Les lois somptuaires de Reval
Katrin Kukke
L’habillement n’a jamais ete uniquement l’expression du göut et du confort de Ja personne. Il a
toujours subi J’iniluence du milieu, des moeurs, de Ja religion, des particularites culturelles,
economiques et historiques. Dans une societe hierarchisee, Je costume devait avant tout
representer Ia position ä l’interieur du systeme de celui qui le portrait. Pour empecher les
inferieurs d’apparaltre audessus de leur rang, Ia couche superieure devait imposer des limites ä
leurs ambitions. Ainsi ont fait leur debut en Europe Occidentale !es lois somptuaires. C’est ä Ia
fin du 13eme et au debut du 14eme siede que !es pouvoirs centraux en France, en Italie et en
Espagne ont commence ä erneure cette sorte de lois. En Allemagne, !es lois somptuaires se
sont developpees de maniere un peu differente: Ia legislation vestimentaire en effet est mise en
place par !es villes et non par Je pouvoir central. RevaJfrallinn, appartenant ä une zone
d’influence allemande, elle suivait Je modele des municipalites de ce pays.
L’apparition des lois somptuaires tient d’une pan ä l’existance d’une pan d’une
municipalite etablie et d’autre pan ä celle du phenomene de Ia mode. En Allemagne, ces
conditions sont realisees au milieu du 14eme siede, au moment ou Ia ville medievale atteint son
apogee. La fin abrupte des lois somptuaires apres 1 700 correspond au deperissement de Ia
culture urbaine medievale.
La plus ancienne des lois vestimentaires de Reval a vu Je jour au tournant du I Seme et
du 1 6eme siede. 1 Neuf autres prescriptions vestimentaires ont ete conservees ä Reval; elles
remotent a 1 524,2 1576,3
au tournant des 16eme – 1 7eme siedes,
4 1631,5 1 639,6 1665,7 1690
8
et 1691.9
1 Tallinna Linnaarhiiv (Lcs Archives Municipa1es dc Tallinn); abbr. TLA. B.s. 7, p. 4-5.
2
TLA. B.s.7, p. 10-11; A.c.5, p. 71-78.
3 TLA. B.s. 7. p. 4 1 -42. 78-79.
4 TLA. f. 190, ! . I . N“ 2. p. 387-392.
5 TLA, B.s.7. p. 292-301: f. 1 9 1 . I. I, N° 19. p. 78-83; f. 1 9 1 . 1. I, N“ 2, p. 393-403.
6 TLA. B.s.7, p. 3 1 7-325.
7
TLA. f. 191, 1 . I, N° 19. p. 85-9; f. 190, I. I, N“ 2. p. 405-423.
8 TI.A. f. 1 9 1 , I. I. N° 19. p. I 13-115.
9
TLA. B.s.7. p. 392-398.
J 2 8
De plus, un grand nombre d’additifa et de modifications faits au 1 7eme siede sont arrives
jusqu‘ il nous saus forme de brouillons des protocoles municipaux. Autres source interessante:
I es pctitions et I es protestations des citoyens et des guildes.
Une autre Iai vestimentaire a ete emise en 169610 (sans doute Ia demiere), dont seules
quelques pages ont ete conservees; mais il faut noter qu’elle est Ia seule imprimee. (A Leipzig
par exemple. apres 1478. Ia plupart des lois sont imprimees, mais meme en AJiemagne ce
n’etait pas une regle generale. 11 )
On ne peut affirmer de manicre certaine qu’avait vu le jour a Reval, mais il est fort
possible qu ‚au I Seme siede Ia vie quotidienne des citadins füt reglementee principalement par
les bursprakes. Meme sur les autres domaines de Ia vie, les reglementations municipales ne
commencent qu’au I Seme siede, non seulement a Reval, mais aussi a Riga. 12
Les bursprakes n’approfondissent pas Ia question vestimentaire. Dans le bursprake de
1 36013 le costume n’est pas mentionne. Dans ceux de 1 40014 et de 140S15 on trouve un artide
qui defend aux femmes de porter or et fourrures.
A Reval comme en Allemagne, Ia fin du 17eme siede et Ia fin de l’emission de Iais
somptuaires coi’ncident. Iei, de plus, Ia situation etait conditionnee par Ia Guerre du Nord: Ia
pauvrete voire Ia misere qui en decoulaient rendaient les lois vestimentaires. Des 1 690 et 1691
les prescriptions se font plus vagues, elles ne sont plus aussi structurees ni aussi detaillees
qu’auparavant, Ia distinction des rangs n’a plus d’importance. De plus, Ia mode franyaise, une
fois le conservatisme des citoyenes depasse, permettait de l’habiller avec goüt et a peu de frais.
Le cesturne cessait d’etre un objet precieux.
Les lois vestimentaires ont incontestablement connu leur apogee au 1 7eme siede. Aux
siedes precedents par contre elles sont rares et sans structure precise; meme si on ne saurait
affirmer avec certitude qu’elles sont toutes parvenus jusqu’ä nous, il n’y en a certainement pas
eu beaucoup. En AJlemagne aussi, au 16eme siede, le nombre des lois somptuaires etait assez
bas. en depit de nombreux abus en matiere de mode. II semble qu’il y ait eu autre chose ä faire
qu’ä reglementer le vetement; il est aussi possible qu’en cette matiere Ia tolerance dominante
n’ait pas permis de proceder ä des limitations de ce type. 1 6 A Reval l’inditference constatee
dans Ia deuxieme moitie du 1 6eme siede peut s’expliquer aussi par Ia guerre de Livonie ( 1 558-
1583).
ln TLA. B.s. 7. p. 400-402.
11
L.C Eisenbart. Kleiderordnungen der deutschen Scädle zwcschen 1350 und 1700. Göttingen. 1962. p.20.
12 F.G.Bunge. Em/ellung m dce liv-, esth- und curltmdcsche Rechtsgeschichte und Geschichte der
Rechtsquel/en, Re1·al 1849. S. 167-168.
13
Liv-. Esth- und Curländisches Urkundenbuch nebst Regesten. (LECUB) 2.Band. Hrg.F.G.v.Bunge. Reval,
1855. N“ 982.
14 LECUB. -!.Band. Rcval, 1859. N“ 1 5 16.
15
P.Johanscn. H ,·.zur Mühlen. Deutsch und Undeutsch im mittelalterlichen und frühneuzeitlichen Rcval.
Köln, Wien. 1973. SAH-447.
16 A.1·.Heyden. Die Tracht der Kulturvölker Europas vom Zeitalter Horncrs bis zum Beginne des
XIX.Jahrhunderts. Leipzig. 1986. $.159.
129
La raison d’etre Ia plus evidente de ces lois, c’est Ia differenciation des rangs par le
vetement. Mais des recherches plus detaillees montrent que cette affirmation – du moins en ce
qui conceme Ia premiere periode de Ia legislation dans les villes allemandes – est mal fondee.
Bien que les rois de France, des le 1 3eme siecle, aient emis des lois somptuaires distinguant les
rangs, !es prescriptions allemandes, aux 14eme ou ! Seme siecle, ne revelent pas encore
l’existence de tentatives pour empecher les citoyens de s’habiller comme Ia noblesse.17 De
meme, les lois somptuaires medievales ne font pas Ia difference entre les rangs: elles reposent
sur !’egale validite des regles pour tous les habitants de Ia ville. En ville l’idee des differents
etats n’avait pas une base suffisante. Le dynamisme social des cites etait tres fort, !es passages
d’une condition ä l’autre etaient frequents; dans le cadre d’une meme profession les ecarts
pouvaient etre sensibles et il ne s’etait pas encore forme de hierarchie entre les metiers.
D’apres Ia premiere loi vestimentaire de Reval, Ia valeur des joyaux qu’une femme avait
le droit de porter dependait des moyens materiels de son mari. Or comme dans Ia ville
medievale Ia position sociale ne dependait pas sur !es rangs, ne !es prenait pas pour base.
D’apres Ia pensee economique medievale. le bien-etre de Ia societe dans son ensemble reposait
sur le bien-etre de l’individu, lequel ä son tour dependait d’une vie reguliere et mesuree. II fallait
donc limiter toutes !es depenses susceptibles de ruiner !es citoyens; dans !es premieres lois
somptuaires, Ia population n’est pas differenciee par Ia naissance ou par Ia profession, mais par
Ia fortune. La seule argumentation de Ia loi de I S24 est le bien-etre commun: “ … hejt ein
Ersam Radt sampt des Gemeinheit disser stadt Reuel tho woljart des gemeinen beestens disse
navolKende arlickele vnd puncle eindrechtigne ingegan vnd bolevet …
„18
La ville du 14eme et ! Seme siedes se caractt\rise par un fort dynamisme social. C’est
progressivement que va s’etablir une structure sociale representee par l’echelle des metiers. Du
meme coup, ä partir de 1480, !es lois vestimentaires allemandes temoignent d’une tendance ä
d:fferencier !es rangs. Or ä Reval, jusqu’ä Ia tin du 16eme siecle, I es dames de Ia Grande Guilde
ne beneticient que de quelques privileges insignitiants
Cela ne veut pas dire que Ia distinction sociale etait inconnue ä Reval. Dans les annees
IS30, les relations entre les marchands et les artisans s’etaient tendues pour des raisons
economiques. „Ainsi y avait-il aussi une grande hostilite ä cause des habits de leurs femmes et
de leurs filles car une femme ne pouvait pas s’habiller pareillement ä une autre,“ ecrivait le
chroniqueur Balthasar Russow. 19 Mais jusqu’au debut du 1 6eme siede, malgre de grandes
differences sociales et ethniques, !es relations entre les differentes couches de citadins ä Reval
etaient relativement harmonieuses. Aux 14eme et ! Seme siedes Reval connait en effet son
epoque de floraison, il y a de Ia place pour tout Je monde 20
C’est en 1631 que l’alteration des rapports sociaux s’exprime pour Ia premiere fois dans
les lois vestimentaires. Avant cette date, l’habillement d’un marchand et d’un artisan ne
differaient pas sensiblement. A present, Ia distinction des rangs par le costume est un but
clairement exprime: “ …da mit die Conjusiones der Kleidung abgereiihmet vnd ein Jeglicher
17
L.C.Eisenbart. Kleiderordnungen der deutschen Sl(ldle … p.54-55.
18 TLA. B.s.7. p.77.
19 Ballhasar Russow’s Chronica der Prouinlz LyjJ/andl. R.iga, 1857, p.38.
20
A.Margus. „Rahvus- ja sotsiaalvahekordade teravnemine Tallinnas XVI saj. I poolel.“ (La tension des
relalions nationals et socials ä Tallinn dans Ia premiere moitie du 16eme siecle.) In: Vana Tal/mn IV. Tallinn,
1939. lk.86.
1 3 0
stand auch an dem eiisserlichen habil erkant vnd vnterscheiden werden könte.“21 Les
prescriptions refletent egalement Ia hierarchie etablie parmi les anisans. Ceux-ci sont divises en
deux groupes: les anisans respectables (vornehme) et les anisans simples (gemeine, geringe);
les epouses de ces demiers n’ont pas droit au titre de „dame“ (Frau), mais sont dites
simplement „femmes“ (Weiber). II faut croire que les anisans respectables etaient ceux de Ja
guilde de s.Cnut et les artisans simples ceux appartenant a celle de s.Olav. Les noms des
guildes apparaissent pour Ia premiere fois explicitement dans les lois vestimentaires de 1665.
Dans Ia mesure ou les privileges au rang s’exprimaient dans le costume, Ia Iutte pour
l’egalite sociale est toujours allee de pair avec l’aspiration a l’egalite vestimentaire. La
corporation Ia plus mecontente de ces prescriptions etait celle des orfevres. Dans des
suppliques adressees au magistrat, ils attiraient l’attention sur l’injustice dont ils etaient
victimes, n’ayant pas le droit de polier de velours ni de perles alors meme qu’ils travaillaient les
materiaux les plus precieux. Dans les annees 1 640, les orfevres ont commence une campagne
en vue d’entrer dans Ia Grande Guilde. L’incident qui a declenche !’offensive a ete une violation
des lois somptuaires commise par Ia femme du chef de Ia corporation. La Iutte des orfevres de
Reval n’a pas abouti et ils n’ont pas pu entrer dans Ia Grande Guilde (contrairement a ceux de
Riga, de Dorpat et de Narva); mais les Magistrats s’est montre bienveillant en matiere
d’hahillement. Plusieurs venerables matrones ont ete interrogees: elles ont unanimement affirme
que les orfevres s’etaient toujours habilles comme les marchands. Des lors les Magistrats ont
decide qu’il ne fallait pas deroger aux anciennes coutumes 22 Mais cette decision ne figure dans
aucun texte de loi.
La loi de 1665 est Ia plus detaillee et Ia plus profondie. Les membres de Ia guilde de s.
Olav y figuraient dejil sur Je meme plan que les domestiques, ce qui humiliait les membres
allemands et suedois de Ia guilde. Pour les membres non-allemands, I es questions d’habillement
n’etaient pas aussi importantes, car Ia comparaison avec !es familles vivant a Ia campagne etait
fortement a l’avantage des citadins. Sans doute les artisans allemands ont-ils manifeste leur
depit; en consequence, une clause a ete ajoutee a Ia loi accordant aux Allemands et aux
Suedois de Ia Grande Guilde I es memes droits que les membres de Ia guilde de s. Cnut. Ainsi Je
critere d’evaluation des artisans bourgeois etait de moins en moins corporatif et de plus en plus
ethnique.
Dans les lois de 1690 et de 1691 Ia differenciation sociale a disparu. De nouveau,
l’accent est porte sur l’aspect economique et moral. La mode franr;:aise, qui avait fini par
penetrer jusqu’a Reval. permettait moins de manifester Ja position sociale dans l’habillement.
A Ia fin du ! Seme siecle, mercantilisme vient remplacer le mode pensee economique
precedent. D’apres cette conception, Ia cause du declin economique tenait au deficit du
commerce exterieur. 11 fallait donc proleger l’industrie locale contre Ia concurrence. Sur Je
marche du vetement, Ia concurrence se manifestait surtout au niveau des materiaux de luxe et
de l’anisanat fin. C’est pourquoi en 1 6eme et au 1 7eme siedes les lois vestimentaires se
concentrent avant tout sur Je materiaux.
A Reval, ce n’etaient pas seulement les articles de luxe, mais egalement les etoffes de
laine qui etaient importes. Les tissus de fabrication locale ne servient qu’a Ia fabrication des
21
TLA. f. l 9 1 . i. l. N“ 19. p.78.
22
A.Fricdenthal. Die Goldschmiede Revals. Lübeck. 1931. p.l6.
1 3 1
vetements pour les paysans et pour les citadins pauvres. Les articles de mercerie et les textiles
etaient l’un des principiaux produits d’importation ä Reval et les articles de Juxe en formaient Ia
plus grande partie. La plupart des marchandises repartaient en direction de Ia Russie ou de
I’Europe Occidentale. mais ce qui restait devait satisfaire les besoins des citoyens aises. C’est
pourquoi on fixait avec precision qui avait Je droit de pouvoir porter tel ou tel materiau, ou et
dans quelles proportions. Meme chez les marchands, les tissus les plus precieux et les fourrures
etaient reserves aux decorations et aux bordures En 1637, par exemple, les Magistrats ont
envisage d’interdire l’utilisation de Ia zibeline sur les manteaux 23 Dans Ia loi de 1639, non
seulement Je port de Ia zibeline, mais aussi celui de Ia martre sont interdits.
Le port des pierres et des metaux precieux etait lui aussi severement reglemente. Meme
les dames de Ia Grande Guilde n’avaient le droit de porter des colliers en or que pendant les
jours de tete. Le poids des bijoux etait fixe. Ce n’est qu’en 1665 que les dames de Ia guilde de
s.Cnut ont reu Je droit de porter de petites chalnes d’or. Meme les broderies, les boutons, les
bracelets, les boucles en or et en argent etaient strictement limites.
Un trait interessant des lois somptuaires de Reval est le traitement du dit „costume de
Dorpat“ (dorptsche tracht), du ä des considerations economiques: eviter les depenses
superflues que causeraient un renouvellement de garderobe. L’appellation „costume de Tartu“
recouvrait un habillement different de celui de Reval, sans doute plus ä Ia mode, que portaient
au debut seulement les femmes etrangeres venues ä Reval par mariage. Des lors, il existait
deux prescriptions differentes pour des femmes appartenant au meme rang, une pour celles qui
portaient Je costume de Reval et l’autre pour celles qui portaient celui de Tartu.
Le problerne de l’habillement etranger est aborde pour Ia premiere fois dans les lois
editees au toumant du 16eme au 17eme siecle. Sur Ia base de l’argumentation precedemment
citee, il est permis aux femmes d’origine etrangere de s’habiller autrement, ä condition que Ia
valeur des textiles, des fourrures et des metaux precieux ne soit pas plus elevee que dans
l’habillement de Reval correspondant et que leurs filles soient habillees suivant les usages
locaux.
Dans Ia loi en question, l’expression „costume de Tartu“ ne figurait pas encore, elle
apparait pour Ia premiere fois dans Ia loi de 163 1 . Ce fait montre qu ‚entre-temps ledit costume
s’est largement repandu et qu’une partie des jeunes generations de Tallinn l’a adopte. Le
magistrat, afin de limiter les depenses, a decide de l’autoriser pour les femmes qui l’ont dejä,
les autres devant garder l’habit traditionnel de Reval sous peine de ne pas etre invitees aux
noces et aux autres fetes. La „costume de Tartu“ semble aussi ne plus denommer n’importe
quel costume etranger, il a quelques traits fixes, condition necessaire pour que I‘ on puisse
interdire qu’y apporter des modifications.
L’attitude envers le costume de Tartu est contradictoire: l’approche de Magistrats est
conservatrices et negative; les citoyens en revanche le voient de maniere positive et lui sont
favorables. En meme temps, Ia plupart des querelies en matiere d’habillement elevent sur ce
costume. En 1641 les marchands Christian Koch et Hans Luhr envoyent une lettre ä Ia reine
Christine d’ou il ressort que pendant un an et demi les Magistrats ont interdit ä leurs femmes
de sortir car elles ont change leur garderohe et adopte le costume de Tartu. Or le costume de
Tallinn etait tout ä fait demode; des 1 6 3 1 ä peu pres 200 femmes etaient passees au costume
de Tartu, dont beaucoup de filles et de parentes des bourgmesters et des conseillers. Koch et
23
A.Soom. Die Zunjlhandwerker in Reval im siebzehnten Jahrhundert. Stockholm. 1971. p.54.
132
Luhr insistaient sur le principe d’egalite vestimentaire a l’interieur du rang. 24 11 est impossible
de savoir si le problerne a ete regle par une resolution royale ou a !’initiative des Magistrats,
mais dans Ia modification apportee a Ia loi en 1643,25 les differences a l’interieur d’un meme
rang sont abrogees.
Bien des questions concernant le costume de Dorpat restent sans reponse; nous
ignorons notamment I‘ origine et Ia raison de cette appellation et Ia nature exacte des
ditrerences entre les costumes de Dorpat et de Reval. Ni les lois somptuaires ni !es autres
sources n’apportent de reponse ä ces questions.
Un des termes cantraux qui figure dans les lois somptuaires est celui de „superbe“
(Hoffart, superbia): celleci se manifestait par les grandes depenses en articles de luxe. Les lois
vestimentaires avaient donc aussi pour mission de combattre ce vice. Au debut du 1 6eme
siecle, ce terme est lui aussi rattache ä Ia condition sociale: il ne couvre plus I‘ ensemble des
depenses couteuses et somptueuses, mais exprime ce qui n’est pas convenable ä un rang
donne. Par exemple en 163 I , les chaines en or et en argent etaient interdites parce que trop
lux‘.leuses pour les femmes d’artisans. alors meme qu’elles etaient considerees comme une
parure convenant aux dames de Ia Grande Guilde. Ce qui etait vice dans les couches inferieures
ne l’etait pas pour les couches superieures. Les conseillers et leurs familles n’ont jamais connu
de restrictions, en partant de l’argument que jamais personne dans cette categorie ne habille
inconvenablement.
La mode fran.yaise, qui se repand au 16eme siede, s’oppose a Ia conception bourgeoise
de Ia respectabilite, et provoque partout, notamment dans les villes allemandes, une
exacerbation du ton des lois vestimentaires 26 Le mot „allamodische“ (ä Ia mode) exprimait
une attitude dedaigneuse envers toutes les coutumes !Tanr;:aises. La Livonie est restee
longtemps fidele ä Ia mode ancienne. Ce n’est qu’en 1 665 que Ia loi fait reference a des
elements de mode fran.yaise. Elle interdit aux femmes les bonnets „allamodische“ et aux
hommes „!out es sortes de bordures franr;:aises,“ ainsi que le principal element de decoration, le
ruban. Il faut croire que le decollete, trait principal de cette mode, qui faisait scandale ailleurs,
n’etait pas repandu dans cette region, car les lois vestimentaires ne le mentionnent pas. Il n’est
pas non plus question des perruques, qui en AJlemagne faisaient l’objet d’un combat achame 27
Pourtant, il devait s’en porter a Reval egalement, car d’apres une information fiable, un
perruc:uier y travaille depuis 1676. 28
Meme le conservatisme des lois subissait une certaine evolution. Le propre du Moyen
Age est de nier tout ce qui est neuf, parce que c’est neuf, et tant c’est neuf. Une dimension
nationale s’ajoute au 1 6eme siede: tout ce qui est nouveau, n’est pas le resultat du
developpement local mais provient de l’etranger. Au 17eme siede, on estime qu’il fait se
24
TLA. B.s.7. p.36-366.
25
TLA. B.s.7. p.330-33 l .
2 6
Eisenbart, Kleiderordnungen der deutschen Stadte … p.JOI: G.v.Hansen, Altlivländische und revalsche
Kleiderordnungen des 16. und I 7 .Jahrhunderts. ln: Aus baltischer Vergangenheit. Misccllaneen aus dem
Rc,·aJer Stadtarchi\•. Reval. 1894. p.35.
27 Mx.Bochn. Die Mode. Menschen und Moden in siebzehnten Jahrhundert. München. 1923. p. I 5 I.
28
Soom. Die Zunfthandwerker in Reval . . . p. 7 I .
1 3 3
tourner vers Ia passe et les coutumes des ancetres pour se debarrasser des influences
etrangeres. 29
Dans !es lois somptuaires de Reval, Ia nostalgie du bon vieux temps commence a
s’exprimer au 1 7eme siecle. C’est sur cette idee que commence Ia loi de 1 63 1 . 30 Par leur
nature, !es lois somptuaires ont toujours ete conservatrices. Ne sont autorisees que des
coutumes deja profondement ancrees qu’i1 est inutile de s’y opposer; !es innovations sont
toujours defendues. Mais !es Magistrats ils-memes devaient constater que ses lois
vestimentaires n’etaient pas observees: “ … besondern alle gesetzte vnd vorhin publicirte
ordmmgen frech vnd vngeshewet verachtet, vnd der Obrigkeit die Execution vber die maessen
shwer vnd sawr gemache I wirdt . . . „31
29 Eisenban, Kleiderordnungen der deutschen Sttidte … p.78. 81-84.
30
TLA. f.l91, i.l. N“ 19. p.78.
31 TLA. f. l 9 1 . i. l . N“ 19. p.85.
134