Les miracles en Livonie et en Estonie a I’epoque de Ia christianisation ( n Xlleme-debut XIIle e siecles)
Marek Tamm
0. INTRODUCTION
0.1. Le Moyen Age, age des miracles
Ava t de passer aux miracles en Livonie et en Estonie, il convient d’examiner d’un peu plus pres Je „merveilleux“ dans Ia globalite de Ia culture medievale. Pour serier les problemes. nous tenterons d’abord de recenser les canaux par lesquels Je merveilleux ou Je sumaturel se manifesten! Ensuite nous examinerons ce qui, dans Je traitement medieval des miracles. est herite des epoques anterieures. Troisemement nous retracerons Ia courbe d’evolution de l’approche medievale du merveilleux. Enfin, quatriemement. nous etudierons de plus pres l’une des formes de manifestation (ou de canalisation) du merveilleux, parmi !es plus speci quement medievales: Je miracle.
Jacques Le Go propose1 trois categories de manifestations du merveilleux au Moyen Age (XII-Xllleme siecles): mirabi/is. magicus et miraculosus. Mirabilis represente Je merveilleux au sens Je plus generique. Avec ses racines pre-chretiennes, il englobe !es pays et !es lieux enchantes, !es geants et !es nains, les esprits de Ia nature et Ies monstres etc.� Magicus, aux yeux des hommes du Moyen Age, compone en revanche une connotation negative. Bien que l’on reconnut l’existence d’une magie blanche (c’est ä dire issue de Dieu) aussi bien que d’une magie noire (issue de Satan), Je concept a eu rapidement endance renvoyer plutöt ä Ia magie noire. A1agicus recouvre donc avant tout le surnaturel satanique, alors que Ia troisieme
1 J. Lc Goff. „Le merveilleux dans l’Occidcnt medicval“. in ld., L’1magmmre med•evnl. Essms, Paris, Gallimard. (1985). 1991. pp. l7-J9.
2 e C. Lccouteux. „lntr uction ä l’etude du merveillcux medic ·al“. Etudes Germaniques. 1981/5. pp. 273-
290. Id. „Paganismc. christianisme et merveilleux“. A1males C, 1982/�. pp. 700-7 16; M. Meslin (sous Ia direction dc). Le merveilleux. L’imagmmre et les croynnce.< en Occident. Pans, Bordas 198�. surtout pp. 32-40. 53-83 et pas.<1m; M. Meslin. „Le mcrveilleux, l’imaginaire et Je divin“. in Colloque imemntiona/ et interdisciplinmre sur /es Dimen.<lons du .lferveilleux. 0.</o, :3-26]Um I986. Oslo, Uni,·ersitct i Oslo. Romansk Institutt. 1987. pp. 27-33: L.H. Lancner. „Merveilleu.x ct fantastiquc dans Ia Iitterature du Moycn Age: une catcgoric mentale ct unjcu liller.me“. in ibid., pp. 2H-256: J. Favier. „Mcrveilleux“. in ld.. D•cllonn01re de Ia France IIWtilemle. Paris. Fa� ard. 1993. p. 63 .
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manifestation, le rmraculosus, apparalt comme de nature entierement chretienne Elle reneentre l’approbation de l’eglise, elle lui se ä combattre !es deux autres. C’est de lä que provient di�ectement le miraculum.
Le traitement medieval du miracle subit d’influence de plusieurs elements herites des cultures anterieures. Avant tout, incontestablement, celle de Ia tradition biblique, vehiculee par l’Ancien et le Nouveau Testament. L’Ancien Testament n’a guere servi ä Ia cuhure medievale de „puits aux miracles“; en revanche I’Apocalypse de Jean, dans le Nouveau Testament, ete l’un des principaux supports de l’analyse et de l’explication desdits miracles. La culture antique n’a pas manque d’apporter sa pierre ä l’edifice du merveilleux medieval et ceci avant tout par le biais d e plusieurs personnages mythologiques (Minerve, Vulcain, Venus etc . . ) , mais aussi gräce ä quelques textes concrets (par exemple I’HISioria Natura/is de Pline). L’on ne saurait de plus sousestimer l’apport des peuples nomades (germains) ou des cultures orientales. Mais ce qui est certain, c’est que l’une des sources permanentes du merveilleux pendant tout Je Moyen Age doit etre cherchee dans Ia tradition populaire, dans le folklore 3
Loin d’etre fige, le rappo au sumaturel tout au long de cette periode a evolue. Cette evolution peut etre decrite de Ia SOrte:
I ) Le haut Moyen Age (V-Xleme siecles) est caracterise par le soumission du merveiileux ä l’eglise, l’un des principaux objectifs des clercs etant de donner a Ia tradition en matiere de merveiileux (not ment dans Je folklore) un contenu nouveau, chretien.
2) Le Moyen Age centrat (Xli-Xlileme siede) voit cette approche negative se relächer, certains theologiens commencent ä s’interesser aux miracles. L’approche populaire du merveiileux subit egalement moins de contraintes, eile fait plutöt l’objet d’une tentative de christianisation. Le monde de Ia chevalerie se cree une culture specifique du merveiileux (les histoires du Graal).
3) Le Moyen Age tardif (XJV-XVeme siecles) procede ä l’esthetisation du merveilleux.
Tout element sumaturel est objet de traitement a istique, litteraire ou autre. La tradition populaire, eile aussi, gagne en couleurs et en relie
La seule creation medievale en cette matiere est l’elaboration du miracle chretien. Les simples manifestations de merveilleux {mirabilia) pouvaient etre dues ä di erentes origines, eiles echappaient ä Ia raison et au contröle; !es miracles en revanche se caracterisent par 1 ) une raison unique, un auteur unique: Dieu; 2) le contröle de l’eglise et 3) Ia possibilite d’etre expliques rationnellement4• Ainsi pouvons-nous tenir le miracle comme le signe distinctif du Moyen Age par excellence.
3 J. Le Go , “ mcrveilleux…“. op. c11., pp. 19-20, 31-32.
4 /bid., p. 29: sur le traitcment theologique des miracles de saint Augustin aux scolastiques. c B.Ward, Mzracles and the .\ledzeval md: Theory, Record and ii•·ent, /000-1215, University of Pcnnsylvania Press, Philadelphia, I982;cf. aussi W.D.McCready.SzgnsofSancmy.AliraclesmrheThoughrofGre oryrheGreat, Pontifical lnstitute of Medieval Studies. Toronto. (Studies and Texts. 91). 1989. su out pp. 7-12; les miracles (surtout en rapport avec les saints et les pelerinagcs (sur lcs premieres tom s)) dans Ia Scandi:la\ie m ievale sont traites dans un ouvragc reecnt de Christian Krötzl. Pzlger, Mirakel undAlltag. Formen des I erhaltens zm skandina schen Aftllela/ter (12.-15. Jahrhundert), Suomcn Historiallinen Seura. Helsmki. (Studia Historica, 46). 1994.
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tr. ‚aillcr. /.
.
/ D’une part. Je corpus doit etre !arge ur qu’on puisse raisonnablemcnt es rer que ses
.
elements saturcnt un S) stemc complet de r semblances et de di erences /.. .
I. LE CO US TEXTUEL
I. I. Caracteristiques et commentaire
L’analyse suivante repose sur six textes de deux auteurs remontant a Ia premiere moitie du Xlile e siecle, Henri Je Letton et Cesaire de Heisterbach. Le premier a ajoute a Ia Chronique qu’il est convenu d’appeler „Chronique d’Henri le Letton“ (Heinrici Chronicon Livoniae) un choix de mirades. Le deuxieme pour sa part parle de Ia Livonie et des mirades de cadre dans ses ouvrages „Dialogue des miracles“ ialogus miraculorum) et „Huit livres de miracles“ (Libri octo miraculorum). qui ont ete largement di ses. Tous ces textes ont ete ecrits dans les annees 1 220, c’est a dire dans une periode fo active (militairement parlant) de Ia christianisation de Ia Livonie et de l’Estonie. II n’existe pas d’autres textes de Ia meme epoque sur le meme sujet provenant de cette region. Nous n’avons pas utilise des sources plus tardives (sauf, pour comparaison, I'“Ancienne chronique rimee de Livonie“) a n d e preserver l’homogeneite du corpus. ous traiterons donc les six textes en question comme un corpus unique5• dont nous presenterons une analyse multiple. Nous tenterons, dans Ia premiere partie ce ce travail, de prouver l’uniu� in \rieure du corpus; son unite exte eure (dont ce aines dimensions ont deja ete mentionnees) pourrait etre demontree en paraphrasant Ia regle des trois unites du theätre dassique:
1 ) Unite de lieu: tous !es textes portent sur des evenements situes en Livonie (pour cinq d’entre eux) ou en Estonie (dans un cas).
2) Unite de temps: l’evenement qu’ils relatent a eu Iieu en Livonie ou en Estonie a l’epoque de Ia christianisation, c’est a dire a Ia fin du XIIeme siede ou au debut du XIIle e siede.
3) Unite d’action: dans les six cas, il s’agit d’un miracle, c’est a dire d’une intervention divine directe dans les choses humaines, laquelle debouche sur un evenement ou un phenomene extraordi naire.
En partant de ces criteres exterieurs, n’ont pas ete retenus dans ce corpus un certain nombre d’autres „histoires miraculeuses“ contenues dans !es textes d’Henri et de Cesaire. En vue de respecter l’unite de lieu, on a exclu des mirades recenses par Henri en XV,4 et XIX,6. L’unite d’action nous a amene a ne pas retenir le recit par Henri “Du maintien miraculeux des pretres dans l’eglise par Ia misericorde divine“ (De mirabfih} per Dei misericordi sacerdotum, in eccles/a conservatione) ( X l , S ) , et ceci en vertu principalement de deux considerations: d’une part Henri ne nomme pas les e\·enements dont il traite „mirades“, mais seulement „evenements m1rabi/es“. Mais sunout parce qu’il n’est pas possible de relever dans les evenements retraces Ia moindre trace d’intervention divine directe – il peut s’agir tout autant d’une heureuse co’incidence. D’ou sans doute l’approche incenaine de l’auteur lui-meme. En revanche, dans le cas des miracles de Cesaire, c’est uniquement l’unite de lieu qui a servi de critere de choix. Ce moine eisterden rend compte a treize reprises d’evenements en rapport avec Ia Livenie (que ce soit de par l’action ou Ia source d’info ation) (cf infra, 2 . 1 . 3 .4.).
Paris. Seuil. (1985). I<J91. pp. l-82.
5 Notre con ption du „corpus“ rcjoint lle dc Roland Barthes: “ corpus est une collection Iinie dc materiaux. detenninee a l’a\’ance par l’analyste. selon un certain arbitraire (inev able) et sur laquelle il va
. D’autre part, le rpus doit etrc ausso homogene que ssohle t.. .r. R.Barthes, „Elements dc semiologoe“ (196�) in ld. L’aventure sbmologique.
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Mais sur !es treize, seulement trois se deroulent en Livonie. Tous ont e ! retenus dans notre corpus. Dans !es deux paragraphes suivants, nous presenterons de plus pres !es auteurs de ces textes et leur oeuvre.
1.2. Henri Je Letton
Avant de parler de Ia vie supposee d’Henri, il convient de rappeler que l’attribution de Ia Chronique de Livonie a cet auteur n’est qu’une supposition (d’ailleurs fort vraisemblable), qui a ete formulee pour le premiere fois en 1740 par Johann Daniel Gruber, premier editeur de Ia chronique. En effet. aucun des manuscrits de Ia chronique parvenus jusqu’a nous ne campo e de nom d’auteur (on peut presumer que le chroniqueur lui-meme avait souhaite garder l’anonymat). C’est le texte lui-meme qui a permis d’etablir son auteur. En e et. on y trouve constamment nomme un certain Henricus ou Heinricus.
Oe meme que l’attribution de Ia Chronique a Henri, Ia vie de ce demier est elle aussi soumise a caution. Enn Tarvel fait a juste titre Ia remarque suivante: „Nous ne savons rien de certain sur Ia personne pas plus que sur Ia vie d’Henri: tout ce que l’on ecrit sur sa vie repose sur des hypotheses echafaudees a partir de Ia Chronique, hypotheses d’ailleurs fondees et fort vraisemblables.“6 Sur Ia vie d’Henri, relevons !es ecrits d’Hermann Hildebrand. d’Heinrich Laakmann et de Paul Johansen7. On estime que l’auteur de Ia Chronique est ne en Allemagne du Nord, dans Ia region de Magdeburg. Il est probablement pa i en Livonie au printemps 1205 en qualite de missionnaire. Comme on presume qu’il avait autour de 18 ans au moment de son depart, il serait ne aux alentours de 1 187-1 188. II ne tardera pas a se mettre au travail comme interprete de live (1206) et entre aussitöt en contact avec les Lettons· en 1208 il accompagne le pretre Alebrand aupres des Lettons d’Ugandi et d’Umera. Apres sa consecration, il est nomme pretre des Lettons d’Ümera a Ruben. Mais par moments son aire d’activite est beaucoup plus !arge.
En ete 1 2 1 5, il accompagne Philippe, eveque dc Ratzeburg, au concile du Latran. En 1222-1224 il aurait sejoume avec l’eveque Albert en Allemagne. Henri participe activement a de nombreuses campagnes militaires, a des batail!es et a des actions de defense. Tl participe a Ia conquete de I’Estonie depuis Je debut (depuis !es negociations d’Ugandi en 1208). L’un des sommers de sa carriere est sans doute Ia panicipation en tant qu’interprete a Ia suite accompagnant Je Iegat du Pape, Guillaume dc Modene, lors de l’expedition de celui-ci au pays des Livoniens, des Latgalles et des Estoniens entre Je debut de l’ete 1225 et avril 1226. Deux documents nous informent sur Henri pour Ia periode non couverte par Ia Chronique Gusqu’en
6 E. Taf\·el „Sisscjuhatus“ [lntroduction] in Hennku Luvunaa oonika, traduit par R. Kleis. et commente par E. Tarvel, Tallinn, Raamat, 1982. . 5.
7 H. Hildebrand. Dte Chromk Heinnchs von Leuland. Em Bellrag zu Ltvlands l stonographie und Geschtchte. Berhn. 1865: H. , „Zur Geschichte Heinrichs von Livland und seiner Zeit“. Beitrage zur Kunde E.<tlnnds. Band XV I. Heft 2. Reval. 1933. pp. 57-102: P. Johansen „Kronikka elamakertana. Lätin Henri n elamä J3 maailmankatsomus“ [La chronique comme c boographoe La Vle et Ia conceptJon du monde d“Hc lc Lenon]. Hwonnl/men Atknuskiqa. 195213. pp. 184-207. ä mparer avec 1d.. „Doe Chronik als Boagraphie HeonnchsvonLettlandLebensgangundWeltanschauung“.JahrbucherfurGeschichteOsteuropas, N F. Bande I. He I, 1 153. pp. 1-24: aussi A. Bauer. „Einleitung“ in Hemnct C ronicon Livomae, RccognO\·erunt L. Arbusow et A. Bauer. Hannover. Hahnsehe Buchhandlung, 1955 (Scriptores rerum Germanicorum in usum scholarum ex Monumentis Germaniae Historicis scparatim edito). pp. V-XV: E. Tarvel. „Sisscjuhatus“. op.cll., lk. 5-7; M.Helhnann. „Heinrich von Lettland“, in x1kvn des Mittelalters, Bd.4. Artemis Verlag. München und Zürich. 1989. coll. 2096-2097.
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1226). Ils nous apprennent qu’il est intervenu en qualite de temoin dans un proces en 1234 ainsi qu’en 1 259, dans des a aires de limites et de propriete fonciere. li a du mourir, selon toute vraisemblance, peu de temps plus tard.
On considere que Ia Chronique a ete ecrite entre aout 1224, date de Ia prise de Tartu, et fevrier ou mars 1227, c’est ä dire tout de suite apres l’occupation de Saaremaa. 11 s’agit donc d’une description post jacTum: au moment ou Henri ecrit, il connaissait deja Ia suite des evenements. De nombreux passages le prouvent. Mais cette connaissance prealable ne couvre pas Ia periode posterieure a Ia prise de Tartu d’aout 1 224. D’ou l’hypothese sur Ia date de debut de Ia redaction. La chronique se compose d’une partie principale (chapitres I a XXIX) qui se termine par une conclusion solenneHe (XXIX,9), et d’un chapitre ajoute un peu plus tard et portant sur Ia 28eme annee de l’episcopat d’Albert (1226-27). Les materiaux sont presentes de :naniere generale en ordre chronologique. La chronique se divise en quatre livres. Trois d’e tre eux suivent !es episcopats respectivement de Meinhard, de Bertold et d’Albe e t traitent de Ia christianisation des Livoniens; ils ont co e titre general de L onia. Le quatrieme Iivre, de Estonia, co ence au milieu de Ia ! Oeme annee d’episcopat d’Albert avec Ia description des activites militaires entreprises contre les Estoniens. Les troisieme et quatrieme livres, qui portent sur l’activite d’Albert, se divisent en 28 chapitres, dont chacun traite une annee d’activite de cet eveque.
L’unani:-: ite est loin de regner quant a l’appreciation des motifs qui ont conduit Ia recaction de cette chronique. Henri ecrit lui-meme qu’il consigne sa chronique „a Ia demande de ses superieurs et de ses compagnons“ (mgatu dominorum et sociorum), a n que !es gestes accomplis „ne tombent pas dans l’oubli de Ia posterite“ (oblivioni in posterum traderetur) (XXIX,9). Parmi !es hypotheses proposees plus tard par !es chercheurs, les plus vraisemblables sont au nombre de deux: I ) Henri a redige sa chronique sur commande d’Albert, eveque de Riga; 2) Henri a entrepris Ia redaction de Ia chronique de son propre chef. incite et soutenu par „ses superieurs et ses compagnons“ (sans doute eveques et pretres). Henri nit par donner lui meme des indications sur !es sources a Ia fin de son travail:
Niehit autem hic aliud superadditum est, nisi ea, que vidimus oculis nostris fere cuncta, el que non vidimus propriis oculis, ab il/is inte/leximus, qui videront et interjuere/11. (XXIX,9)
D’apres Paul Johansen il faut prendre ce qui est ecrit au pied de Ia lettre8 Leonid Arbusov jun., en revanche, est d’avis qu’il s’agit ici exclusivement d’une formule rhetorique dans le style des peres de l’eglise (St. Jeröme etc.) 9 La verite se situe sans doute quelque part entre !es deux. Outre !es sources orales, on a pu constater chez Henri des traces d’utilisation de documents. dans Ia partie initiale de Ia chronique, quand il traite de l’epoque anterieure a 1205, il fait appel de plus a toutes so es d’autres sources, principalement des annales conce ant l’activite de l’eveque Meinhard; Henri a trouve egalement des informations essentielles dans Ia recit du missionnaire de Theoderic, ulterieurement eveque d’Estonie.
8 P. Johansen. „Kronikka elämäkertana…“ op.cir., p. 187.
9 L. Arbusow. „Das entlehnte Sprachgut in Heinrichs „Chronicon Livoniae“. Ein Beitrag Sprache
mittelalterlicher Chronistik“. DeutschesArchivfür Erfvrschmg des,\/irre/alters. 1950/8. pp. 136-137. 33
1.3. Cesaire de Heisterbach
A Ia di erence d’Henri Je Letton, l’attribution ä Cesaire du corpus de textes est certaine. Mais, de meme que chez Henri, l’essentiel sur Ia vie de ce moine de Cologne nous est donne par son oeuvre. 1° Cesaire est ne ä Cologne en 1 1 80. Des sources attestent sa presence dans cette ville entre 1 180-1 198. II etudie quelques annees ä l’ecole du chapitre de l’eglise saint Andre, puis, jusqu’en 1 1 98, ä l’ecole de Ia cathedrale de Cologne sous Ia direction du maitre Rudolph. En janvier 1 1 99, il entre au monastere cistercien d’Heisterbach. Peu apres Ia n de son noviciat il devient maitre des novices (magister novitiorum). II occupera cette fonction, qui lui garantit un contact actif avec Je monde exterieur (facteur essentiel dans son activite d’homme de plume), pendant plus de 20 ans. C’est aux alentours de 1227 qu’il est elu prieur du monastere d’Heisterbach. II occupera cette chargejusqu’ä sa mo , survenue aux environs de 1240. Outre sa fonction d’instructeur, ses fn\quents voyages ont lui servi de stimulant pour son travail litteraire. On sait qu’il a visite a plusieurs reprises l’abbaye-mere Himmerod, dont l’abbe, Hermann de Marienstadt, etait l’un de ses meilleurs amis et l’une de ses principales sources d’information. II accompagne souvent les abbes de son monastere dans leurs voyages d’inspection. On a des donnees sur ses voyages a Utrecht, a Groninge, a l’abbaye d’Eberbach et dans di erentes parties de Ia Rhenanie. Non seulement il a lui-meme voyage, mais il a aussi activement interrege d’autres voyageurs, notamment ceux qui equentaient les assemblees ecclesiastiques, ainsi que d’autres moines qui avaient le monde (par exemple Ia Livonie). Ainsi Cesaire disposait-il d’une information exceptionnellement large pour son temps: pour l’illustrer, disons qu’elle allait de Ia croisade de Livonie a celle des Albigeois Si nous comparons son oeuvre a celle d’Henri le Letton, elle est sensiblement plus riche, plus diverse et plus celebre. Dans le cas d’Henri, nous avons a faire avec un simple prchre-missionnaire (qui avait neanmoins des larges horizons, pouvait communiquer en plusieurs langues et etait fort fa;nilier des Ecritures); Cesaire pour sa part est l’un des moines-ecrivains les plus remarquables du Moyen Age central, dont les oeuvres (notamment Dialogzrs miraculorum) etaient a son epoque largement repandues; elles ont iniluence de maniere essentielle Ia tradition litteraire ulterieure.
Parmi les ecrits de Cesaire parvenus jusqu’a nous il y a son catalogue pistola catalogica), qui contient en tout 36 briques (seule une partie en a ete conservee). L’oeuvrc de Cesaire peut etre divisee en deux parties: (a) l’oeuvre theologique et (b) l’oeuvre historique. La partie theologique contient essentiellement les sermons (Sermones) et les ho elies (Homeliae) ainsi que des prieres d’heures et quelques traites contre les heretiques. Son oeuvre historique se compose de deux oeuvres principales: „Dialogue des miracles“ et „Huit livres de miracles“, auxquelles il faut ajouter les vies de l’archeveque de Cologne Engelherd (plus tard canonise et mort en 1225) et de sainte Elisabeth de Thuringe ( 1207- 1 23 1 ) 12 Son oeuvre
10 Sur Cesaire. . F. Wagner. „Studien zu Caesarius On Heisterbach“, Analeeta cistewensra, 1973/20, pp. 79·95; ld.. „Caesarius von Hcisterbach“. in Enzyklop dre des M rchens. Handwörterbuch zur hrstorischen und verglerchenden z h orschung, Hrsg. von K. Ranke, Bd.2. Liefe ng 3/4, Waller de Gru)1er. Berlin, Ncw York. 1978, coll. 1 131-1 143: ld.. „Caesarius von Heistcrbach“. in Lexikon des Mittelalters, Bd.2, A emis Verlag. München und Zurich, 1983, coll. 1363-1366; J’on Ge eimnissen und Wundern des Caesarrus von Heisterbaclr. Ein Lesebuch von H erles, Bonn, Bauvier Verlag, 1990, surtout pp. 1-69.
1 1 Les nkits dc saire sur Ia croisadc contrc l Albig is ont e � recemment analyses r Jacques Berlioz, „Exemplum histoire: Cesairc dc Heisterbach (v.llS0-�.1240) et croisade alb1gcmse“. Brblrorheque de I’Ecole des chartes. T.l47, 1989. pp. 49-86.
12 C “ ben. Leiden und Wunder heiligen Engel n, Erzbischofs von Köln von Caesarius von Hcisterbach“ Hrsg. von F. Z hacck. in Der Wundergeschichten des Caesarrus von Hersterbach. Hrsg. von A.
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indiscutablement Ia plus celebre, aussi bien a son epoque (ce dont temoigne Ia centaine de manuscrits conserves) qu’aujourd’hui, est Dialogus miraculorum. Celui-ci est organise en 1 2 livres/“distinctions“ (dislillc!iolles), dont chacun est consacre a un theme concret. Chaque Iivre a son tour se divise en chapitres. En tout, Je Dialogus contient 746 chapitres. L’oeuvre dans son ensemble est construite sous forme de dialogue entre un moine (monachus) et un novice (1/(wicius) Chaque „distinction“ commence par une courte incursion theoJogique dans Je sujet (soutenue par Jes questions du novice), suivie par une Jongue serie d’histoires miraculeuses edifiantes entendues. Iues ou observees par le meine, et ayant un rapport avec le sujet general. L’epoque de redaction du D10/ogus miraculomm ne fait pas l’unanimite1;, Ia proposition Ia plus fondee est celle de Fritz Wagner: J 2 J 9- J 223 D’apres Cesaire lui-meme, J’incitation a ecrire cette oeuvre Jui est venue de l’abbe Heinrich et des moines de son monastere:
Ahha/c•meoprecpi ielllee!fralrumimporll/napelicioneurgenlecompulsussum :..1 DyaloKum scrihere miraculorum. 14
Il co:wien: sans deute ici de ne pas sousestimer les interets personnels de l’auteur, que prouve sa collecte d’informations sur une longue periode Les evenements retraces dans le Dialogus miracu/omm couvrent Ies annees de 1 190 a 1223, l’oeuvre contient des materiaux fort divers provenant de presque toute I’Europe de J’epoque et notamment de l’aire culturellr allemande. Avant de rep!acer le „Dialogue“ dans le contexte litteraire medieval, examinons rapidement l’autre oeuvre de Cesaire, les „Huit livres des miracles“, qui pn!sente bien des anaJogies avec Ia premiere Comme le titre l’indique, l’oeuvre devrait se composer de huit Jivres. Mais seuJs les del!x premiers et une partie du troisieme sont arrives jusqu’a nous, plus quelques fragments. I I est neanmoins fort vraisemblabJe que Cesaire Jui-meme a laisse son oeuvre inachevee. Le premier Iivre (45 chapitres) est consacre aux miracles lies la communion et le deuxieme (42 chap.) ceux concemant Ia Vierge Marie Semblable au „Dialogue“ par son contenu, cette oeuvre en differe avant tout par Ia structure. Pas de presentation dialogique des miracles: tous les recits sont reJates par un seul personnage; on ne saurait pourtant exclure l’hypothese qu’il s’agisse d’une premiere Version, destinee etre mise en dialogue par Ia suite. Elle a ete ecrite entre 1225 et 1227.
En exarr.inant de plus pn!s Ia tradition litteraire cistercienne anteneure Cesaire, nous constatons que l’oeuvre du meine de Cologne n’apporte gJobablement rien de nouveau. Depuis Jes ecrits de Bernard de Clairvaux jusqu’aux precedesseurs directs de Cesaire, on ne manque pas d’ecrits consacres aux miracles. Il faut mentionner avant tout parmi eux x ordium Ma /111111 de Conrad d’Ebermach, dont Ia premiere partie a ete ecrite entre 1 1 86 et I J 93 et Ia deuxieme entre J 206 et 1 2 2 J , Je Liber nuraculomm d’Herbert de Clairvaux ( n X l l -debut
Hilka. Bd.J (Publikationen des Gesellschaft r Rheinische Geschichtskundc. XLIII). Bonn. 19J7. pp. 223-328; „Die Schriften des Caesanus \Oll Heistcrb�ch uber dte Heilige Elisa th Yon Thüringen“. Hrsg. YOn A. Hu� skens. 111 thul. pp. 329-390.
Pour les opt:uons divergemes. cf. F. Wagner „Studten zu Caesanus \On Hetsterbach.
14 Ci!. in ibtd.
ks raisons qui l’ont amcnc a ccrire son ocuvre: L;t a111em llllflcti sunt. dixll Jhesus dtsctpulis su11: Colligile que superaverum fra,r.mu!nta, ne peream. Fragmenta suut nwmoria cl1�na wrtulllm exempla. {)e tjutbus ma.nma cltlt encia dehet „·““ prelalo, 111 oltqwbus fralrtbu‘ ltlleralt., tl/a ‚ cripta collt .erc prect{‚tat. ne per ohlmonem J>ereant c ‚ophmt .\Uni ltbre t•d cartule. m qUtht.‘ tllo colltgumur. Ego .<tquthuJ,.“, abhate meo preceptente el (mlr/1111 carume in.,ti .ante duodecmt .<porte/los tmplenexf gmenlt.< hruu t>dt. Dtologum ex ets confictendo dllod,·cim dtstmcc/Ort/1111. Cit. tn tbtd
.
..“ op.cu . pp. 87-88.
p.88. Anm. 100. Dansses „Homelies“ (n°l� ll Cesaire formule plus longuement lcs objcctifs et
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Xlile e siecle) et le Ltber miraculorum du onastere d’Hi erod (1213-1220).1s Ainsi pouvons-nous considerer le Dialogus miraculomm de Cesaire co e le couronne ent de taute une tradition. II y a une deuxie e di ension du rapport de Cesaire ä Ia tradition qui erite notre attention. II no e en e et syste atique ent ses histoires exempla. ot qu’il pre::d dans un sens plus !arge que si ple ent „exe ple“. Ses recits relevent des lors de Ia tradition des exempla qui co ence eurir au debut du Xlile e siecle: ils contribuent ä l’asseoir. Il s’agit de courtes histoires edi antes, fondees sur une logique narrative assuree, que les predicateurs, a partir du Xlile e siecle, ajoutaient ä leurs sermons pour les rendre plus interessants et convaincants.16 Bien que Ies recits de Cesaire ne soient pas des exempla classiques, ils en contiennent tous les traits distinctifs essentiels: Ia brievete, Ia cla e, Ia credibilite etc. Cesaire lui- e e a utilise des exempla (environ I SO) dans ses sermons. 17
Avant de conc :re Ia presentation de l’oeuvre de Cesaire de Heisterbach, on peut se de ander quels etaient ses rapports avec l’Estonie et Ia Livonie. II va de soi qu’il n’y est pas alle personnelle ent: tous ses rapports avec le pays et ses habitants passent par le truche ent des oines de son onastere. Malheureuse ent, il n’existe pas de source (saufce qu’il a ecrit lui e e) qui prouverait des contacts certains avec des ecclesiastiques de Ia region. En revanche, on a connaissance de relations, au plan general, entre les eveques d’Estonie et de Livonie et le onast re d’Heisterbach On sait que Wescelin, eveque de Tallinn, a consacre le 28 janvier 1 2 2 7 plusieurs autels du onastere d’Heisterbach; le 1 3 octobre 1 2 3 7 Baudoin, eveque des Seloniens, a assiste Ia consecration de Ia nouvelle eglise du e e onast re. 18 A pa ir des recits de Cesaire lui- e e, nous pouvons etablir qu’il a ete en relations etroites surtout avec Bemard de Lippe, abbe du onastere eisterden de Daugavgriva et plus tard eveque (cf infra, 2.1.3.4.).
1.4. Le corpus: 6 textes
Nous presentons ci-dessous l’ense ble des six textes de notre corpus. Le texte d’Hen le
Letton provient de l’edition Arbusov-Bauer de 1955.19 Quant au texte de Cesaire, nous nous
15 Cf. B.P. McGuire, „Writ!en sources and cistcrcian inspiration in Caesarius of Hcistcrbach“ Analeeta Cl.<terciensia. 1979/35. pp. 222-282: cf. aussi J.-C. Schmm, Les revenants. Les v1vants et !es morts dans Ia soc•etemlildevale. Paris. Gallimard, 1994. p. 151.
1 6 La meillcurc intr uction aux exempla mcdievaux C. Bremond. J. Go el J.-C Schmitt, L““Exemplum“. Bre ls, Tumhout. 1982. (fy logie des sources du Moycn Age ctdcnta , fase. 40}, qui con1ien1 egalement Ia dc mtton sans doute Ia meilleure de l’exemplum: „Uo r it brcf donne co e veridique et desline ä e e tnserc dans un discours (en generat sermon) convaincre un auduoirc par une l on salutaire… pp. 3 7-38: sur Ies exempla dans l’oeuvre de C ire cf. J.-Th. Weiter, L’Exemplum dans Ia Iiiierature religieuse et didaclique du Moyen Age. Paris. Toulouse. Occllania. pp. 1 1 3 – 1 1 8 ; aussi A. Duby, „Cesairc de Heisterbach: le dialoguc des Cisterciens“, in Precher d’exemples. Recits de predicateurs au Moyen Age, (presenle par J.-C. Schmill}. Paris, Stock. 1985, pp. 71-81.
17 Cf. J.-Th. Weiter. op.c1t. . pp. 1 17-118.
1 8 Cf. F.G. von Bunge. Llvland die Wiege des Deutschen Weihbischofe, Leipsig. 1875, (Baltische Geschichtsstudien, 1}, p. 34 cl 4 1 .
1 9 Heinrici Chronicon Livomae. recognoverunt L.Arbu et A Bauer. op. cil.
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basons sur l’edition de Joseph Strange (1851) du „Dialogue des miracles“20 ainsi que sur celle d’Aifons Hilka {1937) des „Huit livres de miracles“ 21
Tl. I. lnflrmus eciam quidam fratrem Theodericum vocat, baptismum petit. Quem mu!ierum proterva prohihet perlinacia a sancto proposito. Sed invalescente egritudine vincitur muliehris incredulitas, bapti:atur, orationihus Deo committi111r. Cuius morientis animam
neophitus quidam ad septem distans miliaria ab angelis in ce/um deferri vidit et agnovit. 22 Tl.2. De sarcofago sacerdotis divinitus prolongata.
Eodem tempore quidam monachus nomine Si idus in o icio sacerdota/i curam animamm Slbi comm1ssam in parrochia Holme devotissime peragil et in dei servicio die ac nocle persistens sue bone conversationis exemp/o Lyvones imbuit. Tandem post diutu um Iabore Deo fe/icem terminum vite sue imponente moritur. Cuius corpusculum more lium ad ecclesiam deferens cum /acrimis neophitorum turba prosequitur. Cui ramquam lii dilecto patri sarcojagum de bonis lignisfacientes asserem 1mum ad operculum inc1sum de toto pede nimis hrevem im·eniunt. Unde commoti lignum, quopro/ongaripossil. diu quesitum et tandem inventum asseri predicto COI!formantes c/avis a gere temptant. sed eum prius sarcofago superponentes et dJ/igencius illluentes vident illum non a e humana sed divina prolongatum et optime sarcojago secundum desiderium ipsonnn adaptalllm. De quo jacto parrochiani exhylarati lignum inutiliter a se incisum ahiciunt e1 pastore suo delium more sepulto Deum
henedicunt. qui in sanctis suisjacit mirac1tla. �3
Tl.3. Fuerat eodem tempore mercator christianus in domo Estonis in Saccala, et cum omnes Theuthonici mter ciullfur, qw erat in terra. irruit eciam idem Esto super eundem hospitem suum et mte1jecit eum. Quo facto peperil uxor occisoris fllium. er habebat idem puer in corpore suo wtlnera recentia in omnibus locis, in quibus paler vulneraverat innoce/llem, e/ simi/ia per omnia 1 J!neribus i lerfecti, que tamen postea sanata fuenmt, et apparent C/catrices ad hunc diem. Et multi videntes adnurabamur, testimonium perhibentes et vindictam Dei prohantes; nam el idem occisor ah exercitu chnstianomm statim interfectus
esl. 24
T2.l. De converso Livoniae qui communicare desiderans hostiam reperit in ore suo.
Retulit nobis dominus Be ardus de Lippa Abbas Livoniae, mmc episcopus ibidem, rem satis gloriosam. Cum qui m si hene memini conversus, qui nuper dem susc erat, mo chos communicare vidi.sset, et sibi hoc minime /icere cognovisset, stans con a altare
22 fleinrrct Chronicon Lrvoniae I. 10. p. 5.
23 Heinrici Chronicon Livoniae VII. 6. p. 23. 241/einrtcl Chronic 1Livomae . 10.p. 191.
2° Cae•·arii /ieislerbacenst mona u ordrms Crsterciensis Dralogus Mrraculorum. Tertum ../ accurate recogno••it Jos hus Strange. Colniae, Bonnae et B ellis, 1851, 2 vols.
21 Caesarius von Heisterbach. Libri 1711 miraculorum, hrsg. von A. Hilka. in Die Wundergeschichten des CaesariUS von l!eisterbach, op. cit. pp. 7-222.
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communicandt destdeno suspiravit. Et ecce pius Dominus sine sacerdotis mmisterio de altri per sacramenrum descendere di atus est in os eius. Qui mox hostiam aperto ore ostendens, et causam tantae gratiae man estans. cunctos qui aderant in Stupore convertit. ndem enim hosliam definsse reperenmt in altari. Simile huic contigit ante hoc biennium, quod tanto erat mirabilius, qua o sensui humano profimdius. 21
T2.2. De hiis, qui in Livonia per aspersionem baptizati sunt.
Cum Livonia primum (hristi fidem recepisset. tama multitudo ad Christum conversa est, ut sacerdotes, qui pauct erant tune temporis tllos baptizare non su icerent. Unde qui m aspersoria tollen/es in manibus circumeundo a ergebant, dicentes: „Baptizamus vos in nomine P ris et Filii et Spiritus sancti“. Postea habita questione super h isi , urrumnam essen/ baptizati vel non, quidam dicebant eos esse baptizatos, asserentes i os quinque milia et tria milia, qui praedicante Petro crediderunt, ta/i ordine baptizatos fuisse. Alii contrarium scntientes dicebam talem haptismus esse reiterandum, eo quodforma b tismi ibi non esset neque necessitaf mortis illam in baptizandis excluderet. Cerium es/ unam aque guttu/um cum invocatione sancte Trinitatis s e ere ad solwem credenti, sed hoc tantum necessitatis tempore. Unde Uvonienses predicto m o baptizati, sicut rehtlit mihi Theodencus sacerdos et monacJms ordinis Cysterciensis, in eadem provincia propter securitatem trina immersione secundum morem ecclesiae denuo baptizati sunt. Et hec de hiis dicta sufficiam. 26
T2.3. Oe eo, qui in Livonia con teri nolens, post mortem ad diversa loca penarum ductus, quam dona sit confessio resurgens manifestavit.
Tempore scismatis inter Ollonem et Philippum reges Romanorum, quando Christo propicial e Livoma dem recepit, nobilis qui m paganus Caupo nomine illic conver s est. Qui post baptismum tante fwt devotionis et tam probate conversationis, u/ dominus Albertus episcopus il/ius gentius, cum sedis sue digmtatem scilicet pallii, obtinere proponerat, ad sedem ostoltcam eundem secum duceret erans, eius presentiam apud dominum papam lnnocemium sibi passe prodesse. Huius servus, cum in Livonia in rmaretur graviter et presens esset predictus Caupo, magis de sa/ute animae eius sollicitus quam corporis, hiis
verbis egrotum allocutus est dicens: „Amice. dieuni nobis sacerdotes nostri, quod nul/us peccatorum sine medtcina conjessionis salvari possit. Et quia nullus sacerdotum presens est, cm confiteri possts, tu michi peccata tua dicas, et ego ascenso equo ad sacerdotem il/a perferam“. Cui mdis tlle virtutem confessioms tgnorans, pote novus in de, respondit: „Ego non pecc i“. Ttmutl etiam occulta srtorum peccatorum proprio pandere domino. Cumque
dominus instaret et servus se aliquid peccasse negaret, adiecit Caupo: „Promittas ergo in manum meam te non peccasse“. Et promisit. Qui non multo post ingravescente morbo spiritum, ut omnibus qui a rant, videbatur, exalavtt. Cuius corpus cum iacerat exanime, post a!tquot horas .spiritu reverienie cepit ocu/os aperire et circumse ntes allendere, cunctis stupentibus dejacti novitate. Erat et presens praedictus Caupo. Cui cum diceret: „Unde venis vel quid est, quod agis?“ respondit: „Ve michi, quia dixi „Non peccavi“. Modo scio me peccasse, eo quod vexatio dederil michi intellectum. “ Ad quem Caupo: „Die, obsecro, quid videris vel quid senseris“. Ad quem ille: „Duchts sum ab angelo Domini ad loca penarum sive
25 Caesarii Heister acensi. Dlalogusmiraculorum, IX. 37. T. 2. p. 193. 26 Caesa i Heisteroaccnsi. Llbri 1′ m1raculorum II. 18 p. 98-99.
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111 corpore sive extra corpus, 11escio, Deus seit. Et ecce! per manum aboli in disco oblati sunt mihi pisces igniti cum pipere bulliente nim1s. Dicrumque est michi: „En isti sunt pisces, quos socio tuo. rali piscatori. subtr isti et be11e piperatos late er contra pactum comedisti. Manduca ergo illos quia dignum est, pena respondeat culpe“. Quos inruens bene novi, quall/itatem. speciem e1 11umerum in eis considerans. Et cum nimis abhorrerem esum il/orum, dixit michi angelus Domini: „Dedistifidem domino 1110 te non peccasse, et quia te nunc magis accusant opera quam verbam. inevitabile est, quia pisces istos comedere debeas“. Quid plura1 Pisces eosdem penales m m imo crucia/11 manducavi, p1perum totum uriens. Deinde ductus sum ad alium locum, in quo vidi cacahum supra mensuramfervere, non ta en multo igne supposito. Cumque mirarer, quid hoc portenderer vel quid in cacabo esset, ait mfclu angelus: „Potus tibi preparawr“. „Qualis“. inquam, „porus? “ Respondil: „Medo“, et adiecit: „Dixisti enim sine peccato te esse, medicma conjessionis contempnens“. :t a uxit michi ad memonam fraudem a me perpetratam: habebam enim plura apum examina cum quodam vicino meo communia, sed ego miserrimus fidem illi non serbans ex quibus m vasculis melle occu/te sublaro medonem ex eo coxi et bibi. Nam eadem vascula. quibus mel tuleram, cum ca/dario vidi substantiata eratque ignis 11U1rimentum. Post modicum demone medonem ca/dario haurientes ori meo hullie em i derunt et compulsus sum eporare totum. Cumque omnia mteriora mea illius calore succenderentur, amavenmt demones: „Bihe. quod tibi preparasll“. Nam in eo m cacabo et e em mo , quo m1hi mulsum idem preparaveram, et mihi a demonibus preparatum est: eadem mensura, qua i/lud biberam cum dulcedine, in penis compulsus sum epotare. Quo expleto ductus sum rertium locum, in quo plaustnnn mmstum jeno conspexi. Er dixit michi angelus Domini: „Omne jenum istud in dorso tuo comburewr, eo quod die dominico de agro duxeris i/lud in domum tuam. sciens a sacerdote prohibitum“. Quantum sustinuerim pene, quando congeries illajeni per manipulos successive super dorsum meum in favillam re cta est, exp/i re non valeo. Et ait angelus: modo reducam te ad corpus. ut ceteris per te innotescat, quanta peccat1s pena dehealur, maxime ubi remedium conjessionis conlempnitur“. Hec nobis relata sunt a nobi/i viro Bemardo,quo11damdomino e ,tuneabbate111LivoniadomuorduusCysterciemiset poste episcopo, atque ab eius monacho. qui hominem novenmt. Cuius vita ab i//o Ie pore ta/is extitit. ta rig1da et tam religiosa. ut merito e1 cred1 debeat.
Ex hiis, que dicta sunt, patenter ostenditur, quod Deus puniar peccatum post hanc vitam, si ante deletum non fueri per sarisfactionem secundum quantitarem et qualitatem, secundum numemm et secun m modum. Quia predicti hominis gravior erat culpa, pena subsecuta es/ mag a; in qualibus peccavil, in ta/ ms luit. Cui et singula in penis sunt enumerata. in quo etiam peccandi modus servatus est. quia comedens illicite punitus est in comedendo, bihens in bibendo, portans in sustinen . . . . 1 27
1.5. Historiographie
Aucun chercheur n’a encore etudie ce qui se rapparte aux miracles en Livenie et en Estenie au Moyen Age. Voyons tout d’abord brievement !es analyses existantes des miracles touchant a ces deux regions dans l’oeuvre d’Henri comme dans celle de Cesaire.
Les miracles presentes dans Ja Chronique d’Henri Je Letton n’ont pas suscite, a notre connaissance, de commentaire particulier. L’historiographie nous l gue des commentaires aux miracles de Ia Chronique surtout dans !es diverses editions ou traductions a pa ir de 1740,
27 Caesarii Heisterbaccnsi. !.tbri V miraculorum I . 3 1 . pp. 56-58. 39
air.si que des appreciations isolees sur leur röle dans des ouvrages consacres a des probh!mes plus generaux.
Les editions et les traductions de Ia Chronique contenant les commentaires les plus pn!cieux par leur originalite sont l’edition de J 740, par Johann Daniel G ber, Ja traduction allemande de 1747 par Johann Gottfried Arndt et J’edition Ja meilleure jusqu’a ce jour, ceiJe de 1955 par L. Arbusov jun. et Albe Bauer. L’apport de Gruber a Ia question des miracles, ce sont Ia reference aux miracles de Cesaire de Heisterbach et un jugement fon precis (valable
jusque de nos jours) sur leur faible importance chez Henri 28 J. G. Arndt est, jusqu’a nos jours, le seul des commentateurs qui ait tente de trouver des paralleles aux miracles relates par Henri dans des textes plus anciens 2y L’appo principal de l’edition parue en 1955 et due a L. Arbusow jun. (decede avant Ia parution du Iivre. c’est lui qui a fait Ia plus grande pa ie du travail) et a A. Bauer30 a Ia recherche sur les miracles po e sur l’analyse textologique.
Outre les commentaires accompagnant les editions ou les traductions de Ia Chronique, 011 peut trauver quelques Observations et appreciations egalement dans des etudes plus !arges. Les historiens allemands baltes ne se sont pas etendus sur l’analyse des miracles de Ia Chronique; a notre connaissance seul Hermann Hildebrand propose un rapide commentaire de quelques histoires concretes: 110 (= T l . ! ), Vll.6 (= T12) et X.6. L’appn\ciation d’Hildebrand sur Ia modestie du traitement des miracles par Henri ne di ere pas sensiblement des opinions precedemment exprimees.31 Certains historiens estoniens ont par contre accorde un peu plus d’attention aux miracles. Le nom qui ressort en premier ici est celui de Juhan Luiga, qui, dans Ia derniere partie („Critique de Ia premiere partie de Ia C . La chronique de Theoderic“) de sa „Critique de Ia Chronique d’Henri le Letton“32, entreprise a Ia n de sa vie et restee inachevee, aborde Ia question des miracles chez Henri de maniere approfondie (et abrupte). A son avis, Ia premiere partie de Ia Chronique di ere grandement des parties suivantes, et cela notamment en raison de l’abondance des miracles: „La premiere partie de Ia Chronique se presente sous un forme fort di erent des autres dans Ia mesure ou eile est tissee de faits merveilleux, de miracles.“33 Luiga met cette dimension en rapport avec Ia personne de Theoderic, en soulignant de plus le caractere „retarde“ de Ia „vision du monde“ de l’auteur (suppose) de Ia premiere panie de Ia Chronique 34 En conclusion partielle de son analyse,
28 Originis l.ivoniae sacrae et civi/is seu Chronicon Livonicum vetus 1…1: Ex codice ms. recensuit, scriptorum cum aeuue, tum loc vicinorum resumoniis illustravit, sllvamque documentarum er tripltcem mdicem adiecit loan. Danicl Gruber. Franco rti: Lipsiae, 1740. Nous utilisons unc re ition in Scriptores rcrum Livonica m, Riga. Leipzig. 1853. Bd.l. p. 83. Anm. i.: Quare tantum abest, ur chranagrapharum nosrrum culpandum censeam. ut. quo in ta/1bus enarrandis parcior est, eo /ubentius gratiam er faciendam purem.
29 Der Lie tmdischen Chronik Erster Theil von Liefland unter seinem ersten Bischöfen !../: Oder die Origines Li1•oniae sacrae er civi/is .‘..: mit kurzen Anmerkungen begleitet und ins Deutsche abersetzt von J.G. dt, Halle in Magdcburg, 1747, p. I I , Anm. I ; p.36, Anm. 2: p. 183, Anm. i.
30 Heinrici Chronicon Livoniae, recognoverunt L.Arbusov ct A Bauer, op.cit.
31 H. ldebrand, Die Chronik Heinrichs von Leuland, op. eil., p. 16: Ein gewisser verständig nüchte er Sinn hat H{emrich} verhindert, in den unter semen Augen sich vollziehenden Thaisachen ebe atürliches enrdecken. oder gar zu suchen.
32 J. Luiga, „Läti Hendriku kroonika kriitika“ [Critique de Ia Chronique d’Henri le Letton], Eesti kirjandus, 1922/4. lk. 127-139; 1922/5. . 145-160: 1922/6. . 193-202; 192217, . 217-228; 1922/9. lk. 289-309; 1922/12. lk. 385-407: 1923/1. lk. 19-37; 1923/2, . 63-72; 1923/4, lk. 151-157; 1923/5-6. 1 .211-243; 192311 I. lk.495-530: I 926/10. lk.481-515.
33 J. Luiga. in Eesti kirjandus. 1926110, lk. 483. 34 Jbid.
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Luiga formule l’appreciation suivame: Ia premiere partie de Ia Chronique d’Henri (en raison de son caractere thaumaturgique), est en fait composee d’extraits d’une chronique plus complete (qu’i! denomme „Ia chronique de Theoderic“). Bien que certaines dimensions des analyses de M. Luiga peuvent etre heureuses, nous ne partageans pas toutes ses conclusions en cette matiere. II est tout d’abord exagere d’a irmer que seule Ia premiere partie contient du e eilleux, des miracles. Henri presente egalement dans Ia suite de sa Chronique bien des cas que l’on peut quali er de miracles (cf. XI, 5; XV, 4: XIX, 6; XVI, 10 etc.). Ensuite le röle de Theoderic dans !es miracles nous paralt egalement outre. Sans doute celui-ci joue-t-il un röle central dans les miracles ou dans Ies histoires miraculeuses en I, I 0, mais tout le chapitre lui etant consacre, son röle de protageniste dans les evenements relates n’a rien que de logique. Nous sommes d’avis qu’il est impossible de relever, dans !es autres parties de Ia chronique, de röle particulier attribue a Theoderic. Quant a l’hypothese de Luiga sur une chronique anteriettre, elle nous paralt tout aussi invraisemblable. Il faut neanmoins, en resume, reconnaitre Je röle de pionnier joue par cet auteur dans l’analyse des miracles de Ia chronique. Soixante ans plus tard, Enn Tarvel est le deuxieme historien estonien a attirer l’attention sur ce point. Mais il se Iimite a enumerer (partiellement) les miracles, sans ajouter ni analyse ni commentaire. � s
En conclusion on peut dire que Ia tradition historiographique jusqu’ä nos jours a ete plutöt unanime (a quelques exceptions pres36) pour juger que Ia Chronique d’Henri accorde un röle fort Iimite a l’ingerance divine dans les affaircs humaines, c’est a dire aux miracles.
Or si les miracles relates par Henri Je Letton meriteraient un peu plus d’attention avant tout de Ia part des historiens estoniens, en ce qui concerne Cesaire de Heisterbach, c’est le cas inverse: les miracles de Livonie (il est question ici de l’historiographie des tous les miracles ayant un rappo avec Ia Livonie) ont ete a mainte reprise utilises et analyses par les historiens allemands et allemands baltes, alors meme que les historiens estoniens les ont presque entierement negliges 37
La mention des miracles livoniens de Cesaire commence avec J. D. uber dans Ia premiere edition de Ia Chronique. Il fait reference dans ses notes a au moins quatre miracles du „Dialogue des miracles“ (il ne disposait pas des Libri �7ll miraculomm) VIII, 13; Vlll, 80; IX, 37; X, 35 J8 Le deuxieme a mentionner brievement !es miracles de Livonie dans sa monographie consacree a Cesaire de Heisterbach est l’historien allemand Alexander Kaufmann.’9 E. Winkelmann traite le sujet de maniere plus concrete, en concentrant
35 E. Ta ·et. „Hcn k ja tema aeg“ JHen et son tempsJ. in Religioom ja ateismi ajaloost Eestis, Artiklite kogwmk . (Toimetaja J. Ki,·imäc), Tallinn. Ecst• Raamat. 1987. lk. 14.
j6 Cf. notamment Sulev Vahtre. qui tient l’immixion des forces celestes (donc cgalement les miracles) ur fort i m p o r t a n t c d a n s I a C , c “ B a l t i k r n i k a d j a n e n d e o s a e e s t i r a h v a mi n c v i k u v a l g u s t a m i s e l “ [ L e s Chroniques baltcs et leur contribution ä Ia comprchension du passe du uplc estonieni, in Eesti K�r;anduse a;alugu. I. köide. Talhnn. Ecsti Raamat. 1965. lk 93.
37 En partant de sources dc seconde main. J. Luiga in Eesti Ktr;andus. 1926/IO, lk. 481-515 ct S. Valttre dans sa monographie Muinasaja loojang Eestis. Vabadu;vöitlus I208-1227, lLe crepuscule de l’ancienne Estonie, Le comhat pour Ia lih e, I 2 -I 22 Tallinn, Olion. 1990. lk. 16 mcntionnent Jes histoires dc C re.
38 J.D. Gru r in Scriptores rerum Ln,onicarum. Bd.l. ap. Cll., pp. 136-137, Anm. b.: pp. 230-231, A . : pp. 276-277. Anm. a.
39 A. Kaufmann. Caesarius von Helsterbach. Em Beitrag :ur Kult hrchte des 12. und 13. Jahrhunderts, 2. Aull., Köln. 1862.
41
exclusivement sur Ia personnage de Bernard de Lippe.40 En 1868 paralt un court article problematique sur l’un des miracles livoniens de Cesaire (Libri I . l ) par Eduard Pabst. Sa remarque porte sur l“‚eveque de Livonie“ gurant dans le miracle, et que Kaufmann estime etre Theoderic, alors que pour Pabst, il s’agit de l’eveque Albert 41 Apres Ia premiere edition scientifique des „Huit livres de miracles“, parue en 190142, Hermann von Bruiningk se Iivre une breve analyse des Livoniens y gurant. Outre l’inventaire de ces personnages, von B iningk formule egalement quelques hypotheses fort importantes sur les sources livoniennes de Cesaire (cf infra, 2.1.3.4) 4·‘ Apres cette utilisation assez intense des miracles de Cesaire (il faudrait ajouter cette enumeration quelques Oeuvres traitant de questions plus generale OU l’on a egalement puise des informations dans !es recits de Cesaire), L. Arbusov jun revient sur Ia question en 1938 avec son remarquable article „Des informations paralleles Ia Chronicon Livoniae d’Henri le Letton“- II en profite pour resumer l’opinion des historiens allemands baltes sur les miracles chez Henri et chez Cesaire:
Mehrere der : .. ‚ Wundergeschichten Li ergänzen die übernatürlichen Wunde so au ällgi arme Chronik des nüchternen, versländigen Priesters Heirich end gewähren Einblicke in jene mystische Seelensphäre des millelalter/ichen Menschen. die in unserer Livlandchronikfast gar nichl zu Worte kommt. 44
Apres un long arret, c’est l’historienne allemande Lore Wirth-Poelchau qui reprend les recits de Cesaire dans s o n article „Cesaire de Heisterbach sur Ia Livonie“45. Apres u n e courte presentation de Cesaire, eile fait le plus serieux inventaire propose jusqu’ici des recits livoniens dans l’oeuvre de Cesaire de Heisterbach. Elle en compte un total de 1 3 , dont trois se deroulent en Livonie meme. Apres un court commentaire de chacun des miracles, elle constate l’importance du röle de Bernard de Lippe en tant que source de Cesaire. Dans Ia de ere partie de l’article elle souligne l’importance des cisterciens dans l’histoire ancienne de Ia Livonie et dans ses rapports avec l’etranger (eile mentionne le röle essentiel du monastere cistercien de Dünamunde/Daugavgriva). Elle traite de maniere fort concrete l’activite de Theoderic et de Bemard de Lippe ainsi que l’image qu’en donne Cesaire. Elle tient les avis de Cesaire pour essentiels, dans Ia mesure OLl ses recits – !’inverse de ceux d’Henri – n’ont pas une fonction propagandiste directe. En resume, on peut dire que, meme si l’article en question est Ia tentative d’analyse jusqu’ici Ia plus profonde des miracles d e Livonie chez Cesaire de
40 E. Winkchnann. „Der Magister Justinus Lippiflorum. Nebst Erörterung und Register zur Geschichte Bemhards li YOn der Lippe. des Abts von Dünamunde und Bischofs des Selonen“, M theilungen aus dem Gebiete des Geschichte Ln•-. Ehst- und Kurlands. Band XI, 1868. Riga, pp. 4 1 8-496, surtoul pp. 478-482.
41 E. Pabsl. „Von einem Mirakel im Sti e Lüttich. Anno 1223 und wie es dem Bischof Yon Livland dabei
ergangen“. Beilrtl e :ur Kunde Est-, Liv- und Kurlands. Band I, He I , Reval. 1868. pp. 62-66.
42 Die F menfe der „Libri V Miraculorum“ des Cnesnrius von ffeisferbach, Hrsg. von Aloys Meister,
Rom. 190 I (Römische Quartalsschri r chrisllichc Allerthumskundc und Kirchcngcschichle, 1 3 Supplcmenthc ).
43 H. von Bruiningk. „Livländisches aus den Fragmemen der „Libri VIII Miraculorum“ des Caesarius von Heisterbach“. Sitzun berichte des Gesellschaft ftr Geschichte und Alterthumskunde des Ostseeprovinzen Russlands. Riga. 1905. pp. 226-230; le proble e des sources livoniennes chez Cesaire est aussi traite, en meme ann e. par W. Schlüter. „Beiträge zu den Zeugnissen ü r den Aufemthalt Livländischer Bischöfe und Äbte in Dculschland“. Sitzungberichte der Gelehrten Estnischen Gesellschafl /904. Juljew (Dorpat). 1905. pp. 38-44.
44 L. Arbusow. „Zeilgenössische Parallelberichte zum Chronicon Livoniae Heinrichs von Lenland“ in Liher snecularis, Opetatud l:“esti Seltsi Toimetused. , Tartu. 1938. lk. 42. 45L.Wirth-Poelchau.“CacsariusvonHeislerbachüberLivland“.Zeitschr ftrOstforschun . 198214.pp.481-
42
498.
Heisterbach, l’auteur soulignant quelques dimensions essentielles de ceux-ci (dont l’importance des Cisterciens en Livonie). on ne saurait Je tenir pour une analyse complete. En e et, I) l’auteur n’approfondit pas l’analyse textuelle, elle se bome au premier niveau, Je niveau informatif; 2) il manque une comparaison avec d’autres sources; 3) l’auteur n’entend pas tant analyser les miracles que glaner les rares informations qu’ils transmettent sur Je roJe d�s Cisterciens dans Ia christianisation de Ia Livonie (but qui en soi ne manque pas d’importance).
2. ANALYSE
2.1. LA FORME
2.1.1 . L’analyse structurale: remarques methodologiques
La tentative d’analyse structurale du corpus suivant ne se fonde pas sur un modele quelconque anterieurement propose. Les principes generaux dont nous nous inspirons ont ete formules de maniere su samment claire et concise par Roland Barthes 46 Concretement, Ia premiere partie de cette analyse – les personnages et l’action – a ete fortement inspiree par Ia methode de Tzvetan Todorov. methode qu’il a lui-meme nommee „Ia grammaire du recit“ 17 Cette approche est basee sur un traitement des similitudes internes du Iangage et du recit. Pour citer Todorov· „On comprendra mieux Je recit si l’on sait que Je personnage est un nom et l’action un verbe“ 48 La deuxieme partie de l’analyse – celle de Ia st cture narrative – doit beaucoup aux travaux de Claude Bremond et part du modele structurel propose par celui-ci pour les exemp/a medievaux 49
Outre les ouvrages theoriques cites ci-dessus, l’analyse suivante a pris pour modele
quelques travaux anterieurs de medievistes inspires par l’analyse structurale (su out Jean
Ciaude Schmitt).50
Essentiellement pour des raisons formelles, nous procederons a une analyse separee des deux parties du corpus pour en conclusion comparer les resultats obtenus.
46 R. Banhes. „lnt uction ä l’ana1yse structurale des recits“ (I966) in ld., L’aventure semiolog1que. op.cit., PD. 167-206.
47 T. Todoro\‘. „La grammaire du recit: Je Decameron“. in ld.. Poel/que de Ia prose sui de ,\’ouvelles
recherches sur le recir. Paris. Seuil, 1978. pp. 47-57; cf. ld. Paris 1969 (Approaches 10 Semiotics 3).
Grammaire du Decameron, Mouton, Hague, 49 C. Brcmond. „Structure de l’exemplum chcz Jacques de Vitry“. in C. Bn!mond, J. Le Go , J.-C. Sc u,
48 T OTO\‘. „La grammaire du r it…“ op.CII.. p. 57.
L'“Exemplum“. op.cll.. pp. 109-143.
J.-C. Schmin. Le Samt le•·rier. G11mejort, guensseur d’e�{ants isle Xlifeme Slecle. P s, Flamma on.
1979. sunout pp. 6 1 -99: J. Berlioz. „L’homme au crapaud. Genese d’un ·e�emplum“ me e,·aJ“. in „Tradwons er Histnire dans Ia culrure populmre“. Rencontres outnur de l’oeuvre de -,\ Guelcher. Centre Alpin et Rl1odanicn d’Ethnologic. Grenobl�. 1990 (Documents d’cthnologie regionale. II). pp. 169-203: A. Boureau, La legende Doree. Le sysr me na alifdeJacques de I oragme. Pn!face de J. Le Gorr. Pans. Ce . 198�.
43
.
2.1.2. La Chronique d’Henri le Letton
2.1.2.1. Les personnages
* DansT1.1.noustrouvons!espersonnagessuivants:
a) Je ere cistercien Theoderic
b) un livonien malade (in irmus eciam)
c) !es femmes du malade d)unnouveauconverti(neophytusquidam) temoindumiracle.
Nous pouvons encore ajouter e) !es anges.
* Dans T 1 . 2 les personnages (ou groupes de personnages) sont au nombre de deux:
a) le moine Sifrid (monachus nomine Sifridus)
b) Ia foule des convertis = Ies parroissiens (parrochiani)
* C’est le troisieme miracle – T 1 . 3 qui met en oeuvre le plus de personnages:
a) un marchand chretien (mercator chrislianus) = le tue b) un Estonien (Eslo) = l’assassin
c) Ia femme de I’Estonien
d) Je ls de l’Estonien et de sa femme.
e) beaucoup de gens (multi) = les te oins du miracle. 2.1.2.1.1 Les personnages invariables
Une analyse detaillee des personnages identi es permet de relever que certains types – plus pn!cisement deux – gurent dans tous les trois textes. Nous pouvons convenir de les appeler de Ia sorte:
• I . Le heros positi Je chretien T I . I : Je nouveau converti
Tl.2: le pieux moine
T l .3: Je marchand chretien (martyr)
* 2. Les indigimes, te oins du miracle, convertis
T I . I : un nouveau converti, qui a l’äme du malade po ee au ciel.
Tl.2: des convertis, te oins de l’allongement d’une planehe du cercueil.
T l . 3 : beaucoup de gens, des conve is indigenes, qui ont reconnu les blessures.�1
51 II est fon vraiscmblable de tenir „nombrcux“ (mu/11) ur baptises, dans Ia mcsure oü ils ont \ Dieu
derrierc lc miraclc: Er multi l’idenres adnurabanrur. resumomum perhtbentes er vindicrnm Det proban/es ..I (T.I.3.).
44
A propos de ces deux types de „personnages invariables“, il convient de relever deux dimensions: I ) les trois types de personnages que nous avons classes sous l’appellation commune de „heros positit“ co ncident presque ä cent pour cent avec ceux qui, d’apres Ia conception d’Augustin (dont l’influence sur Henri le Letton a ete remarquee, voire exageree par de nombreux auteurs), seuls, apres leur mort, vont au paradis (valde boni).s2 Saint Augustin distingue lui aussi trois cas de gure:
I. Les nouveaux convertis, qui meurent tout de suite apres avoir re u le sacrement du bapteme;
2 . les hommes pa aits (viri perjecti}, c’est ä dire les chretiens n’ayant point peche;
3. Ies martyrs.
2) II faut relever le fait que les te oins des trois miracles sont des indigenes qui ont dejä ete
baptises. Jl n’est pas di kile de Iire derriere ce point l’ideologie du chroniqueur issionnaire. 2.1.2.2 . L’action
Dans ce paragraphe, nous tenterons de reduire les textes choisis aux elements constitutifs du recit; plus tard, dans le courant d e l’analyse, nous expliciterons Ia logique des relations syntagmatiques entre lesdits elements.
* Tl I L’action se compose des elements suivants:
I . Un Livonien malade appelle le frere Theoderic et demande le bapH�me.
2. Les femmes tentent d’empecher le moine d’exercer sa sainte mission, mais leur obs:ination est vaincue.
3. Le malade (M) est baptise et remis par des prieres ä Ia gräce de Dieu. 4. M meurt.
5. Un conve i voit l’äme de M portee au ciel par des anges.
* Tl.2:
2. S meurt.
3. Des nouveaux convertis (NC) portent S aupres de l’eglise et lui fabriquent un cercueil.
4. NC decouvrent soudain qu’une planehe est trop cou e de tout un pied.
5. C cherchent une nouvelle planehe qu’ils tentent d’adapter au cercueil.
6. C constatent que Ia planehe anteneure s’est allongee par inte ention divine: elle s’adapte parfaitement au cercueil.
7. NC mettent de cöte Ia nouvelle planche, enterrent S et louent le Seigneur.
52 Cf. A. Boureau, op.CII., pp. 133-134; ä comparer aYec J. Lc Go . La naissance du Purgatoire. P s. Gallimard. (1981) 1991. pp. 92-118.
1 . Le moine Sifrid (S) prend soin avec grande piete de l’äme des Livoniens.
45
* T1 .3:
I . Un marchand chretien (M) demeure chez un Estonien (E).
2. E tue M = M meu .
3. La femme de E met au monde un ls, qui porte sur le corps des blessures aux endroits ou son pere avait blesse M.
4. Baucoup de gens s’etonnent a cette vue et portent temoignage. 5. Une armee chretienne tue E.
2.1.2.2.1. La logique de l’action
A regarder de pres les elements de l’action de ces recits, il est facile de constater certains Iiens logiques entre des elements precis, qui se repetent dans les trois textes. n de mieux faire ressortir Ia logique de l’action, nous Ia presentons sous forme de tableau:�3
Un pa·ien est
gravement malade
Le malade
demande au
moine de Je
baptiser
M meurt
baptise
M est tue par E
L’äme du M est
portee au ciel
par les anges
Le ls de E a
sur son corps
des blessures
aux endroits ou M avait ete blesse
Le neoph e voit l’äme
du M portee au ciel par
les anges
Les m!ophytes voient que
Ia planehe du cercueil d’est allongee
Beaucoup des neophytes
voient !es blessures et
s’en etonnent
Sifrid (S), un
moine, est au
service des
Livoniens
Un marchand
chretien (MC)
Ioge chez un
Estonien (E)
S loue Dieu
jour et nuit
M fait
con ance a l’Estonien
Dieu donne a S une mort bienheureuse
Une planehe du
cercueil de S est
allongee par
miracle
Les colonnes pourraient s’intituler de Ia sorte: Ia premiere, qui precise les conditions prealables a l’action – Circonstances introductrices, Ia deuxieme – Le bon comportement du heros. C’est bien cette idce que nous pouvons en e et rattacher Je desir du malade d’etre baptise, Je se ice sincere de Dieu par Je moine, Ia con ance du marchand a l’egard de l’Estonien. La troisieme colonne, qui est aussi Je noyau de l’action, est consacree a La mort bienheureuse du heros: celui-ci meurt respectivement baptise, bienheureux et martyr. La quatrieme colonne reconnait Ia qualite de Ia mort prccedente et peut etre intitulee tout simplement Le mirac/e. La cinquieme et derniere colonne sera elle intitulee La reconnaissance miracle par le(s) neophyte(s) autochtone(s). Ainsi Ia logique de l’action se dessine-t-elle d’apres Ja linearite
53 Cf. T. Todorov. Litterature et significalion, Paris, Larousse. 1967. p. 55; cf. aussi C. Levi-Strauss, “ structuredesm hes“,inld..Anthropologiestructurole.Pa s. Plan.(1958)1974.pp.227-255.
46
(M)
chronologique suivante: Circonstances il roductrices : bon comportement du heros : mort bienheuret/Se du heros· miracle reconnaisance du miracle par /e(s) m!ophyle(s) autochtone(:,) .
2.1.2.3. La structure de Ia narration
En traitant de Ia logique, nous n’avons pas manque d’e eurer Ia question de Ia structure narrative, que nous abordons maintenant de plus pres en pa ant des principes poses par Claude Bremond.54 Bremond, en analysant Ia structure narrative des exemp/a de Jacques de Vitry, predicateur du XIIle e siecle, distingue di erentes etapes dans le deroulement de Ia narration. On part des circonstances introductrtces. qui sont suivies de Ia mise a epreuve, due au hasard, au diab!e ou a Ia providence divine. Cette mise a l’epreuve permet de faire ressortir le merite ou le demertte du heros. En consequence de son comportement, suivent !es n!trihutions, ä savoir, respectivement, une recompense ou un chätiment. Cet enchainement de possibilites peut etre represente de Ia sorte:
Merite Recompense Circonstances ou
introductrices Demente – Chätiment
Bien que ce modele structurel ait con u par Bremond ä partir des exempla medievaux et non des miracles (categorie qui convient mieux aux recits d’Henri le Letten). il convient parfaitement a l’analyse narrative du corpus ici presente55. Ainsi, conformement au modele presente. pouvons-nous articuler Ia narration des miracles d’Henri le Letton comme suit:
* I . Circons1ances introductrices
T. l . l : Temps-espace (cf in a, 2 . 1 2.3 . 1 .)
: Le malade (M) demande le bapteme T. l .2: Temps-espace
: Le pieux moine Sifrid (S) prend pieusement soin des ämes a lui con ees T.1.3: Temps-espace
: Le marchand chretien (MC) Ioge chez un Estonien
C. Bremond. op.c11.. pp. 124-126.
55 Valerie Eddcn a certes pro st pour les exemp/a un ele narratif complet . en y ajoutant le concept
d“·auxiliaire“:
Introductory
circumstances
.<
puttmg
to the test
helper (brings grace) found cqual helper/snare
(giyes mislcading 3d iec) – found wanling
Mais le modele rd par lä aucoup de n uni\·ersaliu! et il ne serait plus appli ble ä notre corpus. Cf. V. Eddcn „D ils. Sermon Stories. and the Problem of Popular Belief m the Middle Ages“. The l’eorbook of f nglish Srw es. vol.22 . 1992. pp. 213-225.
47
* 2. La mise a !’epreuve: Ia mort T. l . I . : M meun
T.1.2.: Smeurt
T.1.3 :MCesltue
* 3. La niponse a l’epreuve: le merite
T. l . l : M meurt baplise
T.l .2 : S meurt bienheureux T. 1.3.: MC meurt en ma yr
* 4. La recompeme: le miracle
T. 1 . 1 : Les anges emportenl l’äme de M au ciel
T . l .2 : La planehe du cercueil de S s’allonge miraculeusement
T. I . 3 . : Les blessures du martyre de MC apparaissent sur le corps de l’e ant du meurtrier.
2.1.2.3.1. Chronotope
Sous ce poinl, inspire par M. Bahlin, nous regardons de plus pres Je temps et l’espace dans lesquels Henri le Letton situe son recit. A Ia difefrence de Cesaire de Heisterbach (c infra, 2.I.3.3.1), il est possible d’identifier le lieu et le moment de l’aclion avec une precision su sante:
T . l . 1 : – L: Livonie, Turaida (in Thoreida) -M: 1191
T.l.2 : – L: Livonie, parroisse deHolme (inparrochiaHolme) – M: 1203
T.l .3.: – L: Estonie, Sakala (in Saccala) – M: 1223
Dans les precisions le porelies donnees par Henri, une circonstance frappante merite d’etre relevee. C’est que dans tous !es trois cas, Henri introduil !es circonslances le porelies (!es da1es precises sont des deductions pos1erieures des historiens) par !es mots: eodem tempore, c’est a dire „en ce temps-la od6 Sans doute cela enlend-il marquer l’universalile, l’atemporalite desdils evenements, a Ia di erence de Ia lemporalite des batailles, des expedilions elc, qui sont marquees par des indicalions temporelles bien plus precises.
56 Dans Je cas dc T.1.1.. ceci ne ressoTt nwlement du te e; mais en repJa9ant Je passage isole dans son conte 1e. c’est ä dirc en examinant Ia C . nous voyons qu’il s’agit de l’unc de deux histoires portant sur des tentative de guerison dc malades par The e c. Henri introduit lui-meme cette guerison en dcu., partics de Ja sone: Eodem tempore L o quidam de Thoreida vulnerntus petivil afratre Theoderici curari, promiuens se, si curatusfuerit, baplizari. (C 1.10).
48
2.1.3. Cesaire de Heisterbach.
2.1.3.1. Les personnages.
Dans les recits de Cesaire de Heisterbach nous pouvons distinguer !es personnages suivants: * T.l.l: .
a) un frere convers tout juste conve i (quidam conversus) b) des oines
c) !es presents (cunctos qui adera ) = te oins du miracle.
* T 2.2:
a) des Livoniens neophytes
b) des pretres * T.2.3:
a) Kaupo, un palen (qui m paganus Caupo nomine)
b) le serviteur de Kaupo (.1·ervus). qui est jeune dans Ia foi (novus infide) c) Ies presents (omnibus i aderant) = te oins du miracle.
Nous pouvons leur ajouter:
d) les anges
e) !es de ons.
2.1.3.1.1. Les personnages invariables
Tout co e chez les personnages du texte d’Henri, nous relevons chez ceux de Cesaire quelques types (ou groupes) qui se repetent dans tous les recits. Nous !es deno inerons comme suit:
* I . Le(s) heros autochtone(s) /outjuste converti(s)
T.2. I . : Un frere convers livonien tout juste converti T.2.2.: Des r:eophytes livoniens
T.2.3.: Un serviteur livonien, jeune encore dans Ia foi.
• 2.Lespn!sems.te oinsdumirac/e
T.2. 1 . : Les presents qui ont trouve que l’hostie n’etait plus sur l’autel T.2.2.: Les Livoniens qui ont reconnu avoir ete baptises par aspersion T.2.3.: Les presents, stupefaits par le retour a Ia vie du serviteur.
Nous voyons donc que si Henri avait reserve aux neophytes autochtones essentielle ent le röle de H� oins, chez Cesaire ils sont eux- e es les heros du miracle. Notre hypothese est que cette di erence s’explique par Ia di erence de position des deux auteurs. Alors qu’Henri ecrivait sur place Ia chronique de sa propre ission en tant que pretre, et qu’il avait besoin, pour justifier son action et celle de ses ca arades, du soutien et de Ia
49
reconnaissance des habitants du pays, pour Cesaire, en Allemagne, il etait de toute premiere imponance de mettre en avant les neoph es et de prouver par Ia meme les succes de l’action des meines, ses compagnons.
2.1.3.2. L’action * T.2.1.:
I . Un frere convers est u n conveni de fraiche date
2. Les meines communient
3 . Le m!ophyte, qui n’a pas droit a Ia communion, aspire a y participer
4. La hostie parvient sans le truchement du pretre dans Ia beuche du neophyte
5. Les presents sont slup ies et constatent que cette meme hostie n’est plus sur l’autel
* T.2.2.:
I. Il y a une grande foule de conve is a baptiser
2. Les pretres baptisent !es Livoniens (L) par aspersion au nom de Ia Sainte Trinite 3. Discussion sur l’e cacite de l’aspersion, une pa ie des Livoniens s’en contente 4. Les Livoniens, pour plus de securite. sont baptises par triple immersion
5. Les Livoniens temoignent de ce que cela est su sant
* T.2.3.:
l . Un se iteur de Kaupo (S), encore jeune dans Ia foi, tombe gravement malade
2. Kaupo propese a S de se confesser
3 . S re se le sacrement de Ia confession
4. S meurt
5 . Un ange conduit S dans di erents lieux d’expiation 6. S doit manger des poissons pimentes
7. S doit boire de l’hydromel bouillant
8. Un chargement de foin est br le sur !es epaules de S 9. L’ange renvoie S sur terre
I 0. S ressuscite et temoigne.
50
2.1.3.2.1. La logique de I’action
Nous presentons. comme dans le cas precedent. Ia logique de l’action sous forme de tableau:
IUn Livonien s’est convrrtt est devenu frere convers
Tl y a beaucoup de convertis qu’il faut baptiser
Un serviteur de
Kaupotombe
gravement malade
II aspire
communier mais
respecte
I‘ interdiction
Les Livoniens
demandent le
bapteme
Le serviteur s’etait recemment converti
Les moines
communient
Les Livoniens
sont baptises par
aspersion
Kaupo lui
propose de se
confesser, mais le
serviteur re se
L’hostie va toute
seule dans Ia
bouche du fn!re
convers
Les Livoniens
(une partie) sont
baptises par
aspersion
Le serviteur va en
enfer mais il est
ensuite renvoye
sur terre
Tous les presents
sont stupefaits et
constatent qu’il
manque une
hostie sur I’autel
Une partie des
Livoniens
con rme avoir ete
baptisee
Les presents sont
stupefaits de voir
l’äme du se ietur
regagner son
CO S
Ici, les colonnes seront intitulees de Ia sorte: pour Ia premiere (tout comme dans le cas des miracles d’Henri), Circonstances introductrices. La deuxieme colonne (de meme): Le bon comportement du (des) heros. Dans les cas presents, il s’agit de l’aspiration communier et du respect de l’interdiction de communier (T.2.1), du desir des Livoniens d’etre baptises (T.2.2) et de Ia n!cente conversion du se iteur (T.2.3). Le troisieme element de l’action pourrait etre appele La possibilite du sacrement. II n’est pas di cile en e et de constater que le toumant de chaque miracle est lie l’accomplissement ou l’o re d’un sacrement. n faut noter qu’il est question ici des trois sacrements centraux du christianisme: le bapteme, Ia communion et Ia confession. L’aspiration au sacrement, ou acceptation ou son re s sont les facteurs qui conditionnent l’evenement suivant, Le miracle. ll est interessant de remarquer que dans un cas celui-ci est charge negative (T.2.3., cf. infra. 2.1.3.3.). Nous intitulerons Ia quatrieme colonne de ce tablcau (de meme que dans le precedent) Ia reconnaissance du miracle par les presents. T.2.2. fait exception dans Ia mesure ou !es te oins du miracle en sont !es pa icipants eux-memes. La chaine logique de l’action se deroule donc lineairement de Ia maniere suivante: Cu·constances imroduc/rices : bon comporteme/11 du (des) heros : possibil e du sacrement : nnracle : reconnaissance du miracle par /es presents.
2.1.3.3. La structure de Ia narration
Le modele de structure narrative elabore par Cl. Bremond propos des exempla s’applique ‚particulierement bien Cesaire, puisque, comme nous l’avons dej , !es recits du moine de Cologne relevent par bien des traits de ce genre. En partant de Ia structure des miracles, nous procederons d’abord l’analyse des deux premiers recits (T.2.1. et T.2.2.), apres quoi nous examinerons part, suivant un modele quelque peu modi e pour Ia circonstance, Je troisieme
(T.2.3.).
51
* I . Les circonstances introductrices T.2. 1 . : Temps-espace
: Un frere convers vient de se convenir T.2.2. · Temps-espace
: Une grande foule de Livoniens qui se sont convertis au christianisme et qui doivent etre baptises
• 2. La mise a l’epreuve
T.2. 1 . : La communion des moines, ä laquelle le frere convers n’a pas le droit de
participer
T.2.2.: Le bapteme des Livoniens par aspersion
* 3. La n?ponse a l’epreuve: le merite
T.2.1.: Le frere convers aspire ä Ia communion, mais il respecte l’interdiction qui le
frappe
T.2.2.: Les Livoniens veulent etre baptises et se contentent d’un bapteme par aspersion
* 4. La recompense: le miracle
T.2.1.: L’hostie va toute seule dans Ia bouche du frere seculier T.2.2.: Le bapteme par aspersion s’avere su sant
Pour proceder ä l’analyse narrative du d ier element de corpus il faut quelque peu completer le modele de Bremond. ll ne s’agit eependant guere d’une exception dans Ia tradition des exempla, mais bien, comme le montre clairement Jeröme Basehel dans sa remarquable etude des representations medievales de l’enferl1, d’une speci eite qui eoneerne presque toutes les struetures narratives des exempla medievaux concernant l’enfer. Plus preeisement, dans le cas des visions infernales, le reeit ne se eontente pas des deux possibilites habituelles, d’une strueture binaire, mais ajoute une troisieme voie, une voie de eompromis, qui ouvre Ia possibilite d’une „reeompense“ meme a quelqu’un qui s’est „mal“ eomporte. Le eomplement au modele que propose J. Basehel se presente de Ia sorte:
merite recompense demerite ehätiment
Comme nous le voyons, Basehet a ajoute au modele, entre !es deux de ers elements, une „diagonale du salut“ Je long de laquelle les personnages conda e s peuvent progresser vers Ia „n!compense“
Conformement ä ce nouveau modele, nous pourrions expliciter Ia strueture de T.2.3. de Ia sorte:
57 J. Bas 1et. Les Justices de t:4u-delti. Les representations de l’enfer en France et en ltalie 1Jeme- eme siecle). Ecolc fran,aise de Rome. Rome, 1993. p. 77.
52
* I . Circonstances introductrices
T . 2 . 3 . : Un serviteur encore jeune dans Ia foi (S) tombe gravement malade.
• 2. Mise ä / preuve: le sacrement
T.2.3.: Kaupo lui propose de se confesser
* 3 Reponse ä Ia mise a l’epreuve: le merite T.2.3.: S refuse de se confesser.
* 4. Cha:tmem
T.2.3.: S doit subir les peines de l’enfer
* 5. Recompense: /e mirac/e
T.2.3.: S est renvoye sur terre.
2.1.2.2.1. Chronotope
A Ia difference de celui d’Henri, le chronotope de Cesaire est
est en generat designe par le seul concept de Livonie (Lil’onia) et Je moment l’est surtout par une caracterisation du canal d’information ou par des indications indirectes: Cum Livonia
pnmamfidem Christi receptsset (T.2.2.). A partir de ces rares donnees, nous pouvons inscrire l’a tion des recits de Cesaire dans Je temps de Ia maniere suivante:
T 2.1 · 1211-1218. En e et, au debut de l’exemplum, Cesaire mentionne Bemard de Lippe, le narrateur de cette histoire, comme „abbe de Livonie, actuellement eveque dans cette meme region“ (Abhas Ltvoniae, nunc Episcopus tbidem). Bemard etait donc, au moment ou se deroule cette histoire, abbe d’un monastere (Dünamunde, alias Daugavgriva). Il a ete appele cette fonction en 1 2 1 I . Or c’est en 1 2 1 8 qu’il est devenu eveque de Zemgale (Cf. in a,
2.2.2 2. ).
T.2.2. v. 1 190-v. l215. Dans ce cas, Ia determination du moment de l’action est nettement plus compliquee. Cesaire donne comme source Theoderic, pretre et moine cistercien (7 eodertcus sacerdvs er monachus ordinis Cysterciensis). La question est de savoir de quel Theoderic il s’agit ici. Sans doute pas du Theoderic abbe du monastere de Daugavgriva, plus tard eveque d’Estonie (mort Je 1 5 .IV. l 2 1 9), car Cesaire ne l’a fort probablement pas rencontre personnellement Or le Theoderic du recit a transmis ses informations au moine de Cologne directement (sicut retulit mihi). De plus, Cesaire n’aurait pas manque le cas echeant de mentionner les fonctions d’abbe et/ou d’eveque de ce Theoderic (comme il le fait en DM Vlll, 1 3 · Theodertcus tpiscopus Livoniae). Hermann von Bruiningk a suppose qu’il pourrait s’agir d’un Theoderic pretre de Krimulda (Cubbese/e), dont parle Henri Je Letton dans sa chronique (CHL Xl,5).l8 Mais il s’agit Ia d’une simple supposition et Ia solution de ce proble e demeurera sans doute obscure. Meme en partant de Ia suggestion de von Bruiningk, nous ne pouvons situer le moment de l’action plus precisement qu’au debut de Ia christianisation des Livoniens (epoque laquelle auraient pu avoir lieu des baptemes des grandes foules), c’est dire la fin du XlJeme-debut du XIIle e siede. Les evcnements relates par Henri et situes en 1 207 ne peuvent nous donner ici que des orientations tres imprecises.
58 H. von Bntiningk. „Li\’län schcs aus den Fragmenten…“.op. eil.. pp. 229-230. 53
beaucoup plus imprecis. Le lieu
T.2.3.: 121 1-1 2 1 8. Cesaire commence ce recit avec une indication temporeUe fort precise:TemporescismatisimerOnonemetPhil u mregesRomanorum,c’estädireentre 1 198 1208 Cela cependant ne se rapparte pas au miracle relate, mais ä Ia conversion au christianisme de Ia Livonie.l9 II y a encore une indication temporeUe dans le texte de Cesaire, lä ou il est question du voyage de Kaupo ä Rome (cf infra, 2.2.2.2.). D’apres Henri, ce voyage s’est deroule en 1203-1204 ( Vll,3 et Vlll,2). Mais pour determiner l’epoque du miracle en question nous disposans dans ce cas aussi du commentaire de Cesaire sur son info ateur, Bernard de Lippe (et l’un de ses moines): nmc abbate in Livonia, domu ordinis Cysterciensis etpostea episcopo. Des lors l’action de ce recit, com e dans le cas de T.2.1., s’inscrit dans Ia periode ou Bernard etait abbe du monastere de Daugavgriva.
2.1.3.3.2. Les sources d’information
En partant des specificites du recit de Cesaire, nous devrions rapide ent examiner egalement ses sources orales. Comme nous l’avons releve ci-dessus, !es sources des textes de Ia deuxieme partie de notre corpus sont respectivement Be ard de Lippe (dans deux cas) et Theoderic de Krimulda (?). Pour apprecier le contexte, il nous semble interessant de comparer ces donnees aux sources des autres miracles livoniens de Cesaire. Les 13 recits livoniens donnent en so me le Iiste suivant (une analyse plus approfondie ne rentrant pas dans le cadre de cette etude):
Be ard de Lippe: DM IX,37 DM X,35 Libri 1,21 Libri 1,31
Homeliae 234 L’eveque Albert: DM IX,4
Libri I, I ? UnabbedeLivenie(AhbasLivoniae) : DMXI,18
Un abbe de Livonie (peut-etre le meme que precedemment): DM XI,35 Theode c de Krimulda (?): Libri II,13
lohannes. vicaire de l’eveque Albert: Vita s. Engelberti III,52
59 Les querelies ur le tröne entre Philip et Othon sont utilises assez souvent par Cesaire dans scs histoires (cn tant quc catcgorie temporclle). Par excmple DM V.37: Eodem anno quo Re Philippus pnmum ascendit contre Ottonem postea imperatorem ../: DM !V,27: Tempore schismatis. quod erat inter Philippum er
01/onem Reges Romanorum; DM 1X,51: Tempore schi at1s inter Philippum et Ottonem .
Tempore d1scord1ae mter Ollonem et Phillppum f..l; DM XJ1,40: Tempore sch1sma11s mter Ouonem er Ph1ilppumRegesRa anorum ..I; CesaireparledecesquereliesetdelcursolutionenDMX.23.
60 Sur les sources orales de Ccsaire en gencral, cf. B.P. McGuirc, „Friends and Tales in the Cloister. O sources in Cacsarius of Heiste ach „Dialogus Miraculorum““, Analeeta Cistereiensia, 1980/ 36, pp.l67-245. Malheureusement Je riche article dc McGuire ne traite des sources livoniennes de CCsaire que tres brievement, . p. 229: c aussi L. Winh-P lchau „Caesarius von Heisterbach ü r Livland“. op. eil.. pp. 488-492.
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..1; DM X,J9:
L’eveque Theoderic?: DM VIII, 13 DM VIII,SO
11 ressort de ce resume que Ia principale source de Cesaire a ete Bemard de Lippe (il faut ajouter que Bemard a pu egalement servir de source a DM VIII, I , ; VIII,80; IX,4 et Libri 1,1), ce qui ressort egalement de notre corpus (cf. aussi in a. 2.2.2.1.).
2.1.4. Resu e comparatif
Au terme de l’analyse formelle des deux groupes de textes, nous allons tenter de comparer !es resultats obtenus et de presenter une caracterisation globale. Les deux oupes de textes se distinguent par deux personnages invariables. Dans le premier cas il s’a ssait du heros chretien et du (des) temoin(s) autochtone(s). Dans le deuxieme cas nous avons le(s) heros, neoph e(s) autochtone(s) et les presents, te oins du miracle. Les types donc correspondent de par leur contenu. sauf que parfois les röles sont intervertis. !I n’est pas non plus di cile de relever des analogies entre les „logiques de l’action“ et les structures narratives des deux groupes de textes. Pour le premier groupe de textes, nous avons pu relever l’enchainement lineaire suivant: circonstances i ctrices : bon comportemellf du heros : mort bienheureuse du heros : miracle : reconnaissance du miracle par le s) neophyte{s) autochtone(s). Pour le deuxieme groupe, Ia logique du deroulement se presente de maniere presque identique. avec comme unique difference Ia substitution d’un element – Ia mort du heros – par un autre: Ia possibilite du sacrement. Ce qui donne: circonstances introductrices : bon comportement du (des) heros :
possibilitedusacrement :miracle:reconnaissancedumiraclepar/esprese s.
En somme: toutes les parties du corpus choisi ont Ia meme st cture logique de l’action.
Precisons cependant qu’il ne s’agit certainement pas d’un hasard, mais d’un modele valable pour Ia majorite des miracles medievaux: ce resume ne fait que confirmer l’homogeneite du corpus choisi et sa coherence interne.
La ressemblance de Ia structure narrative est prouvee pour sa part deja par le fait que tous les textes releves (a une exception pres. qui con rme Ia regle), peuvent etre analyses suivant le modele de structure narrative elabore par Cl. Bn\mond a l’intention des exempla. La structure narrative des textes presentes (sans compter T.2.3., qui a une construction un peu plus compliquee) se presente donc de Ia so e:
I . Circonstances introductrices
2. Mise a l’epreuve: mo lsacrement 3. Reponse a l’epreuve: le merite
4. Recompense: le miracle.
Pour conclure l’analyse formelle: nous avons pu nous convaincre de ce que !es recits des miracles ayant eu lieu en Livonie et Estonie a Ia n du XIIeme siede et au debut du Ile e siecle forment un corpus de textes homogene, a structure semblable.
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2.2. LE CONTENU
2.2.1. Analyse inte extuelle: remarques methodologiques
Ayant fait appel. pour l’etude de Ia forme du corpus, aux mthhodes de l’analyse structurale, nous emprunterons dans l’analyse du contenu quelques principes ä l’approche intertextuelle. L’idee d’intertextualite ete introduite dans l’analyse litteraire (et depuis dans Ia philosophie et ailleurs) dans Ia premiere moitie des annees soixante par Julia Kristeva (Franyaise nee en Bulga:ie), chercheuse en litterature, en semiotique et plus tard psychanalyste.61 Ses reflexions cependant se fondent sur les idees exprimees des Ia premiere moitie de siecle par l’auteur russe Mikhail Bakhtin sur l’analyse litteraire.62 Kristeva traite tout texte comme un recueil de citations: „Tout texte se construit comme mos que de citations, tout texte est absorption et Iransfonnation d’un autre texte. A Ia place de Ia notion d’intersubjectivite s’installe celle d’intertextualite“.63
L’approche intertextuelle accorde une attention particuliere aux ancetres et aux conditions de Ia production concrete d’un texte donne; d’autre part elle met en evidence Ia dependance de chaque texte d’un nombre incalculable d’autres textes dans le grand et anonyme dialogue des textes dans l’ensemble de Ia culture.64 Le centre d’interet du chercheur en intertextualite n’est pas l’intention de l’auteur: il n’entend nullement decouvrir si les emprunts trouves dans le texte sont conscients ou inconscients. Le principal objectif est de rechercher comment. tous ensemble, !es textes fa�onnent de nouvelles signi cations. des espaces intertextuels.65
Nous avons articule l’analyse intertextuelle du corpus ici presente en plusieurs etapes.
Dans un premier temps nous nous emploierons ä reconstruire les relations de ta Bible (resp. Vulgata) avec notre corpus. Dans le deuxieme point nous essayerons de lui trouver une relation avec les autres textes ecrits precedemment. Dans te troisieme et demier paragraphe nous ehereherans des textes paralleles au corpus (c’est a dire racontant un evenement identique). Les relations des textes de ce corpus avec des textes plus tardifs, compte tenu de l’immensite de Ia täche, ne seront pas prises consideration. Mais il convient de poser quelques reserves meme quant au programme ici annonce, et qui depend essentiellement des recherches anterieures. Nous sommes en e et en mesure d’identifier une influence directe de Ia Yulgate uniquement dans les textes ecrits par Henri le Letton; Ia meme remarque vaut pour !es relations avec !es livres liturgiques. Nous rattacherons les recits de Cesaire avant tout ä Ia
61 Cf. J. Kristeva, “ mot 1c dialogue et 1e roman“ (1966), in ld., Semeiotike. Recherehes pour une mana(vse, Paris, Scui1 ( 1969). 1978, pp. 8 1 · 1 12. C aussi St n. „Julia Kristeva ja teksti“ )Julia Kristeva et 1e te�1c) in /nterreksruaalisuus. Suuntia Ja soveluuksm, Toim. A. V karis, Suomen Ki a11isuuden Seura. Helsinki, 1991 (Tictolipas, 121), pp. 128·144.
62 Cf. T. T orov, Mikhail Bakhtine. le princtpe dialogique survi de Ecrits du Cercle de Baklrrine, Paris, Seuil, 1981, sunout pp. 95-115; M Holquist, Dialogtsm. Bakhrm and his world. Routl gc. London and New York, 1990, sunout pp. 88-89; D.K. Danow, The Thought ofMikhml Bakhtin, From Ward ro Culture. Macmillan Ltd, Houndsmills. Basingtone. London. 1991; V.S. Bib1er, Mrhar/ Bahrin rli poelika kulru . Moskva, Progress, 1991.
63 J. K steva. op.cit., p. 85.
J. Culler, The Pursuit ofSigns: Semiolics. Litera/ure, Deconstruction. 1thaca. 1983, p. 103.
65 L’intencxtualite camporte dans le contexte de Ia culturc medievale quelques traits s cifiqucs, fon bien formules parJ. Lotman, Kultuurisemioorika, [Semrotique de Ia culrure). Talli Olion, 1 990, 1k. 162·163.
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tradition textuelle des miracles lies aux sacrements et aux visions infemales. Cette reserve ne tient pas uniquement aux recherches anterieures, mais aussi ä Ia nature meme du co us: „gräce aux citations de Ia Bible et du breviaire, Je niveau d’intertextualite de Ia chronique d’Henri est tres eleve“ M En revanche, le texte de Cesaire contient des rapports relativement plus modestes ä Ia Vulgate et aux ouvrages liturgiques, alors qu’il entretient des Iiens plus e:roits avec Ia tradition anteneure liee aux miracles (tradition d’ailleurs qu’il poursuit et developpe).
2.2.1.1. La Bible
La reconstruction des relations entre Ia Vulgate (et Ia Iitterature liturgique) et Ia CHL a donne lieu a toute une serie de remarquables etudes. Des 1867, Eduard Pabst accompagnait Ia traduction allemande de Ia Chronique de nombreux co entaires qui retablissaient l’origine des citations d’Henri. L’etude textologique scienti que d’Henri a franchi une etape qualitative gräce ä Leonid Arbusov jun., auteur de quelques remarquables analyses du Iangage d’Henri (comprenant !es in uences sur celui-ci de Ia Bible et des ouvrages liturgiques)67 Un disciple d’Arbusovjun., V. Bilkins, s’est concentre sur cette question.68 Les resultats de leur recherches ont ete plus tard completes par A. Bauer (ä cöte d’Arbusov) dans ses commentaires ä l’edition de 1955 de Ia Chronique d’Henri.69 De nouvelles et prometteuses directions de recherche sur cette question ont ete proposees par Jaan Undusk dans son a icle „L’art de Ia citation“.70 Nous nous appuierons ici sur ces auteurs.
Henri fait e ectivement appel fort souvent a Ia Bible. „La chronique d’Henri compte ainsi parmi Ies textes a citations bibliques a l’epoque Ia plus florissante de cette tradition dans Ia Iitterature historique europeenne“ 71 Le nombre total des citations de Ia Bible varie (suivant le critere utilise): V. Bilkins en compte 775, alors que pour Bauer il y en a pres de 1 1 00. D’apres Arbusov Henri, sur les 65 livres qui composent Ia Bible (38 de I’Ancien et 27 du Nouveau Testament), en a utilise 10 et 6, auxquels il faut hypothetiquement en ajouter respectivement 7 et 2. Cela donne 1 6 ou 25 livres de Ia Bible n Celui auquel Henri fait Je plus appel est l’un des livres historiques, Je Premier Iivre des Macchabees. D’apres L. Arbusov, il y a puise 64 tournures qui reviennent dans Ia chronique 149 fois en tout n
66 J. Undusk. „RahYaluuletcksti löppematus. Fclix Oinas. soome meetod ja intertekstuaalnc KaJe,i eg“ [La non-ftnitude du texte folklorique. Felix Oinas. Ia methode ftnlandaise et Kalevipoeg intertextueiJ in F. Oinas. Surematu .afe“ipoeg. Tallinn. 1994, lk. 164.
67 L. Arbusow. „Das entlehnte Sprachgut in Heinrichs ‚Chronicon Livoniae‘. Ein Beitrag zur Sprache mittelalterlicher Chronistic“. op.cit.. pp. 100-153: ld Liturgie und Geschichtsschreibung im Mille/alter. Lud ig Röhrschcid Verlag. Sonn. 1951. pp. 42-1 II etpassim.
68 W. Bilkins. Die Spuren FOn Vulgata. Brevier und Jfissafe in der Sprache von Heinrichs Chronicon
Livonine. Riga. I928.
69 1/einrici Chronicnn UFoniae. Recognoverunt L. Arbusow A. Bauer. op.cit.
70 J. Undusk. „Tsitcerimise kunstist Lisandusi Lä!i Henriku ja Vulgata suhetcle“ [L’art de Ia citation. En
complement aux rclations entre Henri Je Letton et Ia Vulgate]. Keefja Kirjandus. 199012, . 69-78 et 1990/3. lk. 136-1 �6.
?t J. Undusk. „Tsitccrimise kunstist…“. op.cit.. lk. 74.
72 L. Arbusow, „Das entlehnte Sprachgut…“ op.eil.. p. 109.
73 lbid. Pour Ia Iiste des citations par ordre de frcquence. cf ibid.. pp. 109-1 10.
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RegardonsmaintenantdepluspresIanaturedurapportentre IaVulgateetIapremiere
moitie de notre corpus. Nous presentons ci-dessous les passages de Ia Vulgate qui recouvrent en partie des toumures utilisees par Henri.74 Les passages correspondants sont egalement releves:
T. l . l . .� . J ad septem distans miliaria ..I vidit et novit.
Tobie I I ,6: Et dum ex eodem loco e ilaretur a entum ejus, vidit a Ionge, et illico agnovit
venicmtem lium suum; currencque nunciavit viro suo, dicens: Ecce venitfilius flms.
T.1.2..’… dieacnocte …/
Psaume I ,2: Sed in Lege Domini voluntas ejus, et in lege ejus meditabitur die ac nocte. Remarque: il s’agit d’une expression largement repandue dans Ia Bible (et dans Je breviaire).
/ .. 1Deofelicem terminum vite sue imponente �..!
Josue 22,25: Terminarum posuit dominus inter nos et vos, o lii Ruben, et lii Gad, Jordane uvium; et idcirco parle non habetis in Domino. Et per hanc occasionem avertent lii
vestri, lios noslros alimore Domini. Putavimus itaque melius.
�..! quesitum et tandem inventum !..I
Estl:er 2,23: Quaesitum est, et inventum; et n sus est utesque eomm in patibulo.
Man tumque es/ historiis. el annalibus traditum coram rege.
. . 1 in sanctis suis taliafacit mira /a I…I
Psaume 4,4: Et scilole, quoniam mirificavit Domimts sanctum suum; Dominus exaudit me,
cum clamavera ad eum.
lbidem
Psaume 67,36: Mirabifis Deus in sanctis suis. Deus lsrail ipse dabit virlulem et fortitudinem plebi suae, benedictus Deus.
Remarque: ce/le relation entre Henri et /es psaumes (l’hypothese est de Pabst) es/ disuctahle, dans Ia mesure mi pas un seul mot n’est commun aux deux texres.
T.l.3. /.., irruiteciamidemEstosupereondemhospitemsuum ../
74 Nous ignorons quelle variante exactement de Ia Vulgate (le cas echeant) Hen a utilisec. Nos citations (dc meme que celles dc Bilkins) proviennent de l’edition suivante: Btbba sacra Vulgatae editionis ;uxta exemplar ex � iaApasrohca I aucana. Romae /5 . Edidit L nden·an Ess. Tubingae, 18H.
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Primum Regnum, 22,18: Et ait rex ad Doeg: Convertere tu et irrue in sacerdotes! Conversusque Doe� ldumaeus, irmit in sacerdotes. et truci vit in die il/e octogi a quinque viros vestitos Ephod /ineo.
Etmulrividemesadmirabantur, testimoniumperhibentes!
Evangile selon St. Jean I ,32: Et testimonium perhibit Johannes dicens: Quia vidi Spirirum
descendum quasi co/umbam de caelo. et mansil super eum.
lbidem.
Evangile selon St. Jean 1 . 3 4 · Et ego vidi. et testimonium perhibui quia hic est Fi us Dei. lbidem.
Evangile selon St. Jean 19,35: Et qui vidit. testimonium perhibuit, et verum es/ tesrimonium ejus: er i/le seit, quia vera dicir; ut er vos cre tis.
Comme il ressort de cette Iiste, l’emploi par Henri d’expressions bibliques pour parler des miracles est tres intense: ceci (outre par Ia forme d’ecriture medievale des chroniques) s’exp1ique en partie peut-etre aussi par Ia tentative de donner aux recits de miracles plus d’autorite.
2.2.1.2. D’autres textes an �rieurs
Comme nous l’avons annonce, nous allons traiter ici des relations des textes de notre corpus avec d’autres textes anterieurs (ä l’exception donc de Ia Yulgate). Notre approche se divisera grosso modo en deux parties. Dans Ia premiere, nous releverons !es emprunts/citations/influences phraseologiques (uniquement pour Ia C , partant de Ia specificite de ce texte et des recherches anterieures). Dans Ia deuxieme pa ie nous tenterons d’examiner plus largement Ia position des recits de ce corpus dans Ia tradition des miracles correspondants (c’est dire de reconstruire Ia place de ce corpus dans l’espace intertextuel).
Les emprunts des textes anterieurs: outre Ia Vulgate, Henri entretient d’etroits rappo s avec bien d’autres textes. Pa les citations du chroniqueur, Arbusov a distingue: I ) les emprunts aux livres liturgiques (breviaire, misse!, sacrementaire, agenda, etc); 2) quelques emprunts – peu nombreux – un florilege contenant des textes latins, utilise dans l’enseignement au Moyen Age – d’ou sans doute !es expressions relevant de l’oeuvre de Virgile, d’Horace, d’Ovide, de Ciceron que l’on trouve dans les textes d’Henri; 3) des citations des oeuvres des peres de l’Eglise, qu’Henri a retenues de ses lectures des livres liturgiques; 4) des
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extraits de documents contemporains d’Henri, etc.7l Dans Ia premiere partie de ce corpus, cela se traduit de Ia sorte:76
T.l.l. �..1prohibetpertinacioasanctoproposito<..l
Breviarum Romanorum: O cium S. Thomae E. et Mart. die 29. Dec., L.IV: !..I qui a sancto
proposito . ../
Brevia m Hamburgense: O cium S. Fab. et Sab die 20. Jan., L. II: !..I ut ipsorum imas a
suoproposito revocarent/..1
Breviarum Eboracense: O cium S. Agathae, die 5. Febr., L.l: /…/ a bono proposito posse
revocari /. . . /
Cuius morientis animam neophitus quid ad septem distans miliaria ab angelis in
ce/um deferri viditet agnovit.
Breviarum camerale ad usum Cisterciensis ordinis: O cium St. Benedicti, L.I: vidit Germani animam Capuani ep. in sphera ignea ab angelis in coelum deferri, Alleluja!
L’histoire contenue dans le breviaire est pour sa part un emprunt ä Gregoire le Grand (540- 604). Dans le quatrieme Iivre de son oeuvre exceptionnellement populaire, „Les Dialogues“ (Dialogorum /ibri qua o r de miraculis patrum italicorum), l’evenement est relate de Ia so e: In secundo namque huius operis libro iamjatus sum quod vir venerabilis Benedictus. sicit a fide/ihus eius discipulis novi, Ionge a Capuana urbe positus. Germani eiusdem urbis episcopianimamnoctemediaingloboigneoadcaelumjerriabangelisaspexit. Quiean m quoque aseendeille animam intuens. mentis laxato sinu, quasi sub uno solis radio cunctum in suis oculis mundum collectum vidit. (Dialogi IV,7).77
Comme Gregoire le fait remarquer, il parle de ce meme evenement dans le Ileme Iivre des „Dialogues“ (= Vita Benedicti): Qui venerabilis Pater, dum intentam ocu/orum aciem in hoc splendora coruscae lucis infigerat, vidit Germani Capuani episcopi animam in sphera igneo ab angehs in coelumjerri. (Dialogi II,35).78
75 L. Arbusow, „Das entlehnte Sprachgut. “ op.cll., pass1m.
76 Tout comme le cas dc Ia Vulgate, nous ignorons aussi quels livres liturgiques Hcnri a pu utiliser. C’est urquoi toutes les reconstructions de citations proviennent de di ercnts ouvrages liturgiques. Nous ne sommes pas cn mesure ici de pn\senter des donn s plus precises a pro s de ces derniers. on en trouvera chez Bilkins, Arbusow ct Bauer.
77 Gregoire lc Grand. Dialogues. Tome Ill (Livre IV), Texte critique et notes r A. dc Vogue, Paris, Cerf. 1980 (Sources Chretiennes, 265), p. �2.
Gregoire le Grand. Dialogues. Tome II (Livre fi), Texte critique et notcs A. de Vogue, Paris, Cerf, 1978 {Sources Chretiennes, 260), p. 238.
60
L’histoire racontee par Gregoire ne se trouve pas seulement dans le breviaire, mais aussi dans d’autres textes liturgiques (par exemple Ies martyrologues79) et autres. Ce motif textuel utilise par Henri s’inscrit donc dans une !arge tradition intertextuelle.80
T.l.2. Cuiuscorpusculummorefide/iumadecclesiamdejerens ..I
Sacramentarum Fuldense 305 n.2482 = Rituale St. Floriani 95 (Obsequiem circa morientes.
oratio): Debitum humani cmporis sepeliendi o icium de/ium more complentes /. ./
Sacramentarum Fuldense 305 .2477 Rituale St. Floriani 95 (Obsequiem circa morientes. oratio): Oremus. jratres carissimi, pro spiritu nostri ..t, cuius corpusculum h ie sepulwrae/radi/ur …
Re::1arque: Comme nous Je constatons, il s’agit sans doute dans Ia formulation d’Herui de Ia
synthese de deux extraits Mais on peut trouver d’autres textes appartenant ä Ia meme tradition. 8 1
A propos de T.l.3., aucun emprunt direct ou eventuel n’a ete decouvert dans Ia formulation d’Henri.
Nous allons maintenant essayer d’identi er des textes (ou des motifs textuels) anterieurs appanenant au meme espace intertextuel que !es parties correspondantes de ce corpus. Pour Ia raison evoquee ci-dessus, nous avons mis l’accent avant tout sur !es recits de Cesaire de Hesterbach.
T. l . l . Nous avons souligne, lors de l’analyse de Ia citation, qu’il est question ici d’un texte appanenant ä une !arge tradition intertextuelle. Si on lui ajoute d’autres recits plus anciens ou figure „l’äme portee au ciel par des anges“, cet espace s’elargit encore davantage n
II semble que le premier ä traiter d’une äme dans le ciel entouree d’anges soit St. Athanase (environ 300-373). Dans sa „Vie de St. Antoine“ il relate comment ce de ier, assis sur une montagne, vit l’äme du moine Ammonis aller au ciel accompagnee d’anges.83 Environ cinquante ans plus tard, Ru n (345-environ 4 1 1 ) raconte l’histoire de Paphnutius, un ermite qui
79 C L Arbusow. Liturgte und Gesehtehtssehretbung… , op. ett., pp. 109-110. Anm. 9 1 . Notamment: Usuardi mar rtologtum: Apud Capuani, saneil Germani, eu;us ammam vidit sanetus Pater Benedtctus in sphera ignea ab nnge s in eoelum defe i. [Une phrase qui varic suivant lcs variantes du manuscritl. Patrologwe cursus complectus. Series Latina (dorcnavant, en abrege, PL). ed J.P.Migne, T.C IV, coll. 637.
80 Outre les cas pn!scntes, L Arbusov sup sc que Ia phrasc d’Henri orationibus Deo eommttlltur a ur origineleSaeramentariumFuldense.314 n.451.
81 Cf. L. Arbusow. Liturgie und Gesehtchtssehrethung…. op. clt.. p. 53.
82 Cf. W.D.McCready. Stgn.v ofSaneti . i cles in the thought ofGregory the Great, op.eit., p. 130. n. 48.
83 S. Athanasii. V a et conl’e.mtio S.P.N. A onii, Pntrologiae Cursus Completus. Series Graeea, . J.P.
Migne. Tomus . caput 60. coll. 929-930 (versio Evagrii): Alio rursus in tempore cum sederet in monte, et oeu/os subtto Ieiendisset in eoelum, vidit nesc10 quam animam. laetantibus in ejus oecursum angelis.ad coe/um pergere. Cujus speetacult nowtate stupefaetus, beatum dixit sanetarum ehorum, oravllque ut sibi rei
praesenttsagnitiopandererur EdstallmvoxadeumJactaestinquiens amesseAmmonismonaehianim , qut .l triae marabatur.
61
vit au ciel, au milieu d’un choeur d’anges, l‘ e d’un homme qu’il avait converti a Ia vie monacale.8• St. Jeröme (347/8-404), contemporain de Rutin et a plus d’un titre en contact avec lui, (auteur de Ia traduction latine de Ia Bible, Ia Vulgate), a rapporte une histoire sur bien des points analogues a Ia precedente. St. Antoine y voit l’ä e de l’ermite Paul au lieu d’un choeur d’anges. de prophetes et d’apötres_8l Dans notre recherche d’eventuelles citations ou emprunts d’Henri, nous avons deja presente deux histoires identiques dues a Gregoire le Grand sur l‘ e de Germain. eveque de Capua, empo ee au ciel par des anges. Dans ses „Dialogues“, Gregoire raconte d’ailleurs d’autres histoires analogues. Par exemple celle de voyageurs se rendant en bateau de Ia Sicile a Rome, qui virent l’äme d’un pretre empörtee au ciel (Dialogi IV, 10).86
Les textes ici mentionnes ne sont sans doute pas les seuls qui appartiennent au meme espace intertextuel que T. l . l . (nous n’avons pas aborde ici Ia tradition posteneure en raison de son abondance) n Mais ils devraient donner une idee de Ia position du nkit d’Henri sur Ia base de Ia tradition le precedant.
T.l.2. Si a propos du texte precedent, nous avions a faire a un rectt fortement intertextuel, dans le cas de T. l .2. Ia tradition precedente est nettement plus limitee. Nous ne sommes parvenus a decouvrir aucun n�cit analogue (allongement d’un cercueil) qui lui soit anterieur (ce n’est bien sür pas une preuve de nitive). Avec J.G. dt88, nous pourrions attribuer au meme espace intertextuel un autre recit, dü a Jacques de Vitry, auteur presque contemporain d’Henri ( 1 1 60/70- 1 2 39/40), qui sur certains points ressemble celui-ci: apres Ia mort d’un usurier, ses subordonnes voulurent lui rendre honunage et pour ce faire soulever son corps a n de le mettre dans un cercueil; mais sans resultat, tant le corps etait devenu lourd. La-
Rufino. lhstona monachorum seu Liber de Vitts Porrum, PL, T.XXI. cap.XVl, coll.438: Tempore autem ailquanta m hts transacro, et ad sctenriae perfectionem eo perducto, quem perfeerum jam in operibus ossumserot, quadam dte Paphmttus sedens m cel/ula sua, v/dll ammam eJUS mter Angelnrum choras assumtam, dtcenlllem: „ßeatu qut elegtslt et assemsisfi: habllabit m tabe acuils tms“ s.6 ). Er cum haec audissel, agnovtt assumlllm esse ex hoc mundo virum.
85 S. Eusebii Hieronymi. r·ua Pau/i Primi eremitae, PL. T.XXHl. cap. 14. coll. 27: Cumque jam dies alia illuxisset, et trium horarum spa o iter remaneret, vidtt mter angelorum cate as. inter prophetarum et ap tolnrum choros. mveo candore Pau/umfulgenrem in sublime condescendere.
86 Grcgoirc Je Grand. Dialogues. Ta e III (Livre I . op. eil., p. 44: Qutdam autem religiosus arque deils.rrmus vtr adhuc mthi in monasterio posito narravll, quod ailqut de Sici/iae parttbus navigio Romam petentes, m man medto post/1, cuisdam servi Det, q111 in Sammo fuerat inc/ausus. ad caelum ferri animam vtderunt. Qui descendantes ad terram causamque an ita esset acta perscrutantes, lo dte mvenerunt obtsse Dei famulum, quo hunc ad regna cae/es11a cognoverunt.
87 Ccsaore de Heisterbach parlc Iui aussi de �isions d’ämes. cf. Ltbn II, 37: De monacho qut wdil, quomodo ammae peccatons er iusll in !tarn morris de corpore egredtunrur. L’histoire que presente ses commentaores J.G. Amdl. remome elle aussi au Xlleme so le: Dte hnrfstchllgkell dteses ubekehrten verdtenet den dem Leser em desto gelinder U heil. wetl es selbst den Altbekehrren der damaligen Zeit mehr besser ergangen. Anno 1 1 88. sahe der Prior des Manenordens vom Berge Carmel. Bertold, ar viele Seelen semer A/(lnche, dte von den Saracenen ermordet waren. durehe eme Afenge hetltger Engel Htmmel tragen. Der Ltej ndtschen Chromk Erster Theil von Liefland unter semen ersten Btsch fm 1. . .! Mit kurzen Anmerkungen beg/eilet und ms Deutsche übersetzet von J.G. Amdl, op.cll., p. I I , . l .
8 8 Dans son commentaire. Amdt presente un recit oio cercueil devient plus leger: Em un enannter Auetor erzahlet von dem hetltgen Bertold, emem Abte zu Garstm, der unter onde ll’under den Teufel aus einem Knaben 111 emem Srrowtsche vertrieden, dass, wie er Anno //30 beerdtget werden sollte, die Leichenrräger keme Last einmal ge ihlet. sonde der Sarg aufihren Schulte sich von selbst in dte Höhe gehoben. Der Ltej/ ndt,,chen Chronik… op.c11.. p. 36. . 2.
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dessus cependant un vieux sage dit que dans a ville l’habitude voulait que !es mo s fussent enterres par des representants de leur metier – dans ce cas precis donc des usuriers. Et cela marcha.89
T. l .3. A propos de ce texte il est encore plus di cile de treuver des intertextes. En soi, toutes sortes de mirac!es lies aux ma yrs etaient tres repandus aux Moyen Age, mais il portaient en general sur le corps meme du martyr et il n’y est pas question de transfert de blessures. Vraisemblablement une analyse systematique des martyrologues permettrait de treuver des cas analogues , mais nous nous contenterons ici de nous referer a un texte parallele (cf. infra 2.2 I 3.).
En passant a l’etude des miracles de Cesaire, l’espace intertextuel des textes etudies s’elargit considerablement (hormis pour T.2.2., cf. in a). Afin de ne point nous y perdre, nous Iimiterens notre analyse ä Ia tradition des exempla medievaux (dont relevent !es histoires de Cesaire); c’est ä l’interieur de cette tradition que nous chercherons des inte extes aux textes de Cesaire. Le meilleur outil pour concretiser cette approche est Ja consultation de !’In x exemplonun de Frederic C. Tubach91 et son annexe, parue ulterieurement, dite 7itbach a l’envers.qui, !’inversede!’Indexnepartpasdestypesdetextesmaisdestextesconcretsn
T.2.1. Le miracle de Ia communion doit etre considere le miracle par excellence au Moyen Age et pas seulement. En e et, le sacrement meme de Ia communion est un miracle, Ia Iransformation du pain et du vin dans le corps et le sang du Christ. Baucoup d’auteurs medievaux ont d’ailleurs appele le sacrement de Ia communion miraculum.9′ De nombreux auteurs relatent des miracles autour de Ia communion depuis le haut Moyen Age, mais on peut hardiment affirmer que Ia periode Ia plus intense est le Xllleme siede, ou Ia plupart des auteurs portent leur attention sur Ia communion et ses miracles. Cesaire de Heisterbach lui aussi
89 The Exempla or /1/ust llve Stones from rhe Sermones I“ulgares of Jacques de Vitry. Editcd with lntroduction. Analvsis and Notcs bv Th. F. Cranc, The Folk-Lore S ietv. London. 1890. (Publications of the Folk-Lore Society.· ). n. CL VI _ p. 75: Audivi de quodam fene�arore quod cum mortuum esset, dum sui quibus sen•ierar volueru/11 cum honorare et mde /ud1brium facere, unde cum vicim ejus codaver levare vellent ut ad sepulturam portarent nullo modo poterunt. cumque a/11 1dem temptarent nullo modo pateruni el adm1ran11hus cunclls quidam anllquus homo valde sap1ens dixll 11/ts: „J os scllls quod consuetudo est m hac cll’itate quod, mortuo ahquo ho11 ne. qui ejusdem o cu vel mm1steni nt solent •p m ad sepehendumfe“e. Sacerdotes emm et clertci portant sacerdotes et c/ericos mortuos usque ad c1miterium, er mercatores mercaturem, carmjices carmjice, etc. de aliis, vocemus ejusdem cond loms seu mimsteru hommes“. Er vocaverunl quatuorJeneratares qui statim corpus elevantes de Jacili usque ad locum sepulture tulerunt; non enim perm1serunt demones quod sevus eorum portaretur msi a conservis ipsius. I Cf. aussi J. , bourse et /a Vle. Economie er rehg1on au Moyen Age. Pa s. Hachette. 1986, pp. 58-59.
Cf. pour les generalites. Dom J. Du is, Les martyro ues du A1oyen Age lalln_ Bre ls, Tumhout_ 1978 (Ty logie des sources du Moycn Age cidental. fase. 26).
91 F.C. Tubach. Index exemplorum. A Handbook ofmed1eval religious ra/es. Helsinki, 1969, (Folklore Fellows Communications, 204).
92 Les Exempla Medi vaux. lnt duction a Ia recherche, SUIVi des tab/es critiques de /’Index exemp/orum de Tubnch, Sous Ia dir tion de J. Berlioz et M.A. Polo de Beaulieu_ Gara Hesi e, Carcassonne. 1992.
9 3 C f . M . R u b i n . C o r p u s Ch n l . T h e E u c h a r i s t i n L a i e M e d J e v a l C u / l u r e ( c . / 1 5 1 5 ) . C a m b r i d g e U n i v e r s i t y Press. Cambridgc_ Ncw York etc, 1991. pp. 108-129: „Teaching the eucharist with miracles“.
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consacre l’integ�alite du Livre IX de son „Dialogue des miracles“ aux miracles de Ia communion (De sacramenlo corporsi er sanguinis Chrisli, ou se trouve egaJement T. 1 . 1 .).94 Dans Ies „Huit livres de miracles“, c’est sunout Je !er Iivre qui est consacre aux miracles de Ia communion.91 De meme Je recueil anglais d’exempla Specu/um laicorwn consacre ä Ia communion un chapitre ä part: De eukarislia e/ ejus virlutibus.% Un autre recueil anglais d’exempla remontant ä environ 1300 contient 21 recits dans un chapitre intitule lncipiunr exempla de virlutihus Eucharistie, er eiusdem contemplu.97 On pourrait treuver encore d’autres exemples Miri Rubin, dans son remarquable ouvrage Corpus Christi, distingue panni !es exempla medievaux ponant sur Ia communion trois groupes:
1 . A vision of the real S1tbstances, or other unusual sensations, such as sme/1, taste or so1m as a rewardforjailh andpiety or s11ch revelalions used to counter trivial doubt:
2. Some llllllsua/ behaviour ofnatural elements. anima/sandhuman, arisingfrom awe ofthe eucharist orjrom sheer proximi lo il;
3. e appearance oj eucharislic properlies. usually esh, blood or 1he n oj Sorrows, /o a owmg ahuser – a Jew, a wilch. a lhief. a negligenl pries/ – and lhe ensuing punishmenl.
Le miracle de Cesaire (T.2.1.) pourrait Iigurer avant tout dans le premier groupe de ce tableau (qui est aussi Je plus fourni). Si maintenant nous eherehans dans ce premier groupe d’exempla des intenextes ä T.2.1., nous constatons que dans Ia tradition des exempla on en trouve guere d’histoires tout ä fait identiques. Mais on en trouve quelques unes ä plus d’un titre sembab!es racontees par Cesaire dans Dial s m1ravulorum: un chevalier de haute naissance, Erkenbaldo de Burdem, avait tue son ls, un criminel charge de peches. Mais quand apres cela il voulut communier, l’eveque lui re sa Ia communion. A Ia cependant l’hostie apparut d’elle-meme dans Ia bouche du chevalier. Le miracle dont nous traitons ici (T.2. 1 .), dans ses grands traits, releve cependant d’un motif d’exemplum tres repandu au Moyen Age: le sacrement de Ia communion dispense par le Christ lui-meme. Tubach (n° 2659: Hos/ given by Christ) releve 1 0 recits analogues.
94 Dwlogus miraculorum . Ed. J. Strange. op. cit., T. 2. p 164-2 1 7 (en tout 67 chapitrcs). 95 Ltbn Aflraculorum. Ed. A. Hilka. op.ctl., p. 15-75.
Le Speculum laicorum. Edrtron d’une collectron d’exempla composee en Angleterre ä Ia n du X feme siecle. . par J.Th. Weiter. Paris. Ed. A. Picard. 1914: p. 51-55 (contient 18 exempla).
97 Cf. M. Rubin. op.cll., p. 1 17.
98lbt , p. 118.
99Dwlogusmtraculorum IX,38.p. 194: ../SedetErkenba/do additusestdolordolorr, adeourinvalescente injirmitate pro Episcopo mllteret, perens sacrum sibr corpus defem. Qui cum venisser, ille cum mu/1/s lacrimis et contrilione cordrs omma peccata sua confessus est, racrra ta en 1uvenis interfecrrone. Super quo �../ respondente Episcopus, ego vobts Christi corpusnon tradam, msr parnctdium tdem con reammr; subwnxit vir nobtlsi : ..ISi mihr corpus Donuni mei negaveritis. ego dir corpus et animam meam commrtro. Haec emm dixit er egrt propter exemplum. ne msriuae er tudtcio derogare wdetur. l enim pontifex lmren domus egressus fuerar, et ecce aegrorus eum revocavir dicens: Reverrmunr domme ep1scope. reverrmum. rdere si in pixide abearis corpus Chrrsrr. quem mrhr negastis, ipse se 1111h1 non negtn•il. .·lpparuirque hostw rn ure erus.
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Si en T.2. 1 . l’hostie se rend d’elle-meme dans Ia bouche du heros, Ia tradition des exempla contient aussi des cas inverses, oti l’hostie sort d’elle-meme de Ia bouche (cf Tubach n° 2647; a comparer avec n° 2660). Hormis T.l.2., Cesaire mentionne ailleurs aussi des eres convers aspirant a Ia communion. Dans l’un de ces cas cependant, l’aspiration a Ia communion ne va pas de pair avec l’arrivee de l’hostie dans Ia bouche du heros, mais avec Ia croissance de Ia clairvoyance spirituelle de celui-ci (cf DM IX,45: De converso qui per desiderium communicandi spiritum meruit prophetiae). Un autre frere convers aspirant a Ia communion voit le pretre mettre dans Ia bouche d’un autre frere convers un joli petit garvon (= le Christ) (cf. DM IX,42: De converso qui vidit in os alterius conversi sacerdotem mittere puerum
pulcherrimum).
Avec le texte suivant – T.2.2. – il est question d’un phenomene relativement isole. En examinant de pres cet exemplum on constate que le recit en principe ne contient guere de miracle. Le fait que !es Livoniens aient ete baptises par aspersion ne peut pas etre tenu en soi pour un „vrai“ rniracle, dans Ia mesure ou au Moyen Age ce type de bapteme etait assez repandu et que, co me le note Cesaire lui-meme: sedhoc talllum necessuatis tempore (T.2.2.) (cf plus precise ent inf , 2.2.2.2.). Dans le cas donc de ce recit, il s’agit d’une histoire assez particuliere, decoulant du contexte missionnaire et destinee a justi er le bapteme negligent des masses. ll est relative ent di cile de lui treuver d’analogies plus anciennes. Mais le sacre ent du bapteme est de maniere generale dans Ia tradition medievale des exempla un phenomene assez sporadique: Tubach n’en enregistre que quelques une traitant du bapteme d’individus (en tout 13). Nous devons donc pn!senter un resultat d’analyse intertextuelle de nature negative: voici un texte a faible inte extualite.
T.2.3. Contrairement ä Ia precedente, Ia demiere des parties de ce corpus peut etre claire ent consideree comme Ia plus intertextuelle sur l’ensemble des textes ici analyses. On peut presenter Ia tradition dont releve ledit texte en trois couches (de Ia plus !arge a Ia plus etroite):
I . La Iitterature medievale des visions
2. Les visions I Ies voyages de l’au-dela
3. Les visions infemales.
Ces trois traditions ont ete toutes abondamment analysees dans Ia medievistique conternporaine100, ce qui nous facilite considerablement Ia täche. Pour eviter de nous disperser,
100 A pro s de Ia Iitterature sur lcs visions: cf. P. Dinzelbacher, I’I on und l’is•onsbterntur im .\f e lolter. Stullgart. Anton Hiersemann, 1981; ld., „Revelo/lones“, B ls, Turnhout. 1991 (T ologie des sources du Moycn Age cidental. fase. 57): Mmelolterbche l sionslllerotur. Eine Anthologie, Herausgegeben une ü rsetzt von P. DinLelbacher. Dannstadt Wissensch iche Buchgesellschaft 1989. Sur les voyages de l’au delä. cf. C. Carozzi, „Structure et fonction de Ia VisiOn de Tnugdal“. in A. Vauchez ( ), l·iure croire. Alodnbtes de Ia di u.’lon et de in recepiiOn des messnges religieux du 11/eme s1ecle au XJI eme s•ecle, Rome. Ecolc Fram;aise de Rome. 1981. (Collection dc l’Ecole fran�aise de Rome. 51). pp. 223-23 : P. Dinzelbacher. „Jenseitsvisionen – Jenscitsreisen“. in Epische Stofe des ,\/lttelnlters. Hrsg. von V. Mertens, U. Müller. Alfred Kröner Verlag. Stuttgart. 198� (Kröners Taschenausgabe. Bd.483). pp. 61-80; C. Zaleski, Othenrorld Jou eys. . kcount.< of.\’enr-Death Experiences in Afed•evnl and Mode Tilnes, Oxford Uni,·crsity Press. N York. Oxford. 1987.: A. Morgan. Dante nnd the Meditval Other ll’orld. Cambridge Uni\·ersity Press.
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nous examinerons de plus pres Ia pos1110n de T.2.3. seulement dans !es deux de eres traditions, en partant principalement des exempla. Dans son Index exemplorum, Tubach distingue Je type 2944 (Knight, dead reh1 o et sa deuxieme Sous-variation b) Knight, dea retu sfor conjession. La cinquieme convient egalement au present recit: e) Knight, dea retumsfrom hell. Nous voyons donc que l’exemplum en question (T.2.3.) appa ient a une tradition bien concrete. Nous pouvons egalement lui ajouter d’autres cas d’exempla ou l’on neglige Ia confession et ou pour cela on est chätie dans l’au-dela. Par exemple a Ia n du XIIIeme siede, dans Ia Tabula Exemplorwn, recueil compose en France, on trouve l’histoire d’une religieuse du couvent de saint Damien qui, n’ayant as voulu se confesser (elle ecoutait des chansons a Ia place), dut pour expiation passer 18 jours au Purgatoire.101 Cesaire quant a lui raconte a deux reprises une histoire semblable: un moine cistercien, sur son lit de sou ance, voit autour de lui des demons qui promettent d’emporter son äme en enfer. Gräce a l’aide de Ia Sainte Vierge Je moine se confesse, echappant ainsi a l’enfer (DM Il,9; Libri III,79).
De maniere generale, Ia confession est l’un des Ieitmotivs de Ia Iitterature medievale des exempla L’une des raisons principales tient a ce qu’a partir du debut du Xllleme siecle (epoque qui est aussi le debut de l’äge d’or des exemp/a), l’eglise met de plus en plus l’accent sur Ia confession. Or l’une des principales forces de propagation de Ia confession, c’etaient !es predicateurs, !es principaux utilisateurs des exempla. On n’ignore pas l’idee d’Humbert de Romans (mort en 1277), general de !’ordre des Dominicains: Per praedicationem enim semina/ur per confessionem vero colligitur fruchls. 102 Dans ]’Index exemplorum, Tubach releve un type lie a Ia confession (avec deux variations), auquel nous pouvons rapporter notre miracle· Tubach n° 1 1 88, Confession, re/umfrom dea a) confession, dead return to speak
New York etc. (Cambridge Studies in medieval literaiUre, 8). 1990. Sur les visions infemales, cf. J. Baschet, Les Ju.wces de l lu-delti Les represe ation de l’enfer en France eren /tafle…, op. eil.. pp. 15-1J.l.
101 La Tabufo eremplorum secundum ordinem alphabeti. Recueil d’erempla compi en France Ia fin du XIJ/eme stecle, Ed. par J.Th. Weiter. Paris. Toulouse, citania, I926. n. 88, p. 28: lrem nora de sorore Sr. Damiam que proprer audttum umus cantiJene de qua non fuir confessa, Jmt m purgarono Xv711 dies sicur posten m orac1one sua revelav11 cwdam soror1 sue.
102 Sur les relations entre exempla ct confession. cf. J. Berlioz, „‚Quand dire c’est faire dirc“. Exempla et confession chez Etienne de Bourbon (mort v.l261)“ in Faire croire, op.cit., pp. 299-335: Ia citation de H. de Romans trouvc p. 304
103 The Exempla or u strattve stor�esfrom rhe Sermones !’ulgares ofJacques de try. op. ctt., n. CCC , p. 127: htl aurem esr quod rantum dampnum Jactat diabolo sicur vera confessw. unde Iegtmus quod cum quidam enorme peccatum comtm <el, et tllud con ten non auderet, tandem tmmmente morl/s ar/lculo. habull voluntatem confitendi. Dmbolus autem rimens ne tllud con teretur sacerdo/1, transfgi uravif se m spectem sacerdous, er dmt homini illi: „Ecce, grav/ler in rmar�s, fac confesswnem tuam ur salurem consequaris. “ Facta autem confessione, dixit abolus: „Jsrud pecca/um valde turpe est er abhommnhtle. er mulros scnnda/i;are passet. lnJungn tibt ne de cetero aflcu1 sacerdou cvn tearis. “ Mortuo autem tflo homine, allegobat dyabolus quod ammam habere deberet, eo quod homo tlle nunquam peccatum sacerdoti confessus futsset. Bonus autem angelus e co rario dtcebat quod bona e/ stmp/er mtenuo hommem tl/um salvare debebat, martme cum dolus abofl non debull etdem pnrrocmari. Dommus autemjudtcavtt {‚rO tllo homme, er
Ju ir ammnm ad corpus redtre ur confe <tonemJaceret. er de penitenttam ageret. 66
oj, b) Conjession
reviva/jor. Ainsi Jacques de Vitry raconte-t-il l’histoire d’un homme qui n’osait pas confesser un grave peche et qui n’en manifesta l’envie que sur son lit de mort. Or la dessus Je diable se changea en pretre et fit en sorte que l’homme se confessät a lui. Mais Dieu der;ut l’espoir du diable de s’emparer de cette äme apres Ia mort en renvoyant l’homme sur terre seconfesser-carl’intention del’hommeetaitbonne.103
,
Comme nous pouvons Je constater, Je voyage dans l’au-delä du serviteur de Kaupo (consequence de son re s de se confesser) appartient a une tn!s Iarge tradition intertextuelle. Nous allons maintenant situer T . 2 . 3 . dans Ia Iitterature anterieure se rappo ant aux visions infernales. Les voyages en enfer sont un theme traite des les toutes premieres visions de l’au delä (nous trouvons des allusions des l’Ancien Testament et plus tard dans le Nouveau Testament). La premiere vision d’importance est celle dite „de saint Paul“ (visio sancti Pauli). II s’agit c’un recit en grec d’origine egyptienne (llleme siede), dont Ia traduction latine est parvenue jusqu’ä nous. Le recit part des paroles de St. Paul lui-meme dans Ia Deuxieme epitre aux corinthiens ( 12, 1-4) d’aprt!s Ia Vulgate:
(Remarque: nous voyons que T.2.3. est en relation tres etroite egalement avec Je texte de St. Paul. car on y trouve repetee Ia phrase sive in corpore sive extra corpore, nescio, Deus seit.) Or cette Vision de saint Paul est devenue tres populaire au IXeme siede et Cesaire en presente une paraphrase dans ses „Huit livres de miracles“. 104 Le haut Moyen Age n’apporte de pas de modifications essentielles a Ia Iitterature des visions infernales (il faul citer les recits de Gn!goire le Grand, Ia vision de Charles Je Gros, celle de Wett, celle de Be old etc). En revanche le Xlleme siede peut etre appele „Ia renaissance de I’Enfer“. Oe remarquables textes de visions se succedent: Visio Alberici, Visio Tmtgdali, le „Purgatoire de Saint Patrick“, Visio Turkhi i, etc. Nous les laissons ici de cöte, pour examiner d’un peu plus tres Ia tradition suivante. C’est qu’a partir du X le e siede, Ia Iitterature d’exemp/a devient le tout premier genre qui decrit les visions de l’enfer. Le Xllleme siede semble ainsi se situer entre deux „renaissances de I’Enfer“, celle du X!Ieme et celle du X!Veme siede. Citons J. Baschet: „Ainsi Je Xlile e siede peut etre considere non comme une parenthese dans l’histoire de Ia cruaute infemale, mais comme un palier entre deux moments de mutations des conceptions de l’au dela.“.IOS
A examiner Ia presentation de l’enfer et du chätiment dans T.2.3., nous voyons que Je principe est simple et largement repandu dans !es exempla: Ia nature du chätiment repond ä celle du peche. Pour citer Cesaire ( T . 2 . 3 . ) : in qualibus etiam peccavit, in ta/ibus luit. I1 exprime ce meme principe egalement dans d’autre histoires. 106 Mais toute recherche d’intertextes anterieurs aux tourments decrits s’avere vaine: en e et (comme nous tenterons de
1 Die Fragmente der Libri f7 .Wraculorum des Caesarius von Heisterbach, Hrsg. von A. Mey er, op.cit.. Anhang I (: Libri V Miraculorum. ed A. Hilka, op.cit., pp. 150-153): „De animabus inferni quas videt Paulus t. . . -„. pp. 208-211): plus precisement sur la „vision St. Paul“. cf. J. Baschet, op. cit., pp. 87-99.
lU; J. Baschet. op.cil.. p. 1 32.
106 Dialogus miraculorum II.7, T. l, p. 72: Deus secundum qualitatem et modum peccati ipsum punit peccatum. Aliles iste quia vaccam rapuit, in vacca peccatum luit. Haec de qua/itate. J cca propter pacua per diversa prata discurrit. et assidua praecisione recrescientia gramina depascil. J ‚acca, ipsa sua inquietudine et depastione, nohi/es et advocatos temporis nostri designat, qui domos er agros subditorum hospilando depascunt, et per assiduas exactiones. quas in i/los faciunt, in substantia recrescere non sinunt. lsti praedonihus in paenis similahuntur. et sicut modo alias agirant. /Ia ipsi cum praedicto milite extagitabuntur. Jfaec de modo dicta sunt.
/. ./ scio hominem in Christo ante annos quatordecim, sive in corpore, nescio, sive
extra corpus, nescio, Deus seit‘. raptu hujusmodi usque ad tertium coelum.
.
.1
67
Je montrer, cf in a 2.2.2.2.), les tounnents ici relates apparaissent decoulant du contexte local – livonien. 107
2.2.1.3. Textes paralleles
Nous designans par ce nom les textes qui traitent, independamment les uns des autres, du meme miracle, en l’occurrence d’un miracle appartenant ä notre co us. Nous n’avons trouve qu’un texte de ce type, qui remonte ä J’·’Ancienne chronique rimee de Livonie“. La chronique a ete ecrite dans Ia demiere decennie du XIIle e siecle et se compose de 12.017 vers; eHe a ete redigee en haut-allemand moyen. Le vers est proehe de Ja fomte employee dans les epopees al!e andes classiques de cour, il est fort regulier – de 6 ä 8 syllabes. La „Chronique ri ee“ est Ia chronique de Ia branche livonienne de !’Ordre teuton; son style, sa technique, son approche Ia rattachent assez claire ent ä Ia Iitterature (notamment Ia poesie) chevaleresque repandue au XIIle e siede dans Ia partie orientale de I’Aile agne (poesie adaptee aux exigences d’un ordre chevaleresque religieux). L’auteur de Ia chronique, reste anonyme, faisait pa ie des proches du aitre de !’Ordre de Livonie: c’etait un oine-chevalier qui se depla it beaucoup en Livonie sur ordre du aitre de !’Ordre. Chronologique ent. Ia chronique couvre l’epoque allant de l’arrivee des archands alle ands sur Ia riviere Väina, en 1 1 84, jusqu’ä 1 290. 108 Les vers 1269- 1332 racontent l’histoire d’un archand alle and tue par un Estonien. II s’agit d’une variante independante du iracle T. 1.3.109
La confrontation des personnages des deux histoires ne revele pas de grandes di erences. Dans les deux cas, il s’agit d’un marchand alle and. d’un Estonien qui l’heberge, de Ia fe e de I’Estonien, de leur enfant et des te oins du iracle. Les differences apparaissent dans une description plus approfondie des personnages. L“Ancienne chronique rimee de Livonie“ introduit ici de nouveJies precisions. Nous apprenons que Je archand alle and n’etait pas riche et qu’il vendait des aiguilles. Mais si, concemant les personnages, il n’y a pas de differences essentielles, il s’en trouve un ce ain no bre au niveau de l’action. Dans Je recit d’Henri, I’Estonien agresse I’Aile and dans Je feu du souleve ent general des Estoniens; dans Ia chronique ri ee, l’action de I’Estonien est plus retorse: il attire I’Ailemand chez lui au mo ent ou Je soulevement a dejä commence. Il lui o e protection et l’invite ä l’etuve. Mais son objectif est de Je tuer. Le meurtre lui-meme di ere considerable ent dans les deux textes. Alors qu’en T.l 3. e meurtrier est I’Estonien, dans Ia chronique rimee c’est Ia femme de ce demier qui l’assassine, l’homme n’ayant qu’un röle d’auxiliaire. Le seul evenement absolument identique dans les deux textes est Je miracle: les blessures de martyr de Ia victime apparaissent sur Je corps de l’enfant (T. I . 3 . : du ls), nouveau-ne de I’Estonien. Identique egalement est Ja reaction des te oins. Mais apres Je miracle Ies deux textes s’eloignent ä nouveau. Dans T. I .3. l’enfant retrouve bientot Ia sante, eme si les cicatrices restent visibles encore longtemps. Dans Ia chronique rimee en revanche l’enfant vit avec ses blessures encore un an et demi. Di erent egale ent Je sort de I’Estonien. D’apres T.l.3. il est bientot tue par des soldats chretiens alors que dans Ia chronique il reste vivant, mais accable de grandes peines et douleurs. La de ere
107 Sur les diverses peines dc l’enfer dans Ia Iitterature d’exempla. cf. J. Baschet, op.cit.. pp.87-99 el dans Ia Iitterature sur les ,·isions. tbtd.. p. 133, tableau 4.
108 Plus prccisement. cf. E. Kross, Lttvimaa vanem ritmkroomka, [L’ancienne chronique rimee de Livonie) Tanu, 1991, memoirc de diplöme a Ia chaire d’hsitoire d’Estonie de l’Universite de Tanu, lk. �40.
109 Livlmt dische Reimchromk. Hrsg. von L. Meycr, Georg Olms Verlagsbuchhandlung. Hildesheim, (1876) 1963. pp. 30-31.
68
grande difference entre les deux recits conceme la mention du lieu de l’action: en T. 1 . 3 . celle-ci se deroule a Sakala alors que dans Ia chronique rimee elle est placee a Podereja (Riidaja) dans la region de Karkus (Helme). Cette di erence pourrait provenir de la logique inte e de chacune des chroniques, c’est a dire de l’action ilitaire a la description de laquelle le racle (lui-meme de nature atemporelle) a ete ajoute.
Summa summarum: au terme de l’analyse intertextuelle du corpus, nous soulignerons trois points: I ) notre corpus est d’un haut niveau d’intertextualite (a une ou deux exceptions pres); 2) Alors que les textes d’Henri sont caracterises par une relation tres etroite avec Ia Vulgate et Ia Iitterature liturgique, ceux de Cesaire s’inscrivent en rappo etroit avec Ia tradition medievale des exempla. Ces deux traits s’expliquent par l’histoire personneHe des deux auteurs; le premier etait un pretre missionnaire, dont les principaux outils de travail etaient les ouvrages mentionnes; le deuxieme en revanche disposait d’un plus !arge choix de litterature, ses rapports avec le monde environnant etaient aussi nettement plus intenses; 3) Malgre le haut degre d’intertextualite, OS textes contiennent beaucoup d’eiements originaux, qui eclairent le mode de vie local et les habitants de Ia region. C’est a leur etude que nous consacrons la derniere partie de notre analyse de contenu.
2.2.2. L’analyse historique: remarques methodologiques
Taut au long de cette etude, nous avons traite les personnages et l’action presentes dans ces histoires de miracles a un niveau abstrait; nous les avons consideres comme elements de structure ou comme parties d’un espace intertextuel. Dans cette partie nous nous proposans de les situer dans l’espace dans le temps et d’etudier l’information historique dont ils sont porteurs (en relation egalement avec d’autres sources). En partant des etudes existentes, nous nous concentrerons surtout sur l’information historique contenue dans les textes de Cesaire de Heisterbach. Cette analyse s’articulera en deux parties: tout d’abord celle des personnages historiques (ou porteurs d’informations historiques), puis celle les actions correspondantes.
2.2.2.1. Les personnages
T.l.l. presente deux personnages (ou groupes de personnages) meritant une etude plus
detaillee:
Theoderic. Ce bras droit de l’archeve ue Meinhard, plus tard eveque d’Estonie (mort le 15.VI.1219),estleseulpersonnagecitedanslerecitparson nom.Ilsembleetredeceuxqui ont ete laisses de cöte dans la logique du recit d’Henri le Letton (construit sur les episcopats des trois archeveques); des lors, il a ete aussi neg!ige par !es historiens plus tardifs. Le pre er des historiens estoniens a avoir releve le röle central de Theoderic dans Ia christianisation de la Livenie et de l’Estonie est J.Luiga.110 Apres lui, cette idee a ete reprise par l’historien allemand balte Paul Johanson 111 Mais l’historiographie ulterieure a en grande partie neglige ce fait. Ce
110J.Luiga. inEeslikirjandus. 1926/10.
1 1 1 P . Johansen, A’ordische Mission. Revals Gründung und die SchH·edensiedlung in Estland, St kholm, Wählström & Widstand. 1 9 5 1 , pp. 94-105: cf. aussi F.G.von Bunge. Livland die Wiege der Deutschen Weihbischöfe. op.cit.. pp. 15-19: malheureusement. nous n’avons pas pu consulter l’anicle de Th. Gentrup „Der
Zeitschrift ir Missionswissenschaft und
Zisterzienser Dietrich in der altlivländischen Mission
Religionwissenscha , 1956/�0. He 4, pp. 265-281.
69
„,
n’est que dans les demieres annees que l’on remarque une so e de „renaissance de Theoderic“.112 Bien qu’il ne joue pas un röle essentiel dans Ia structure narrative d’Henri, on n’en peut pas moins Iire entre les lignes l’importance de son influence et de son action dans Ia conversion des pa ens. Premierement, de tous les missionnaires de Ia region, il etait celui qui disposait de Ia plus grande experience de rappo s avec les autochtones, et donc Je plus actif propagateur du christianisme (cf CI I , I 0). Deuxiemement, on peut Je tenir pour Je fondateur de fait de !’Ordre des Porteglaives (cf C VI,4). Troisiemement, c’est lui qui etait Je plus etroitement en contact avec Ia curie de Rome. II a fait en tout au moins 6 voyages a Rome: en 1 192, 1201, 1203, 1213, 1215 et 1218. Quatriemement, il peut etre considere comme Je fondateur du monastere de Daugavgriva (bien qu’o ciellement cette fondation soit attribuee a Albe ). Theoderic est d’ailleurs devenu abbe dudit monastere (cf C ,3). Cinquiemement, il doit etre considere omme le principal auxiliaire des Danais dans Ia prise de Tal!inn (au cours de laquelle il mourut en martyr, CI XXlll,2), etc. Notre texte (T.l.l.) ajoute a l’activite de Theoderic un eclairage particulier avant tout sur ses relations avec !es autochtones.
Lesjemmes. On peut supposer que les femmes gurant dans Je recit ont elles aussi porteuses d’un ce ain message. Edouard Pabst a emis l’hypothese selon laquelle ces femmes etaient les epouses du malade; leur hostilite au bapteme tenait a ce que par cet acte (demande ar Je malade) Ia vie en polyga ie anterieurement pratiquee serait interdite. 113 A comparer avec C XXVI,8: Et receperunt uxores suas, tempore christianitas dimiss ..I
T . l . 2 . ne contient aucun personnage porteur d’info ations historiques importantes ou originales, i1 eclaire quelque peu le mode de vie des simples missionnaires d’Estonie et de Livonie et leurs relations avec les autochtones.
T.l.3. nous propose quelques images des marchands allemands venus en Livonie et en Estonie (a l’appel de l’eveque Albert) et de leurs relations avec les autochtones.
T.2.1.
Le jrere convers. Le personnage du premier r it est „un frere convers, qui venait de se convertir“ (qui m conversus, qui nuperfidem susceperat). Le tout premier proble e qui pose conceme Ia traduction: nous avons propose, pour le latin „conversus“, Ia traduction „frere convers“, bien que le mot latin soit plus souvent utilise dans le sens de „converti“. Nos arguments sont de deux ordres: notre traduction pa tout d’abord de Ia logique de 1’action. est di cile en effet de croire qu’un paysan tout juste conve i ait pu participer un o ce de moines (tres vraisemblablement au monastere de Daugavgriva). D’autre pa ce choix de traduction se trouve aussi chez ce ains auteurs plus anciens. Frederic C. Tubach traduit cette notion en anglais par a l brother. Le mot latin est aussi interprete de Ia sorte par Lore Wirth Poelchau. II faut ajouter, en guise de troisieme argument, que l’analyse du Iangage de Cesaire
1 1 2 C par exemp1e P. Raudkivi. „Liiv1ased Kaupo R ma reisi tagamaadest“ [Les Livoniens 1es coulisses du voyage a Rome de Kaupo). Looming, 1995/3, 1k. 390-398.
1 1 3 Heinrichs I’On Lei/land Livltmdisches Chronik ein getreuer Bericht �.J nach Han chnften mtl vte acher
Berichttgung des Oblichen Textes aus dem lateinischen Obersetzt une erl utert von E. P . Reval. 1 7. p. 8, m. 10.
70
n!vele qu’il utilise Ia plupart du temps Je mot conversus dans Je sens de frere convers. Donc, Je heros de notre premiere histoire est un frere convers livonien qui, du fait de son statut, n’avait pas encore Je droit de communier – regle largement repandue parmi !es cisterciens (et pas seulement chez eux) l14 Fait pour nous eloquent: des Ia premiere etape de Ia christianisation il se trouvait des moines autochtones.
Bemm·d de J.ippe. Le deuxieme personnage – certes exterieur du recit – figurant dans Je texte de Cesaire est son informateur Be ard de Lippe, „abbe de Livonie, maintenant eveque dans Ia meme region“. Comme nous l’avons montre plus haut (cf 2.1.3.4.) dans l’analyse des sources, Bernard etait l’une des principales sources d’information de Cesaire sur Ja Livonie. Cesaire souligne lui-meme l’importance de Be ard en tant qu’informateur pour ses recits:
Hec reve/ata S/1111 ab episcopo Livonie, viro ordinis isterciensis, qui multo melius et plenius rem novit quam a me sit relata .ibri 1,21).
Des lors, Je moine de Cologne Iransmet aussi, souvent, des informations sur Be ard de Lippe lui-meme. Ed. Winkelmann s’est Iivre des 1868 a une breve analyse de l’image de Be ard teile qu’elle resso des textes de Cesaire.1 15 La meme annee, l’historien allemand Fritz Winter a lui aussi presente quelques circonstances de Ia vie de Bernard en s’appuyant egalement sur les textes de Cesaire.116 Plus tard, ces memes textes ont ete utilises par d’autres auteurs pour reconstruire Ia vie et les idees de Be ard de Lippe.117 Pour nous l’essentiel ici est que Bernard ait dispose d’une tres haute autorite aux yeux de Cesaire, ce qui apparait d’une part dans Je fait qu’il est souvent cite par le moine de Cologne, et d’autre part qu’il avait souvent l’occasion de participer en tant que temoin a des miracles divins.
T.2.2. n’ajoute aucune information historique essentielle sur des personnages de l’histoire livonienne ou estonienne. Henri Je Letton est bien plus eloquent sur Ia question de Ia foule a baptiser et du faible nombre des baptiseurs.
Theoderic: comme nous l’avons mentionne dans Ia premiere pa ie de cette etude, nous n’avons pas d’information precise nous permettant d’identi er avec precision ce Theoderic. Nous avons egalement evoque l’hypothese de H. von Bruiningk (jusqu’a ce jour Ia plus
1 1 4 Sur les freres convers au monasterc chez les cisterciens. cf. F. Winter, Die Cistercienser des nordosrlichen Deutschlands. Ein Beitrag zur Kirchen- und Kulturgeschichte des deutsches .\fitte/alters, Bd. 2, Gotha. 1 8 7 1 , pp. 156-158.
115E. Winkelmann. „Der Magister Justinus Lippiflorum. Nebst Erönerungcn und Regesten zur Gescichte Bernhards II von der Lippe, des Abts ,·on Dünamunde und Bischofs der Selonen“, op.cil., pp. 478-482: „Ueber die miracula Bernhardi“.
1 16 F. Winter. Die (Jslercienser des nordosrliche Deutschlands. Em Beitrag zur Kirchen- und Kuliurgeschichte des demsches .\litte/alters. Bd. l . Gotha. 1868. pp. 239-2�5: nous n’avons pas pu utiliser l’ctudc dc P. Schilfcr·Boichorsti. „Herr Bemhard ,·on der Lippe als Ritter. Mönch und Bischor‘, Zeitschriftf r l „aterltindi.,·che Geschichte und.J/tenumskunde. Jll Folge. Bd. IX. Heft 2. pp. 107-235. Münster 1 8 7 1 .
117P.Johansen“Lippstadt.FreckcnhorstundFellininLivland. WerkundWirkungBemhardsllzurLippeim Ostseeraum“. I erii ent/Jchungen des Provinzin/inslituts fiir ll’estaf /Jsche Landes- und l ‚olkskunde, Reihe l: Winsch s- und Verkehrwissenscha liche Arbeiten, Heft 7. Munstcr. 1955. sunout pp. 105-118.
71
interessante), selon laquelle il pourrait s’agit du Theoderie eite par Henri le Letton (CHL ,5). II est impossible d’en rien deduire de tres eoncret.
T.2.3.
Kaupo. C’est le premier personnage qui apparait dans le texte de Cesaire: qui m paga us Caupo nomine :. . . 1, qui post baptismus tantae devotionis fuit et tam probatae conversionis. C’est le seul autoehtone presente par son nom et qui gure dans les travaux des deux auteurs de notre corpus. Cela foumit une bonne occasion de comparer les info ations transmises par l’un et par l’autre. Dans sa chronique, Henri accorde ä Kaupo une tres ande attention: il le mentionne en tout 17 fois (Lembitu, le chef des Estoniens, n’etant cite que 10 fois). Oe plus, Henri le voit tres haut place, et le tient pratiquement pour le roi des Livoniens de Turaida (quasi rex et senior Lyvonum de Thorey ) (CHL VII, ). II nous offre d’interessants elements de comparaison avec ce que dit Cesaire – ä savoir que Kaupo avait ete em ene ä Rome pour avoir fait preuve, apres son bapteme, d’une grande devotion et d’une foi assuree: d’apres Henri, Ia grande devotion de Kaupo etait liee au COntraire ä son voyage ä Rome: Nam ipse [Caupo M. T. J postquam Roma rediit, delissimus jactus est 1. . ./ (C X, I 0). Si l’on peut done trouver ä propos de Kaupo quelques differenees entre Henri et Cesaire, l’approehe generale des deux auteurs est identique: Kaupo est un veritable ehretien du eru, dont Ia digne vie a ete eouronnee par une mort eneore plus digne, le martyre dans Ia Iutte contre !es pa ens (C I.4). II faut neanmoins. dans le eas de ees deux textes, tenir eompte de l’arriere-plan ideologique des auteurs (Ia necessite de mettre en avant un autoehtone); Ia eomparaison eon rme leur eonfo ite relative ä Ia realite.
L’evequeAlbert: ä son sujet, l’approehe de Cesaire apporte un message plus original.111 Contrairement ä Henri, qui est favorablement dispose envers Albert, l’auteur du Dialogus miraculomm se montre, dans sa phrase sur l’aspiration d’Albe a Ia eape episeopale, plutöt ironique. Faut-il en ehereher Ia raison ehez l’informateur de Cesaire, Bemard de Lippe, qui ne s’entendait pas toujours bien avee l’areheveque (n’ayant pas ete satisfait au debut dans son desir d’etre eveque)? D’apres P.Johanson iJ est impossible que eette information soit parvenue a Cesaire par l’intermediaire de Bemard, car il ne devait pas ignorer que le desir et Ia possiblite pour Albert de devenir archeveque etaient plus tardifs (d’apres Henri, le voyage de Kaupo ä Rome eut lieu en 1203/04).119 Co e Johansen lui-meme le fait remarquer, l’envie concrete d’Albert de devenir archeveque ne nous est connue qu’ä partir de 1219. La reponse (negative) du pape Honorius a ce desir d’Albert est pa enuejusqu’ä nous (7 novembre 1219):
I…/ Cetemm licet nobis humiliter su licaris, multiplicatis intercessionibus plurimum, ut in Uvonia novam creare metropolim dignaremur, nos huius rei circumstantis provide circumspectis, in non m expedire Livoniensi ecclesiae arbitrantes, preces
tuas adpraesens nequivemus exaudire
1 1 8 Sur Albert dans l’oeuvre dc Cesaire, cf. aussi G. Gnegel-Waitschies. BischofAlbert von Rign. Ein Bremen Domherr als Kirchenfursl im Osten (1/99-1229), A. Friednch Velmede Verlag. Hamburg. 1958. pp. 20, 70-71,
133. 143-IH, 162 etc.
1 1 9 P. Johansen, „Lippstadt…“, op.cil. . p. 104. A . 32.
120 Liv-. Est- und Kurlandisches Urkundenbuch nebst Regesten, Beg ndet von F.G. \’On Bunge. R . 1853, Bd.l, n. 47.
72
L’une des solutions possibles a ce proble e est que Cesaire n’ignorait pas (gräce a Bernard) cette info ation plus tardive, et qu’il l’a rattachee (consciemment ou non) a des donnees anterieures. conce ant le voyage d’Alben a Rome (sur Ia problematique du voyage a Rome, c il!{ . 2.2 2 2.).
2.2.2.2. L’action
Dans cette analyse de l’action nous n’entendons pas examiner toutes les actions qui se pn\sentent au de Ia lecture de notre corpus (guerison. enterrement, accueil, co union etc); nous nous concentrerons sur quelques problemes qui nous semblent presenter un interet historique. Nous avons trouve dans ce corpus quatre actions po euses d’un essage interessant (toutes dues ä Cesaire de Heisterbach): I ) le bapteme des Livoniens par aspersion; 2) le voyage de Kaupo a Rome: 3) l’activite de Kaupo comme confesseur: 4) les peches du serviteur.
I . Le bapteme des Livoniens par aspersion. L’info ation donnee par Cesaire sur le bap:eme dispense d’abord par aspersion puis par immersion prend taute son impo ance si on le compare aux recits de bapteme transmis par Henri. On peut considerer le theme du bapteme comme l’un des Ieitmotivs de Ia CHL. Sur Ia base de ces frequents recits, nous pouvons nous faire une idee assez claire du bapteme des pa ens de cette region (au moins tel qu’Henri le voyait mais il n’y a pas lieu de douter de Ia confimtite a Ia realite). C’est dans l’histoire du bapteme du chef Kyriavani (Kitjavane) qu’Henri en presente Ia description Ia plus approfondie (meme si le rituel reste inacheve) (C XXIII,7): tout d’abord le protageniste exprime son desir d’etre baptise: puis il est catechise en presence de son parrain, Rodolphe, un maitre de !’ordre, pres quoi on commence a l’oindre d’huile; mais alors s’eleve un grand vacarme ( raison d’un malentendu militaire) et l’onction (de meme que, sans doute, l’immersion) s’arretent Ia. Si dans le cas ici decrit toutes les instructions du rituel du bapteme ont ete correctement respectees, on procedait plus souvent a Ia häte, en aspergeant les pai’ens, en ne les instruisant que fo brievement. II en va ainsi par exemple dans Ia forteresse de Yiljandi (C XlY,I l). Les missionnaires danois. quant a aux, poussent Ia negligeance a l’exces:
Qui bapti:an/es viilas quas m et ad alias suos millen/es, ad quas ipsi venire tam subito non potuenmt, et cruces magnas ligneas in omnibus villis jieri precipientes at aquam benedictam per manus rusticomm millenies el mulieres ac parvulos aspergere iubellles … (CHL, /1�2).
l l decoule du texte d’Henri que les missionnaires allemands (et danois) faisaient appel a deux methodes pour baptiser les autochtones: l’in sion et l’aspersion. Or l’eglise catholique connait un troisieme mode de bapteme; l’i ersion. Henri ne parle pas directement de bapteme par immersion, mais le bapteme des habitants de Saaremaa dans Ia forteresse de Valjala laisse place a cette interpretation Henri ecrit:
/..·‘ permediumcastrumfontemconsecramesetdoltumreplemesprimasenioreset
meliores catechizatos. deinde viros et mulieres bapti:ant etpueros /
73
..
.! (CHL 5).
L.Arbusov a suppose ici un bapte e par i ersion (ce que le tonneau d’eau se ble confirmer).121 E. Tarvel, en revanche, ne partage pas cette opinion: „Co ent aurait-on pu faire passer par le tonneau les iers de personnes dont parle Henri! Nulle pan dans Ia chronique il n’est question de bapte e par i ersion: panout on parle d’infusion (rigare) ou d’aspersion (aspergere)“.121 Si le pre ier argu ent de Tarvel n’est pas tres solide (l’e ploi des no bres par Henri, co e par les autres chroniqueurs du Moyen Age n’est pas prendre au pied de Ia lettre; de plus les pretres ont ete occupes cette activite trois jours de suite), sa deuxie e objection (fonda entale ent argumentum ex silentio) se ble su samment ccnsequente pour lui donner raison. Des lors, le seul auteur conte porain faire reference bapte e par i ersion est Cesaire: Unde Livonienses LI cum trina immersione secu m morem ecclesiae denuo baptizali sunt (T.2.2.). Pour situer lesdits evene ents dans leur contexte historique il convient de proceder un court detour dans l’histoire du sacre ent du bapte e. 123 Co e nous l’avons entionne, l’eglise catholique connait trois odes de bapte e, l’aspersion, l’in sion et l’i ersion. L’abbe Corblet a resu e ainsi leur usage diversi e dans l’histoire de l’eglise edievale: 1) du IVe e au Vlle e siecle on a utilise l’i ersion partielle, rare ent l’infusion. 2) du Vlle e au Xle e siecle le ode de bapte e Je plus repandu etait l’i ersion verticale totale. Dans cette periode, comme tout au long du Moyen Age, on procedait de aniere differente, nforme ent aux circonstances concretes, avec les adultes qu’il etait co plique d’i erger co plete ent. 3) Entre Je Xle e et le XIIle e siecle on a utilise Ia plupart du te ps l’immersion co plete avec in sion partielle, rare ent l’in sion seule.124 C’est donc ainsi que presente Je bapte e courant; ais nous so es ici avant tout interesses par !es bapte es exceptionnels, realises au cours des missions, et plus concrete ent par les possibilites d’utilisation de l’aspersion. Le christianis e primitif ne reconnaissait pas l’aspersion; le pre ier des theologiens du Moyen Age avoir analyse le proble e de l’aspersion se ble etre Alexandre de Haies (1186-1245). II enu ere un certain no bre de Situations, dans lesquels l’i possibilite de l’immersion peut conduire a faire appel a l’aspersion. L’un de ces cas touche aussi l’evene ent rapparte par Cesaire: quand Ia foule baptiser est trop grande pour que l’on procede l’i ersion. m Tho as d’Aquin ( 1228-1274), qui dans sa Summa theologiae aborde ega!e ent le proble e du bapte e par aspersion, nu ere trois cas principaux dans lesquels on peut utiliser l’aspersion au lieu de l’i ersion, l’un deux coi’ncidant avec celui de Cesaire: lorsque Ia foule baptiser est trop grande (il ajoute le anque d’eau en quantite su sanie et Je auvais etat de sante de certains candidats au bapte e).126 En depit des discussions scolastiques du Xlile e siecle, l’eglise n’autorise l’aspersion qu’au Ve e siecle (au synode de Ravenne, en 1311, il est decide que l’on peut baptiser sub trina a ersione vel immersione). 127 Donc le bapte e des Livoniens par aspersion
121 L. Arbusow, Liturgie und Geschichtsschreibung…. op. cit.,p. 62.
122 E. Ta el, „Henrikja tema aeg“, op.cit., lk. 22.
123 C J. Dellamy, „Bapteme l’eglise latine dcpuis le l e e si le“, Dictionnaire de theologie catho/ique, T.2. lere panie. Pans, 1932, coll. 250-296; P.de et. „Bapte e“, Dictionnaire d rchealogie Chrellenne et de Liturgie, T.2. lere partie, Paris. coll. 251-346: les rituels de bapteme depuis le christianisme pri tifjusqu’au Xlleme siecle, J.D.C. Fi her, Chns an Initiation: Bapttsm m ehe Medieval West. London. S.P.C.K. (Aicuin Club Collections. VII), 1965.
124 L’abbe Corblet. Histoire du sacrement de bapteme, Paris, 1 8 8 1 . cit. in J. Dellamy. op. eil., coll. 254. 125 J. Dcllamy, op. cit., ll. 254.
126lbid., coll. 255.
127 Jbid.
74
n’est pas entierement en accord avec l’enseignement de l’eglise, meme si aux yeux de Cesaire,
c’est un acte digne d’un miracle.
2. Le voyage de Kaupo a Rome. La visite du Livonien Kaupo („le premier autochtone Rome“) Ia curie papale a susciu! l’inten�t de nombreux historiens (et pas seulement des historiens); pou ant, notre avis, cet evenement n’a donne lieu aucune analyse serieuse et approfondie. Dans l’analyse de ce voyage nous sommes pourvus d’une documentation re!ativement abondante sur l’histoire medievale de l’Estonie. Mais un premier proble e (et le seul que nous raiterons ici) surgit d’emblee propos de cette meme „abondance documentaire“. Le voyage a Rome de Kaupo est rapparte par trois sources (relativement) contemporaines independantes; CHL (VI1,3), Ies „Huit livres de miracles“ de Cesaire de Heisterbach (1,31), et I“‚Ancienne chronique rimee de Livonie“ (vers 304-498). Un proble e curieux ressoft de ces trois textes: avec qui Kaupo est-il alle Rome? D’apres Henri, avec Theoderic, d’apres Cesaire, avec l’eveque Albert et d’apres Ia chronique rimee. avec l’eveque Meinhard! Les dimensions de cette etude ne nous permettant pas de proceder une analyse comparative detaillee de ces trois sources (cela sera fait ailleurs), nous nous contenterons de proposer quelques breves appreciations.128 Tout d’abord cette triple mention129 du voyage de Kaupo temoigne de l’importance (avant tout ideologique) de l’evenement. Par ailleurs cette visite semble porter eile un grand capital symbolique, c’est pourquoi di erents auteurs ont estime necessaire (consciemment ou non) de l’attribuer di erents heros (nous ose ons tenir pour authentique l’information transmise par Henri). Troisiemement cette triple mention nous montre quel point il faut se montrer prudent dans l’approche des faits de l’histoire ancienne de l’Estonie.
3. La proposillon de conjession faite par Kaupo a so11 serviteur. Le heros de cette action est egalement Kaupo. Ce qui nous interesse ici, c’est avant tout l’aspect theologique: Ia confession un Iaie et son contexte historique. Le christianisme primitifi orait Ia confession (dont Ia pratique remonte au moins au !Te e siede) entre un pretre et un croyant, tous !es peches etant confesses publiquement pendant l’o ce Ce n’est que dans les siedes suivants du Moyen Age que s’est installe l’usage de Ia confession „intime“, usage qui s’est maintenu jusqu‘ nos jours. 11 etait cependant possible d’elargir Je droit de confesser meme un Iaie. Cette pratique a commence se repandre surtout a partir du Xleme siecle.130 Le eiere anglais Lan anc, qui a vecu au siecle en question (1005-1089), est l’un des premiers mentionner cette possibilite au cas ou aucun ecclesiastique ne serait pro imite.131 Thietmar, eveque de Mersebourg raconte pour sa part dans sa „Chronique“ ( I 0 1 5) quelques cas analogues a celui de Cesaire et tient ce procede pour correct.132 Au debut du siede suivant Pierre Lombard ( 1 1 00 / 1 0 – 1 1 60), dans son celebre „Livre des sentences“, ajoute une remarque au present debat: il faut confesser au Iaie non seulement les peches Iegers, mais egalement tous les peches
128 Aucun historien n’a jusqu’ä present analyse ces trois textes ensemble. Mcme P. Raudld\’i, ns son reccnt anicle „lii\’lased Kaupo Rooma rcisi tagamaadest“, op.cll.. semblc igno r le texte de cesairc.
129 II y a encorc une source qui menuonne lc voyage de Kau en 1376, cf. P ud vi, op.cll., . 392.
130 E Vacandard, “ confession du !er au Xlile e si cle“. in Dtcllonnarre de thealogie catholique, T.IJl,
lere panie. Paris. 1939. coll. 877.
131 B. Lanfrancus. De ce/ande confeSStone. PL. T. CL, coll. 63�-635: St nec m ordmtbus eccleswsttcis cut
con te < uwems, vtr mundus ubtcumque sit requtretur 1…1 Sme determmallone cujusdam ordinis homo mundus lustrare mundum dtctlur.
132 Thtetmari chromcon. PL. T. CXXXIX. coll. 1369: Htc [dux Allemonorum – T.} cuia mortem sibi imminere perspexit, ·ocias vocat, et reo parcerent suppeltcatur; et quta hic tune presbiterum, quo sua co1 iteretur peccatn, non habuit, unum ex militibus hujus wce proptus accedere JUSStt.
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graves. Ainsi done au XIIIeme siede Ia eonfession a un Iaie, faute d’eeelesiastique, est une pra:ique largement repandue. Toutes !es reserves ne sont pas pour autant levees sur eette question. Par exemple Alexandre de Haies eerit que dans ee cas il ne s’agit pas de saerement, mais il est seulement question de ve u (Haec confessio non est sacramemum, !teil sit virtutis). D’apres Duns Scotus (environ 1266-1308) Ia eonfession a un Iaie ne possede aueune valeur de saerement: Nihil pertinens ad sacramenlum paenitentiae polest a laico di ensari
solution de eompromis. estimant que Ia confession a un la’ic n’est eertes pas vraiment un saerement, mais e’est un sacremental comportant un pouvoir en quelque mesure semblable a eelui d’un saerement: Confessro laica jacte sacramenta qu m est, non sacramentum
.
. confessa facta laico nihil valet virtute operis operati. Thomas d’Aquin propose une
pe ectum.133 Ce detour theologique montre que Je eomportement de Kaupo, qui o e a son serviteur Ia possibilite de se eonfesser, etait entierement justi e et eorrespondait aux pratiques de l’epoque. Ce qui pour sa part temoigne des resultats de l’enseignement des missionnaires.
4. Les tourments du serviteur en enfer. Le dernier point qui nous interesse dans eette
analyse de l’action eonceme !es peches commis par Je serviteur et qu’il doit expier. nous
semble en effet que Je reeit de Cesaire correspond en tous points aux eonditions de l’epoque en
Livonie. et que son appo personnel a Ia description des peehes du serviteur est tres Iimite. Le
premier peche que le serviteur doit expier eonsiste en ee qu’il a pris a un pecheur ses poissons
et qu’il les a manges bouillis et pimentes. Cet aete retransmis par Cesaire semble bien refleter Ia
realite de Ia vie quotidienne. II est de notariete publique que jadis l’ali ent principal des
populations de cette region etait le poisson. Et qu’on le mangeait essentiellement bouilli et
abondamment sa ! (Je piment peut etre considere comme un ajout de Cesaire). Cette tradition
s’est perpetuee jusqu’ä une epoque recente: en 1931, un vieillard con rme que ‚)adis on vivait
uniquement de soupe de poisson“. 134 A Moora ajoute: „Comme on disposait jadis rarement de
poisson et de viande frais, Ia nourriture salee etait tellement eoutumiere qu’on a eontinue a Ia
./ (L’Estonien] ne mangeait jamais le poisson non sale, insipide.“
m
pre rer meme plus tard /. .
Le Iien entre 1es materieux des ethnologues du XXeme siede et ceux reeueillis par Je moine de Cologne est certainement hypothCtique et soumis a caution, mais il ajoute quand meme peut etre un point d’appui a notre a rmation quant a Ia veridicite des histoires de Cesaire. Le deuxieme peehe fatal au serviteur est le vol de miel ä un voisin (avec lequel ils tenaient des ruches) et son utilisation pour faire de l’hydromel (medonem). Avant de nous tourner vers les apports de l’ethnologie, rappelans qu’Henri le Letton lui aussi mentionne dans sa ehronique l’hydromel: or. lors de l’expedition des Lituaniens contre les Estoniens (et du coup aussi eontre !es Allemands),
I…! qui m ex ipsis . . I cum suis s /ibus ad civitem divertit. Cui inter alios viros de civitate cum pace odviam exeuntes u1tus ex civibus, nomine Marlimrs, ad biben m potum mellitum prebet. Quo exhausto exercitum preeuntem insequitur et socios suos sie alloquitur: „Nonne euthonicorum nobis medonem prebencium trepi ncium
manus vidistis? (CHL IX, /).
133 Cf. P. Bc . „Confession (du concile de Latran au concile de Trente)“, in Dicrionnaire de rheo/ogie catho/ique, op.cir.. 1L 899-900.
134 A. M , Eesti rolurahva vanem IOit. osa: joogid, Ieibja /eivakön•ane. (L’ancienne cu1.<me desp sans estomens. /Jeme pame: /es bolssons, le pain er /es accopmagnemems]. Tallinn, V , I991. . I94.
135 lbid
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Nous trouvons encore chez Henri un �moignage de l’importance du miel chez les autochtones: c’est Ia description d’une vive querelle entre des Lettons et des moines chevaliers pour des ruches (C XYI,3). La solution du conflit, en faveur des autochtones, est decrite par Henri quelques paragraphes plus bas (CHL XVI.6) Ainsi avons-nous con rmation de Ia possibilite pour lc serviteur d’avoir des ruches. ll reste a tirer au clair Ia question de l’hydromel. Nous estimons qu’il s’agit ici d’une boisson largement repandue dans Ia tradition estonienne (et non seulement estonienne), ceile de Ia „boisson de mout“ [meskijook] alias une biere chaude non fcrmentee. Il s’agit d’un produit intermediaire obtenu en cours de fabrication. „Dans le recipient utilise pour fabriquer Ia biere, a Ia n de Ia cuisson du malt et avant l’adjonction du houblon, on prelevait un liquide sucre destine aux femmes et aux enfants“. 136 A. Moora precise aussitöt: „La biere chaude non fermentee n’etait pas simplement destinee aux femmes et aux enfants, il semble quc jadis eile ait ete bue par tout le monde. On se souvient a plusieurs endroits d’avoir bu cette boisson a laqueile parfois on ajoutait du el“. 137 Ce melange de biere non fermentee et de miel a ete considere comme le plus ancien dessert des Estoniens.138 Le troisieme peche du serviteur. c’est d’avoir travaille le dimanche, le jour du Seigneur, d’avoir Iransporte des foins. Cette action apparait eile aussi comme fort vraisemblable: avant Ia christianisation, Ia population locale ignorait tout d’une interdiction de travail le dimanche, ce qui ne manque pas d’expliquer les cas de transgression. En analysant les trois peches racontes par Cesairc nous arrivons donc a Ia conclusion qu’il s’agit de cas eclairant Ia realite quotidienne de Ia vie des Livoniens.
Que dire en synthese, sur le contenu de l’information historique Iransmise par le corpus?
Bien qu’eile n’appo e pas d’elements entierement nouveaux sur l’histoire ancienne de l’Estonie, il faut reconnaitre qu’elle comporte un certain nombre de details qui eclairent des personnages ou des evenements de l’histoire medievale estonienne sous un angle nouveau_
3. EN CONCLUSION
L’objectifde cette etude etait simple et net: analyser sous les angles les plus divers six textes de deux auteurs differents, remontant ä Ia premiere moitie du XIIle e siecle et relatant des
a notre connaissance les seuls qui traitent de miracles a ladite epoque et dans ladite region – ont ete traites a priori comme un corpus homogene, dont l’analyse a compose Ia presente etude. Nous avons divise notre analyse en deux grandes parties, celle de Ia forme et ceile du contenu. Dans Ia premiere, nous avons ex ne l’unite structureile du corpus a l’aide d’une analyse structurale des personnages et de l’action. A Ia fin de cette premiere partie nous avons compare les structures narratives des deux auteurs. Nous sommes arrive aux resultats suivants: I ) Nous avons con rme le fait que ces textes constituent bien un corpus a structure homogene (hypothese que nous avions posee au debut de l’analyse sur Ia base d’une certain nombre de signes exterieurs); 2) Les six textes du corpus reposent tous sur une structure narrative identique. La deuxieme partie a ete divisee en deux sous-parties. Dans Ia pre ere nous avons
136lbid, Jk. 71. 137lbid, Jk. 72. 138 lbid, . 75.
miracles survenus en Livonie et en Estonie a l’epoque de Ia christianisation. Ces sxi textes
–
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tente, a l’aide de l’analyse intertextuelle, de trouver: I ) Le röle des emprunts de toumures dans le corpus (notamment dans sa premiere partie); 2) La place des textes examines dans Ia tradition textuelle des miracles autrement dit dans un espace intertextuel. Nous sommes arrives aux resultats suivants: I ) Nous avons decouvert que le röle des emprunts directs (conscients ou non) dans le corpus (notamment dans sa premiere partie) est relativement important. 2) Tout le corpus (a quelques exceptions pres, T.1.2., T.2.2.) est d’une grande intertextualite. Dans Ia deuxieme sous-partie, nous nous somm attaches a faire ressortir l’information historique contenue dans le COrpus. Nous avons etudie pour ce faire separement les personnages et quelques actions dans le temps et dans l’espace. Nous avons dü constater que le corpus contient un ce ain nombre d’elements interessants pour l’etude de l’histoire d’Estonie (et de Lettonie).
Plus generalement, l’auteur souhaiterait ajouter quelques remarques perspectives concernant Ia recherche sur l’histoire ancienne de l stonie, dont ce travail est cense etre un jalon: il faudrait I) Elargir !es sources (actuellement relativement limitees) sur Ia base lesquelles s’est faite jusqu’a aujourd’hui l’etude du Moyen Age estonien egalement a des documents moins o iciels. 2) Prendre en compte, dans l’histoire d’Estonie et de Lettenie de l’epoque de Ia christianisation non seulement !es luttes d’independance des peuples de Ia region, mais aussi d’autres aspects; pa i ceux-ci, le plus important est l’image de Ia population locale par !es conquerants. 3) Etudier l’histoire ancienne de l’Estonie comme celle d’une terre de missions, avec tout ce que cela entraine (avant tout le röle des ordres monastiques, et donc des cisterciens). 4) Elargir l’outillage d’analyse des historiens (souvent relativement etroit). Ces points ne pretendent pas etre un resume des resultats de ce travail, mais ils entendent indiquer
les voies a suivre, avant tout par l’auteur de ces lignes.
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QUOTIDIANUM ESTONICUM
MEDIUM AEVUM QUOTIDIANUM
HERAUSGEGEBEN VON GERHARD JARITZ
SONDE AND V
QUOTIDIANUM ESTONICUM
ASPECTS OF DAILY LIFE IN MEDIEVAL ESTONIA
EDITEDBY
JÜRIKIVIMÄE
A
JUHANKREEM
KREMS 1996
GEDRUCKT MIT UNTERSTÜTZUNG DER KULTURABTEILUNG DES AMTES
DER NIEDERÖSTERREICHISCHEN LANDESREGIERUNG
Coverlllustralion:Compilationfromsketch inthemarginsofaccoum k s of the Town Magistrate of Rcval (TLA. Ad. 26 and 32)
– ISBN3901094083
© 1996 by Medium Ae\1Jm Quotidianum. Gesellschaft zur Erforschung der materiellen Kuhur des Millclallers, Körnennarkt 13, A – 3500 Krems. Austria – Printcd by Kopitu Ges.m.b.H.,
Wiedncr Hauptstraße 8-10. A-1050 Wien
Inhaltsverzeichnis able of Contents/Sommaire
Preface….. …………………………………………………. …………………………………………………….. 7
JüriKivimäe,Medieval Estonia. Introduction. …………………………………………………….. 8
Juhan Kreem, „ultima germonorum & christianomm prouintia“. Outlines ofthe Image ofLivonia onMaps from the Thirteenth to theMiddle of the Sixteenth Century … 14
Marek Tamm, Les miracles en Livonie et en Estonie a l’epoque de Ia christianisation
( n XIIeme- debur Xllleme siecles) …………… ……… . …………………………. 29
Erik Somelar. Van des keisserlichen L bischen Rechtes wegen. Circumstances of Criminality inMedieval Reval…………………………………………………………………….. 79
Tiina Kala, The Church Calendar and Yearly Cycle in the Life ofMedieval Reval. . . . . . . . . . 103 Mihkel Tammet, Some Aspects ofHerbalMedical Treatment on the Example
ofMedieval Reval…. ………………………………………. …………………………………… 111 Inna Pöltsam. Essen und Trinken in den livländischen Städten i m Spätmittelalter . . . . . . . . . . . . 118 KatrioKukke, Les lois somptuaires deReval………………………………………………………… 128
5
Preface
The idea to publish a special Estonian or Baltic issue of Medium Aevum Quotidianum has been discussed already for a couple of years with Gerhard Jaritz and Christian Krötzl. lnitially the idea was based on the first experience of studying medieval everyday life and mentalities in a small seminar-group at Tanu University. This optimistic curiosity of discovering a new history or actually a history forgotten long ago, has been carried on. The research topics of Katrin Kukke, lnna Poltsam and Erik Somelar originate from this seminar. However, all contributions of Quolidianum .womcum were written especially for this issue.
Besides that, this collection of articles needs some comments. First, it must be admitted that the selection of aspects of everyday life published here is casual and represents only marginally the modern Situation of historical research and history-writing in Estonia. The older Baltic German and Estonian national scholarship has occasionally referred to the aspects of everyday life. Yet the ideology of ‚histoire nouvelle‘ has won popularity among the younger generation of Estonian historians only in recent years. These ideas are uniting a srnall informal circle of historians and archivists around Tallinn City Archives, represented not only by the above mentioned authors but also by the contributions of Tiina Kala, Juhan Kreem, Marek Tamm and Mihkel Ta met Secondly, we must confess the disputable aspects of the title Quolldianum Eswmcum Medieval Europe knew Livonia but not Estonia and Latvia which territories it covered over 350 years There may be even reproaches tOwards the actual contents that it is too much centralised on Tallinn/Reval, but it can be explained with the rich late medieval collections available at Tallinn City Archives.
We wish above all to thank Eva Toulouse, Monique von Wistinghauscn, Hugo de Chassiron, Tarmo Kotilaine and Urmas Oolup for the editorial assistance. Our greatest debt of gratitude is to Gerhard Jaritz, without whose encouragement and suppon this issue could not
have been completed.
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Jüri Kivimäe, Juhan Kreem, editors