, un quart d’heure au fond, une demi-heure en surface,
considéré comme noyé.
61: 4 ans; Vincente Haillec; F; yeux fermés, perte de la vue.
66: jeune; Pierre Ducloir; M; longue maladie et péril de mort. C’est sa mère qui le conduit
pour remercier et signe.
69: 6 ans; Louis Le cors; M; chute, jambes démises, accommodées, mais douleurs continuelles.
71: Jeune; Perrine; F; malade, veillée à l’agonie; Son père l’amène ensuite à saint Quirin et
fait la déclaration.
75: foetus; sexe inconnu; la mère, malade et couchée 2 ans, se retrouve enceinte, et souffre si
fortement durant l’accouchement quelle rédige son testament, tout se termine bien après le
voeu à saint Quirin.
76: trois ou quatre mois; Grégoire Le Gal; M; considéré comme mort durant deux ou trois
heures.
M E D I U M A E V U M
Q U O T I D I A N U M
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KREMS 2005
HERAUSGEGEBEN
VON GERHARD JARITZ
GEDRUCKT MIT UNTERSTÜTZUNG DER KULTURABTEILUNG
DES AMTES DER NIEDERÖSTERREICHISCHEN LANDESREGIERUNG
Titelgraphik: Stephan J. Tramèr
Herausgeber: Medium Aevum Quotidianum. Gesellschaft zur Erforschung der
materiellen Kultur des Mittelalters, Körnermarkt 13, 3500 Krems, Österreich.
Für den Inhalt verantwortlich zeichnen die Autoren, ohne deren ausdrückliche
Zustimmung jeglicher Nachdruck, auch in Auszügen, nicht gestattet ist. –
Druck: Grafisches Zentrum an der Technischen Universität Wien, Wiedner
Hauptstraße 8-10, 1040 Wien.
Inhaltsverzeichnis
Vorwort ……………………………..…………………………………………. 5
Annie Saunier, L’enfant victime: une représentation de l’enfance
au travers de quelques sources religieuses, judiciaires et hospitalières .… 6
Dorothee Rippmann, Der Körper im Gleichgewicht:
Ernährung und Gesundheit im Mittelalter ……………………………… 20
Salvatore Novaretti, Mittelalterliche Fischrezepte aus Frankreich und Italien –
Zeugnisse unterschiedlicher kulinarischer Kultur? ………………….… 46
Vilborg Auður Ísleifsdóttir-Bickel, Habenichtse und Landstreicher.
Zur mittelalterlichen und frühneuzeitlichen Armenfürsorge
in Island und deren Zusammenbruch ………………………………..… 62
Tom Pettitt, Nuptial Pageantry in Medieval Culture and Folk Custom:
in Quest of the English charivari ……………………………………… 89
Besprechung …………………..……………………………………………….. 116
5
Vorwort
Das vorliegende Heft von Medium Aevum Quotidianum zeigt in besonderem
Maße die Breite und ‚Internationalität’ sowohl von Fragestellungen als auch von
Forschungsinitiativen im Rahmen der Geschichte von Alltag und materieller
Kultur des Mittelalters und der frühen Neuzeit. Wir danken den partizipierenden
Beiträger(inne)n für ihre wertvollen Untersuchungen, von Reykjavik bis zur
Université des Antilles-Guyane.
Annie Saunier beschäftigt sich komparativ mit der Opferrolle des Kindes
in verschiedenen spätmittelalterlichen französischen Quellen. Dorothee Rippmann
und Salvatore Novaretti analysieren Quellen zur Ernährung und können
dabei wichtige Kontexte zur Gesundheit und zu allgemeinen Fragen von Kulturausformung
und Mentalität liefern. Vilborg Auður Ísleifsdóttir-Bickel widmet
sich der Armenfürsorge und deren Entwicklung im spätmittelalterlichen Island.
Tom Pettitt vermittelt neue Ergebnisse zur Kultur der Performanz im spätmittelalterlichen
und frühneuzeitlichen England.
Wir danken allen Mitgliedern und Freunden von Medium Avum Quotidianum
für das kontinuierliche Interesse und die gute Zusammenarbeit. Wir hoffen,
auch in Zukunft dazu beitragen zu können, dass jene Breite des Forschungsfeldes
und die Relevanz komparativer und kontextsensitiver Analysen weiter verfolgt
und einen Schwerpunkt der Untersuchungen darstellen wird.
Gerhard Jaritz, Herausgeber