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Les miracles en Livonie et en Estonie a I’epoque de Ia christianisation (fin Xlleme-debut XIIlerne siecles)

Les miracles en Livonie et en Estonie
a I’epoque de Ia christianisation
(fin Xlleme-debut XIIlerne siecles)
Marek Tamm
0. INTRODUCTION
0.1. Le Moyen Age, age des miracles
Avar.t de passer aux miracles en Livonie et en Estonie, il convient d’examiner d’un peu plus
pres Je „merveilleux“ dans Ia globalite de Ia culture medievale. Pour serier les problemes. nous
tenterons d’abord de recenser les canaux par lesquels Je merveilleux ou Je sumaturel se
manifesten! Ensuite nous examinerons ce qui, dans Je traitement medieval des miracles. est
herite des epoques anterieures. Troisemement nous retracerons Ia courbe d’evolution de
l’approche medievale du merveilleux. Enfin, quatriemement. nous etudierons de plus pres l’une
des formes de manifestation (ou de canalisation) du merveilleux, parmi !es plus specifiquement
medievales: Je miracle.
Jacques Le Goff propose1 trois categories de manifestations du merveilleux au Moyen
Age (XII-Xllleme siecles): mirabi/is. magicus et miraculosus. Mirabilis represente Je
merveilleux au sens Je plus generique. Avec ses racines pre-chretiennes, il englobe !es pays et
!es lieux enchantes, !es geants et !es nains, les esprits de Ia nature et I es monstres etc. 􀆹 Magicus,
aux yeux des hommes du Moyen Age, compone en revanche une connotation negative. Bien
que l’on reconnut l’existence d’une magie blanche (c’est ä dire issue de Dieu) aussi bien que
d’une magie noire (issue de Satan), Je concept a eu rapidement endance renvoyer plutöt ä Ia
magie noire. A1agicus recouvre donc avant tout le surnaturel satanique, alors que Ia troisieme
1
J. Lc Goff. „Le merveilleux dans l’Occidcnt medicval“. in ld., L’1magmmre med•evnl. Essms, Paris,
Gallimard. ( 1985). 1991. pp. l7-J9.
2 er. C. Lccouteux. „lntroduction ä l’etude du merveillcux medic!\·al“. Etudes Germaniques. 1981/5. pp. 273-
290. Id. „Paganismc. christianisme et merveilleux“. A1males E.S.C, 1982/􀃻. pp. 700-7 16; M. Meslin (sous Ia
direction dc). Le merveilleux. L’imagmmre et les croynnce.< en Occident. Pans, Bordas 198􀃼. surtout pp. 32-40.
53-83 et pas.<1m; M. Meslin. „Le mcrveilleux, l’imaginaire et Je divin“. in Colloque imemntiona/ et
interdisciplinmre sur /es Dimen. Institutt. 1987. pp. 27-33: L.H. Lancner. „Merveilleu.x ct fantastiquc dans Ia Iitterature du Moycn Age: une
catcgoric mentale ct un jcu liller.me“. in ibid., pp. 2H-256: J. Favier. „Mcrveilleux“. in ld .. D•cllonn01re de Ia
France IIWtilemle. Paris. Fa􀐀 ard. 1993. p. 63-1.
29
manifestation, le rmraculosus, apparalt comme de nature entierement chretienne Elle reneentre
l’approbation de l’eglise, elle lui sert ä combattre !es deux autres. C’est de lä que provient
di􀃨ectement le miraculum.
Le traitement medieval du miracle subit d’influence de plusieurs elements herites des
cultures anterieures. Avant tout, incontestablement, celle de Ia tradition biblique, vehiculee par
l’Ancien et le Nouveau Testament. L’Ancien Testament n’a guere servi ä Ia cuhure medievale
de „puits aux miracles“; en revanche I’Apocalypse de Jean, dans le Nouveau Testament, ete
l’un des principaux supports de l’analyse et de l’explication desdits miracles. La culture antique
n’a pas manque d’apporter sa pierre ä l’edifice du merveilleux medieval et ceci avant tout par le
biais de plusieurs personnages mythologiques (Minerve, Vulcain, Venus etc .. ), mais aussi
gräce ä quelques textes concrets (par exemple I’HISioria Natura/is de Pline). L’on ne saurait de
plus sousestimer l’apport des peuples nomades (germains) ou des cultures orientales. Mais ce
qui est certain, c’est que l’une des sources permanentes du merveilleux pendant tout Je Moyen
Age doit etre cherchee dans Ia tradition populaire, dans le folklore 3
Loin d’etre fige, le rapport au sumaturel tout au long de cette periode a evolue. Cette
evolution peut etre decrite de Ia SOrte:
I ) Le haut Moyen Age (V-Xleme siecles) est caracterise par le soumission du
merveiileux ä l’eglise, l’un des principaux objectifs des clercs etant de donner a Ia tradition en
matiere de merveiileux (notarnment dans Je folklore) un contenu nouveau, chretien.
2) Le Moyen Age centrat (Xli-Xlileme siede) voit cette approche negative se relächer,
certains theologiens commencent ä s’interesser aux miracles. L’approche populaire du
merveiileux subit egalement moins de contraintes, eile fait plutöt l’objet d’une tentative de
christianisation. Le monde de Ia chevalerie se cree une culture specifique du merveiileux (les
histoires du Graal).
3) Le Moyen Age tardif (XJV-XVeme siecles) procede ä l’esthetisation du merveilleux.
Tout element sumaturel est objet de traitement artistique, litteraire ou autre. La tradition
populaire, eile aussi, gagne en couleurs et en relief.
La seule creation medievale en cette matiere est l’elaboration du miracle chretien. Les
simples manifestations de merveilleux {mirabilia) pouvaient etre dues ä differentes origines,
eil es echappaient ä Ia raison et au contröle; !es miracles en revanche se caracterisent par 1 ) une
raison unique, un auteur unique: Dieu; 2) le contröle de l’eglise et 3) Ia possibilite d’etre
expliques rationnellement4• Ainsi pouvons-nous tenir le miracle comme le signe distinctif du
Moyen Age par excellence.
3 J. Le Goff, „Lc mcrveilleux .. . „. op. c11., pp. 19-20, 31-32.
4 /bid., p. 29: sur le traitcment theologique des miracles de saint Augustin aux scolastiques. cf. B. Ward,
Mzracles and the .\ledzeval Almd: Theory, Record and ii•·ent, /000-1215, University of Pcnnsylvania Press,
Philadelphia, I 982; cf. aussi W.D.McCready. Szgns ofSancmy. Aliracles m rhe Thoughr of Grep.ory rhe Great,
Pontifical lnstitute of Medieval Studies. Toronto. (Studies and Texts. 91). 1989. surtout pp. 7-12; les miracles
(surtout en rapport avec les saints et les pelerinagcs (sur lcs premieres tombes)) dans Ia Scandi:la\ie mOOievale
sont traites dans un ouvragc reecnt de Christian Krötzl. Pzlger, Mirakel und Alltag. Formen des I erhaltens zm
skandinal’lschen Aftllela/ter (12.-15. Jahrhundert), Suomcn Historiallinen Seura. Helsmki. (Studia Historica,
46). 1994.
30
I. LE CORPUS TEXTUEL
I. I. Caracteristiques et commentaire
L’analyse suivante repose sur six textes de deux auteurs remontant a Ia premiere moitie du
Xlilerne siecle, Henri Je Letton et Cesaire de Heisterbach. Le premier a ajoute a Ia Chronique
qu’il est convenu d’appeler „Chronique d’Henri le Letton“ (Heinrici Chronicon Livoniae) un
choix de mirades. Le deuxieme pour sa part parle de Ia Livonie et des mirades de cadre dans
ses ouvrages „Dialogue des miracles“ (Dialogus miraculorum) et „Huit livres de miracles“
(Libri octo miraculorum). qui ont ete largement diffuses. Tous ces textes ont ete ecrits dans les
annees 1 220, c’est a dire dans une periode fort active (militairement parlant) de Ia
christianisation de Ia Livonie et de l’Estonie. II n’existe pas d’autres textes de Ia meme epoque
sur le meme sujet provenant de cette region. Nous n’avons pas utilise des sources plus tardives
(sauf, pour comparaison, I'“Ancienne chronique rimee de Livonie“) afin de preserver
l’homogeneite du corpus. 1’\ous traiterons donc les six textes en question comme un corpus
unique5• dont nous presenterons une analyse multiple. Nous tenterons, dans Ia premiere partie
ce ce travail, de prouver l’uniu􀏋 intE\rieure du corpus; son unite exterieure ( dont certaines
dimensions ont deja ete mentionnees) pourrait etre demontree en paraphrasant Ia regle des trois
unites du theätre dassique:
1 ) Unite de lieu: tous !es textes portent sur des evenements situes en Livonie (pour cinq
d’entre eux) ou en Estonie (dans un cas).
2) Unite de temps: l’evenement qu’ils relatent a eu Iieu en Livonie ou en Estonie a
l’epoque de Ia christianisation, c’est a dire a Ia fin du XIIeme siede ou au debut du XIIlerne
siede.
3) Unite d’action: dans les six cas, il s’agit d’un miracle, c’est a dire d’une intervention
divine directe dans les choses humaines, laquelle debouche sur un evenement ou un phenomene
extraordinaire.
En partant de ces criteres exterieurs, n’ont pas ete retenus dans ce corpus un certain
nombre d’autres „histoires miraculeuses“ contenues dans !es textes d’Henri et de Cesaire. En
vue de respecter l’unite de lieu, on a exclu des mirades recenses par Henri en XV,4 et XIX,6.
L’unite d’action nous a amene a ne pas retenir le recit par Henri “Du maintien miraculeux des
pretres dans l’eglise par Ia misericorde divine“ (De mirabfih} per Dei misericordiam
sacerdotum, in eccles/a conservatione) (Xl,S), et ceci en vertu principalement de deux
considerations: d’une part Henri ne nomme pas les e\·enements dont il traite „mirades“, mais
seulement „evenements m1rabi/es“. Mais sunout parce qu’il n’est pas possible de relever dans
les evenements retraces Ia moindre trace d’intervention divine directe – il peut s’agir tout autant
d’une heureuse co’incidence. D’ou sans doute l’approche incenaine de l’auteur lui-meme. En
revanche, dans le cas des miracles de Cesaire, c’est uniquement l’unite de lieu qui a servi de
critere de choix. Ce moine eisterden rend compte a treize reprises d’evenements en rapport
avec Ia Livenie (que ce soit de par l’action ou Ia source d’information) (cf infra, 2 . 1 . 3 .4.).
5 Notre conccption du „corpus“ rcjoint celle dc Roland Barthes: „Le corpus est une collection Iinie dc
materiaux. detenninee a l’a\’ance par l’analyste. selon un certain arbitraire (inevitable) et sur laquelle il va
tr.l\’aillcr. /. . ./ D’une part. Je corpus doit etre assez !arge pour qu’on puisse raisonnablemcnt esperer que ses
elements saturcnt un S) stemc complet de ressemblances et de differences / .. ./. D’autre part, le corpus doit etrc
ausso homogene que possohle t .. .r. R.Barthes, „Elements dc semiologoe“ (196􀂛) in ld. L’aventure sbmologique.
Paris. Seuil. (1985). I 31
Mais sur !es treize, seulement trois se deroulent en Livonie. Tous ont ett! retenus dans notre
corpus. Dans !es deux paragraphes suivants, nous presenterons de plus pres !es auteurs de ces
textes et leur oeuvre.
1.2. Henri Je Letton
Avant de parler de Ia vie supposee d’Henri, il convient de rappeler que l’attribution de Ia
Chronique de Livonie a cet auteur n’est qu’une supposition (d’ailleurs fort vraisemblable), qui a
ete formulee pour le premiere fois en 1740 par Johann Daniel Gruber, premier editeur de Ia
chronique. En effet. aucun des manuscrits de Ia chronique parvenus jusqu’a nous ne camporte
de nom d’auteur (on peut presumer que le chroniqueur lui-meme avait souhaite garder
l’anonymat). C’est le texte lui-meme qui a permis d’etablir son auteur. En effet. on y trouve
constamment nomme un certain Henricus ou Heinricus.
Oe meme que l’attribution de Ia Chronique a Henri, Ia vie de ce demier est elle aussi
soumise a caution. Enn Tarvel fait a juste titre Ia remarque suivante: „Nous ne savons rien de
certain sur Ia personne pas plus que sur Ia vie d’Henri: tout ce que l’on ecrit sur sa vie repose
sur des hypotheses echafaudees a partir de Ia Chronique, hypotheses d’ailleurs fondees et fort
vraisemblables. „6 Sur Ia vie d’Henri, relevons !es ecrits d’Hermann Hildebrand. d’Heinrich
Laakmann et de Paul Johansen7. On estime que l’auteur de Ia Chronique est ne en Allemagne
du Nord, dans Ia region de Magdeburg. Il est probablement parti en Livonie au printemps 1205
en qualite de missionnaire. Comme on presume qu’il avait autour de 18 ans au moment de son
depart, il serait ne aux alentours de 1 187- 1 1 88. II ne tardera pas a se mettre au travail comme
interprete de live (1206) et entre aussitöt en contact avec les Lettons· en 1208 il accompagne
le pretre Alebrand aupres des Lettons d’Ugandi et d’Umera. Apres sa consecration, il est
nomme pretre des Lettons d’Ümera a Ruben. Mais par moments son aire d’activite est
beaucoup plus !arge.
En ete 1 2 1 5, il accompagne Philippe, eveque dc Ratzeburg, au concile du Latran. En
1222-1224 il aurait sejoume avec l’eveque Albert en Allemagne. Henri participe activement a
de nombreuses campagnes militaires, a des batail!es et a des actions de defense. Tl participe a Ia
conquete de I’Estonie depuis Je debut (depuis !es negociations d’Ugandi en 1208). L’un des
sommers de sa carriere est sans doute Ia panicipation en tant qu’interprete a Ia suite
accompagnant Je Iegat du Pape, Guillaume dc Modene, lors de l’expedition de celui-ci au pays
des Livoniens, des Latgalles et des Estoniens entre Je debut de l’ete 1225 et avril 1226. Deux
documents nous informent sur Henri pour Ia periode non couverte par Ia Chronique Gusqu’en
6 E. Taf\·el „Sisscjuhatus“ [lntroduction] in Hennku Luvunaa kroonika, traduit par R. Kleis. revu et commente
par E. Tarvel, Tallinn, Eesti Raamat, 1982. lk. 5.
7
H. Hildebrand. Dte Chromk Heinnchs von Leuland. Em Bellrag zu Ltvlands lltstonographie und
Geschtchte. Berhn. 1865: H. Laakrnann, „Zur Geschichte Heinrichs von Livland und seiner Zeit“. Beitrage zur
Kunde E. d“Hcnn lc Lenon]. Hwonnl/men Atknuskiqa. 195213. pp. 184-207. ä comparer avec 1d .. „Doe Chronik als
Boagraphie Heonnchs von Lettland Lebensgang und Weltanschauung“. Jahrbucher fur Geschichte Osteuropas,
N F. Bande I. Heft I , 1<.153. pp. 1-24: cf. aussi A. Bauer. „Einleitung“ in Hemnct Cltronicon Livomae,
RccognO\·erunt L. Arbusow et A. Bauer. Hannover. Hahnsehe Buchhandlung, 1955 (Scriptores rerum
Germanicorum in usum scholarum ex Monumentis Germaniae Historicis scparatim edito). pp. V-XV: E.
Tarvel. „Sisscjuhatus“. op.cll. , lk. 5-7; M.Helhnann. „Heinrich von Lettland“, in Lex1kvn des Mittelalters,
Bd.4. Artemis Verlag. München und Zürich. 1989. coll. 2096-2097.
32
1226). Ils nous apprennent qu’il est intervenu en qualite de temoin dans un proces en 1234 ainsi
qu’en 1 259, dans des affaires de limites et de propriete fonciere. li a du mourir, selon toute
vraisemblance, peu de temps plus tard.
On considere que Ia Chronique a ete ecrite entre aout 1224, date de Ia prise de Tartu,
et fevrier ou mars 1227, c’est ä dire tout de suite apres l’occupation de Saaremaa. 11 s’agit donc
d’une description post jacTum: au moment ou Henri ecrit, il connaissait deja Ia suite des
evenements. De nombreux passages le prouvent. Mais cette connaissance prealable ne couvre
pas Ia periode posterieure a Ia prise de Tartu d’aout 1 224. D’ou l’hypothese sur Ia date de debut
de Ia redaction. La chronique se compose d’une partie principale (chapitres I a XXIX) qui se
termine par une conclusion solenneHe (XXIX,9), et d’un chapitre XXX ajoute un peu plus tard
et portant sur Ia 28eme annee de l’episcopat d’Albert (1226-27). Les materiaux sont presentes
de :naniere generale en ordre chronologique. La chronique se divise en quatre livres. Trois
d’er.tre eux suivent !es episcopats respectivement de Meinhard, de Bertold et d’Albert et
traitent de Ia christianisation des Livoniens; ils ont comrne titre general de Lyvonia. Le
quatrieme Iivre, de Estonia, comrnence au milieu de Ia ! Oeme annee d’episcopat d’Albert avec
Ia description des activites militaires entreprises contre les Estoniens. Les troisieme et
quatrieme livres, qui portent sur l’activite d’Albert, se divisent en 28 chapitres, dont chacun
traite une annee d’activite de cet eveque.
L’unani:-:-�ite est loin de regner quant a l’appreciation des motifs qui ont conduit il Ia
recaction de cette chronique. Henri ecrit lui-meme qu’il consigne sa chronique „a Ia demande
de ses superieurs et de ses compagnons“ (mgatu dominorum et sociorum), afin que !es gestes
accomplis „ne tombent pas dans l’oubli de Ia posterite“ (oblivioni in posterum traderetur)
(XXIX,9). Parmi !es hypotheses proposees plus tard par !es chercheurs, les plus vraisemblables
sont au nombre de deux: I ) Henri a redige sa chronique sur commande d’Albert, eveque de
Riga; 2) Henri a entrepris Ia redaction de Ia chronique de son propre chef. incite et soutenu par
„ses superieurs et ses compagnons“ (sans doute eveques et pretres). Henri finit par donner luimeme
des indications sur !es sources a Ia fin de son travail:
Niehit autem hic aliud superadditum est, nisi ea, que vidimus oculis nostris fere
cuncta, el que non vidimus propriis oculis, ab il/is inte/leximus, qui videront et
interjuere/11. (XXIX, 9)
D’apres Paul Johansen il faut prendre ce qui est ecrit au pied de Ia lettre8 Leonid Arbusov jun.,
en revanche, est d’avis qu’il s’agit ici exclusivement d’une formule rhetorique dans le style des
peres de l’eglise (St. Jeröme etc.) 9 La verite se situe sans doute quelque part entre !es deux.
Outre !es sources orales, on a pu constater chez Henri des traces d’utilisation de documents.
dans Ia partie initiale de Ia chronique, quand il traite de l’epoque anterieure a 1205, il fait appel
de plus a toutes sortes d’autres sources, principalement des annales concernant l’activite de
l’eveque Meinhard; Henri a trouve egalement des informations essentielles dans Ia recit du
missionnaire de Theoderic, ulterieurement eveque d’Estonie.
8 P. Johansen. „Kronikka elämäkertana … “ op.cir., p. 187.
9 L. Arbusow. „Das entlehnte Sprachgut in Heinrichs „Chronicon Livoniae“. Ein Beitrag zur Sprache
mittelalterlicher Chronistik“. Deutsches Archiv für Erfvrschmg des ,\/irre/alters. 1950/8. pp. 136-137.
33
1.3. Cesaire de Heisterbach
A Ia difference d’Henri Je Letton, l’attribution ä Cesaire du corpus de textes est certaine. Mais,
de meme que chez Henri, l’essentiel sur Ia vie de ce moine de Cologne nous est donne par son
oeuvre. 1° Cesaire est ne ä Cologne en 1 1 80. Des sources attestent sa presence dans cette ville
entre 1 1 80-1 198. II etudie quelques annees ä l’ecole du chapitre de l’eglise saint Andre, puis,
jusqu’en 1 1 98, ä l’ecole de Ia cathedrale de Cologne sous Ia direction du maitre Rudolph. En
janvier 1 1 99, il entre au monastere cistercien d’Heisterbach. Peu apres Ia fin de son noviciat il
devient maitre des novices (magister novitiorum). II occupera cette fonction, qui lui garantit un
contact actif avec Je monde exterieur (facteur essentiel dans son activite d’homme de plume),
pendant plus de 20 ans. C’est aux alentours de 1227 qu’il est elu prieur du monastere
d’Heisterbach. II occupera cette charge jusqu’ä sa mort, survenue aux environs de 1 240. Outre
sa fonction d’instructeur, ses fn\quents voyages ont lui servi de stimulant pour son travail
litteraire. On sait qu’il a visite a plusieurs reprises l’abbaye-mere Himmerod, dont l’abbe,
Hermann de Marienstadt, etait l’un de ses meilleurs amis et l’une de ses principales sources
d’information. II accompagne souvent les abbes de son monastere dans leurs voyages
d’inspection. On a des donnees sur ses voyages a Utrecht, a Groninge, a l’abbaye d’Eberbach et
dans differentes parties de Ia Rhenanie. Non seulement il a lui-meme voyage, mais il a aussi
activement interrege d’autres voyageurs, notamment ceux qui frequentaient les assemblees
ecclesiastiques, ainsi que d’autres moines qui avaient vu le monde (par exemple Ia Livonie).
Ainsi Cesaire disposait-il d’une information exceptionnellement large pour son temps: pour
l’illustrer, disons qu’elle allait de Ia croisade de Livonie a celle des Albigeois �􀃵 Si nous
comparons son oeuvre a celle d’Henri le Letton, elle est sensiblement plus riche, plus diverse et
plus celebre. Dans le cas d’Henri, nous avons a faire avec un simple prchre-missionnaire (qui
avait neanmoins des larges horizons, pouvait communiquer en plusieurs langues et etait fort
fa;nilier des Ecritures); Cesaire pour sa part est l’un des moines-ecrivains les plus remarquables
du Moyen Age central, dont les oeuvres (notamment Dialogzrs miraculorum) etaient a son
epoque largement repandues; elles ont iniluence de maniere essentielle Ia tradition litteraire
ulterieure.
Parmi les ecrits de Cesaire parvenus jusqu’a nous il y a son catalogue {Epistola
catalogica), qui contient en tout 36 rubriques (seule une partie en a ete conservee). L’oeuvrc
de Cesaire peut etre divisee en deux parties: (a) l’oeuvre theologique et (b) l’oeuvre historique.
La partie theologique contient essentiellement les sermons (Sermones) et les hornelies
(Homeliae) ainsi que des prieres d’heures et quelques traites contre les heretiques. Son oeuvre
historique se compose de deux oeuvres principales: „Dialogue des miracles“ et „Huit livres de
miracles“, auxquelles il faut ajouter les vies de l’archeveque de Cologne Engelherd (plus tard
canonise et mort en 1225) et de sainte Elisabeth de Thuringe ( 1207- 1 23 1 ) 12 Son oeuvre
10
Sur Cesaire. cf. F. Wagner. „Studien zu Caesarius \’On Heisterbach“, Analeeta cistewensra, 1973/20, pp.
79·95; ld .. „Caesarius von Hcisterbach“. in Enzykloptrdre des MtJrchens. Handwörterbuch zur hrstorischen und
verglerchenden J:.“rztJh/forschung, Hrsg. von K. Ranke, Bd.2. Lieferung 3/4, Waller de Gru)1er. Berlin, Ncw
York. 1978, coll. 1 1 3 1 – 1 143: ld .. „Caesarius von Heistcrbach“. in Lexikon des Mittelalters, Bd.2, Artemis
Verlag. München und Zurich, 1983, coll. 1363-1366; J ‚on Gelreimnissen und Wundern des Caesarrus von
Heisterbaclr. Ein Lesebuch von H/Jerles, Bonn, Bauvier Verlag, 1990, surtout pp. 1-69.
1 1
Les nkits dc O:saire sur Ia croisadc contrc les Albigeois ont ett􀛄 recemment analyses par Jacques Berlioz,
„Exemplum et histoire: Cesairc dc Heisterbach (v.l lS0-􀃂.1240) et Ia croisade alb1gcmse“. Brblrorheque de
I’Ecole des chartes. T.l47, 1989. pp. 49-86.
12
Cf. „Leben. Leiden und Wunder des heiligen Engelben, Erzbischofs von Köln von Caesarius von
Hcisterbach“ Hrsg. von F. Zschacck. in Der Wundergeschichten des Caesarrus von Hersterbach. Hrsg. von A.
34
indiscutablement Ia plus celebre, aussi bien a son epoque (ce dont temoigne Ia centaine de
manuscrits conserves) qu’aujourd’hui, est Dialogus miraculorum. Celui-ci est organise en 1 2
livres/“distinctions“ (dislillc!iolles), dont chacun est consacre a un theme concret. Chaque Iivre
a son tour se divise en chapitres. En tout, Je Dialogus contient 746 chapitres. L’oeuvre dans
son ensemble est construite sous forme de dialogue entre un moine (monachus) et un novice
(1/(wicius) Chaque „distinction“ commence par une courte incursion theoJogique dans Je sujet
(soutenue par Jes questions du novice), suivie par une Jongue serie d’histoires miraculeuses
edifiantes entendues. Iues ou observees par le meine, et ayant un rapport avec le sujet general.
L’epoque de redaction du D10/ogus miraculomm ne fait pas l’unanimite1;, Ia proposition Ia plus
fondee est celle de Fritz Wagner: J 2 J 9- J 223 D’apres Cesaire lui-meme, J’incitation a ecrire
cette oeuvre Jui est venue de l’abbe Heinrich et des moines de son monastere:
Ahha/c• meo precpi iellle e!fralrum imporll/na pelicione urgenle compulsus sum : .. 1
DyaloKum scrihere miraculorum. 14
Il co:wien: sans deute ici de ne pas sousestimer les interets personnels de l’auteur, que prouve
sa collecte d’informations sur une longue periode Les evenements retraces dans le Dialogus
miracu/omm couvrent I es annees de 1 190 a 1223, l’oeuvre contient des materiaux fort divers
provenant de presque toute I’Europe de J’epoque et notamment de l’aire culturellr allemande.
Avant de rep!acer le „Dialogue“ dans le contexte litteraire medieval, examinons rapidement
l’autre oeuvre de Cesaire, les „Huit livres des miracles“, qui pn!sente bien des anaJogies avec Ia
premiere Comme le titre l’indique, l’oeuvre devrait se composer de huit Jivres. Mais seuJs les
del!x premiers et une partie du troisieme sont arrives jusqu’a nous, plus quelques fragments. I I
est neanmoins fort vraisemblabJe que Cesaire Jui-meme a laisse son oeuvre inachevee. Le
premier Iivre (45 chapitres) est consacre aux miracles lies il la communion et le deuxieme (42
chap.) il ceux concemant Ia Vierge Marie Semblable au „Dialogue“ par son contenu, cette
oeuvre en differe avant tout par Ia structure. Pas de presentation dialogique des miracles: tous
les recits sont reJates par un seul personnage; on ne saurait pourtant exclure l’hypothese qu’il
s’agisse d’une premiere Version, destinee etre mise en dialogue par Ia suite. Elle a ete ecrite
entre 1225 et 1227.
En exarr.inant de plus pn!s Ia tradition litteraire cistercienne anteneure il Cesaire, nous
constatons que l’oeuvre du meine de Cologne n’apporte gJobablement rien de nouveau. Depuis
Jes ecrits de Bernard de Clairvaux jusqu’aux precedesseurs directs de Cesaire, on ne manque
pas d’ecrits consacres aux miracles. Il faut mentionner avant tout parmi eux J:x: ordium
Maf!/111111 de Conrad d’Ebermach, dont Ia premiere partie a ete ecrite entre 1 1 86 et I J 93 et Ia
deuxieme entre J 206 et 1 2 2 J , Je Liber nuraculomm d’Herbert de Clairvaux (fin X l l -debut
Hilka. Bd.J (Publikationen des Gesellschaft für Rheinische Geschichtskundc. XLIII). Bonn. 19J7. pp. 223-328;
„Die Schriften des Caesanus \Oll Heistcrb􀂶ch uber dte Heilige Elisabeth Yon Thüringen“. Hrsg. YOn A.
Hu􀂷 skens. 111 thul. pp. 329-390.
l.lPour les opt:uons divergemes. cf. F. Wagner „Studten zu Caesanus \On Hetsterbach … “ op.cu . pp. 87-88.
14 Ci!. in ibtd .. p.88. Anm. 100. Dansses „Homelies“ (n°l􀂸 ll Cesaire formule plus longuement lcs objcctifs et
ks raisons qui l’ont amcnc a ccrire son ocuvre: L;t a111em llllflcti sunt. dixll Jhesus dtsctpulis su11: Colligile que
superaverum fra,r.mu!nta, ne peream. Fragmenta suut nwmoria cl1􀂶na wrtulllm exempla. {)e tjutbus ma.nma
cltltf!encia dehet „·““ prelalo, 111 oltqwbus fralrtbu‘ ltlleralt., tl/a fJ<!‘ :.cripta collt[!.erc prect{‚tat. ne per ohlmonem J>ereant c ‚ophmt .\Uni ltbre t•d cartule. m qUtht.‘ tllo colltgumur. Ego .<tquthuJ,.“, abhate meo
preceptente el (mlr/1111 carume in.,ti[!.ante duodecmt .<porte/los tmplenex fragmenlt.< hruu\11/t>dt. Dtologum ex
ets confictendo dllod,·cim dtstmcc/Ort/1111. Cit. tn tbtd
35
Xlilerne siecle) et le Ltber miraculorum du rnonastere d’Hirnrnerod ( 1 2 1 3- 1220).1s Ainsi
pouvons-nous considerer le Dialogus miraculomm de Cesaire cornrne le couronnernent de
taute une tradition. II y a une deuxierne dirnension du rapport de Cesaire ä Ia tradition qui
rnerite notre attention. II nornrne en effet systernatiquernent ses histoires exempla. rnot qu’il
pre::d dans un sens plus !arge que sirnplernent „exernple“. Ses recits relevent des lors de Ia
tradition des exempla qui cornrnence fleurir au debut du Xlilerne siecle: ils contribuent ä
l’asseoir. Il s’agit de courtes histoires edifiantes, fondees sur une logique narrative assuree, que
les predicateurs, a partir du Xlilerne siecle, ajoutaient ä leurs sermons pour les rendre plus
interessants et convaincants. 16 Bien que I es recits de Cesaire ne soient pas des exempla
classiques, ils en contiennent tous les traits distinctifs essentiels: Ia brievete, Ia clarte, Ia
credibilite etc. Cesaire lui-rnerne a utilise des exempla (environ I SO) dans ses sermons. 17
Avant de conclt:re Ia presentation de l’oeuvre de Cesaire de Heisterbach, on peut se
dernander quels etaient ses rapports avec l’Estonie et Ia Livonie. II va de soi qu’il n’y est pas alle
personnellernent: tous ses rapports avec le pays et ses habitants passent par le truchernent des
rnoines de son rnonastere. Malheureusernent, il n’existe pas de source (sauf ce qu’il a ecrit luirnerne)
qui prouverait des contacts certains avec des ecclesiastiques de Ia region. En revanche,
on a connaissance de relations, au plan general, entre les eveques d’Estonie et de Livonie et le
rnonasti:re d’Heisterbach On sait que Wescelin, eveque de Tallinn, a consacre le 28 janvier
1227 plusieurs autels du rnonastere d’Heisterbach; le 1 3 octobre 1237 Baudoin, eveque des
Seloniens, a assiste il Ia consecration de Ia nouvelle eglise du rnerne rnonasti:re. 18 A partir des
recits de Cesaire lui-rnerne, nous pouvons etablir qu’il a ete en relations etroites surtout avec
Bemard de Lippe, abbe du rnonastere eisterden de Daugavgriva et plus tard eveque (cf infra,
2. 1 . 3 .4.).
1.4. Le corpus: 6 textes
Nous presentons ci-dessous l’ensernble des six textes de notre corpus. Le texte d’Henri le
Letton provient de l’edition Arbusov-Bauer de 1955. 19 Quant au texte de Cesaire, nous nous
15
Cf. B.P. McGuire, „Writ!en sources and cistcrcian inspiration in Caesarius of Hcistcrbach“ Analeeta
Cl. soc•ete mlildevale. Paris. Gallimard, 1994. p. 151.
16 La meillcurc introduction aux exempla mcdievaux cst C. Bremond. J. Le Goff el J.-C Schmitt,
L““Exemplum „. Brepols, Tumhout. 1982. (fypologie des sources du Moycn Age occtdcnta.l, fase. 40}, qui
con1ien1 egalement Ia dcfimtton sans doute Ia meilleure de l’exemplum: „Uo recit brcf donne comrne veridique
et desline ä etre tnserc dans un discours (en generat un sermon) pour convaincre un auduoirc par une lcc;on
salutaire. .. pp. 3 7-38: sur Ie s exempla dans l’oeuvre de Ctsaire cf. J.-Th. Weiter, L ‚Exemplum dans Ia Iiiierature
religieuse et didaclique du Moyen Age. Paris. Toulouse. Occllania. pp. 1 1 3-118; cf. aussi A. Duby, „Cesairc de
Heisterbach: le dialoguc des Cisterciens“, in Precher d’exemples. Recits de predicateurs au Moyen Age,
(presenle par J.-C. Schmill}. Paris, Stock. 1985, pp. 71-81.
17 Cf. J.-Th. Weiter. op.c1t. . pp. 1 17-118.
18 Cf. F.G. von Bunge. Llvland die Wiege des Deutschen Weihbischofe, Leipsig. 1875, (Baltische
Geschichtsstudien, 1}, p. 34 cl 4 1 .
19 Heinrici Chronicon Livomae. recognoverunt L.ArbuSO\\ et A Bauer. op.cil.
36
basons sur l’edition de Joseph Strange ( 1 8 5 1 ) du „Dialogue des miracles“20 ainsi que sur celle
d’Aifons Hilka { 1 937) des „Huit livres de miracles“ 21
Tl. I. lnflrmus eciam quidam fratrem Theodericum vocat, baptismum petit. Quem mu!ierum
proterva prohihet perlinacia a sancto proposito. Sed invalescente egritudine vincitur
muliehris incredulitas, bapti:atur, orationihus Deo committi111r. Cuius morientis animam
neophitus quidam ad septem distans miliaria ab angelis in ce/um deferri vidit et agnovit. 22
Tl.2. De sarcofago sacerdotis divinitus prolongata.
Eodem tempore quidam monachus nomine Sifridus in officio sacerdota/i curam animamm
Slbi comm1ssam in parrochia Holme devotissime peragil et in dei servicio die ac nocle
persistens sue bone conversationis exemp/o Lyvones imbuit. Tandem post diuturnum Iaborern
Deo fe/icem terminum vite sue imponente moritur. Cuius corpusculum more fldelium ad
ecclesiam deferens cum /acrimis neophitorum turba prosequitur. Cui ramquam fllii dilecto
patri sarcojagum de bonis lignis facientes asserem 1mum ad operculum inc1sum de toto pede
nimis hrevem im·eniunt. Unde commoti lignum, quo pro/ongari possil. diu quesitum et tandem
inventum asseri predicto COI!formantes c/avis affigere temptant. sed eum prius sarcofago
superponentes et dJ/igencius illluentes vident illum non arte humana sed divina prolongatum
et optime sarcojago secundum desiderium ipsonnn adaptalllm. De quo jacto parrochiani
exhylarati lignum inutiliter a se incisum ahiciunt e1 pastore suo fldelium more sepulto Deum
henedicunt. qui in sanctis suis jacit mirac1tla. 􀊈3
Tl.3. Fuerat eodem tempore mercator christianus in domo Estonis in Saccala, et cum omnes
Theuthonici mterficiullfur, qw erat in terra. irruit eciam idem Esto super eundem hospitem
suum et mte1jecit eum. Quo facto peperil uxor occisoris fllium. er habebat idem puer in
corpore suo wtlnera recentia in omnibus locis, in quibus paler vulneraverat innoce/llem, e/
simi/ia per omnia 1’/J!neribus illlerfecti, que tamen postea sanata fuenmt, et apparent
C/catrices ad hunc diem. Et multi videntes adnurabamur, testimonium perhibentes et
vindictam Dei prohantes; nam el idem occisor ah exercitu chnstianomm statim interfectus
esl. 24
T2.l. De converso Livoniae qui communicare desiderans hostiam reperit in ore suo.
Retulit nobis dominus Bernardus de Lippa Abbas Livoniae, mmc episcopus ibidem, rem satis
gloriosam. Cum quidam si hene memini conversus, qui nuper fldem susceperat, monachos
communicare vidi.sset, et sibi hoc minime /icere cognovisset, stans contra altare
2° Cae•·arii /ieislerbacenst monaclu ordrms Crsterciensis Dralogus Mrraculorum. Tertum /…/ accurate
recogno••it Josephus Strange. Colniae, Bonnae et Bruxellis, 1851, 2 vols.
21 Caesarius von Heisterbach. Libri 1711 miraculorum, hrsg. von A. Hilka. in Die Wundergeschichten des
CaesariUS von l!eisterbach, op. cit. pp. 7-222.
22 fleinrrct Chronicon Lrvoniae I. 10. p. 5.
23 Heinrici Chronicon Livoniae VII. 6. p. 23.
24 1/einrtcl Chronic011 Livomae XXVl. 10. p. 1 9 1 .
37
communicandt destdeno suspiravit. Et ecce pius Dominus sine sacerdotis mmisterio de altri
per sacramenrum descendere dij(Tiatus est in os eius. Qui mox hostiam aperto ore ostendens,
et causam tantae gratiae manifestans. cunctos qui aderant in Stuporern convertit. Eandem
enim hosliam definsse reperenmt in altari. Simile huic contigit ante hoc biennium, quod tanto
erat mirabilius, quanto sensui humano profimdius. 21
T2.2. De hiis, qui in Livonia per aspersionem baptizati sunt.
Cum Livonia primum (hristi fidem recepisset. tama multitudo ad Christum conversa est, ut
sacerdotes, qui pauct erant tune temporis tllos baptizare non sufficerent. Unde quidam
aspersoria tollen/es in manibus circumeundo i/los aspergebant, dicentes: „Baptizamus vos in
nomine Patris et Filii et Spiritus sancti“. Postea habita questione super hisi , urrumnam essen/
baptizati vel non, quidam dicebant eos esse baptizatos, asserentes i/los quinque milia et tria
milia, qui praedicante Petro crediderunt, ta/i ordine baptizatos fuisse. Alii contrarium
scntientes dicebam talem haptismus esse reiterandum, eo quod forma baptismi ibi non esset
neque necessitaf mortis illam in baptizandis excluderet. Cerium es/ unam aque guttu/um cum
invocatione sancte Trinitatis suffleere ad solwem credenti, sed hoc tantum necessitatis
tempore. Unde Uvonienses predicto modo baptizati, sicut rehtlit mihi Theodencus sacerdos et
monacJms ordinis Cysterciensis, in eadem provincia propter securitatem cum trina
immersione secundum morem ecclesiae denuo baptizati sunt. Et hec de hiis dicta sufficiam. 26
T2.3. Oe eo, qui in Livonia confiteri nolens, post mortem ad diversa loca penarum ductus,
quam dona sit confessio resurgens manifestavit.
Tempore scismatis inter Ollonem et Philippum reges Romanorum, quando Christo
propiciallfe Livomafidem recepit, nobilis quidam paganus Caupo nomine illic conversus est.
Qui post baptismum tante fwt devotionis et tam probate conversationis, u/ dominus Albertus
episcopus il/ius gentius, cum sedis sue digmtatem scilicet pallii, obtinere proponerat, ad
sedem apostoltcam eundem secum duceret sperans, eius presentiam apud dominum papam
lnnocemium sibi passe prodesse. Huius servus, cum in Livonia infirmaretur graviter et
presens esset predictus Caupo, magis de sa/ute animae eius sollicitus quam corporis, hiis
verbis egrotum allocutus est dicens: „Amice. dieuni nobis sacerdotes nostri, quod nul/us
peccatorum sine medtcina conjessionis salvari possit. Et quia nullus sacerdotum presens est,
cm confiteri possts, tu michi peccata tua dicas, et ego ascenso equo ad sacerdotem il/a
perferam“. Cui mdis tlle virtutem confessioms tgnorans, utpote novus infide, respondit: „Ego
non peccavi“. Ttmutl etiam occulta srtorum peccatorum proprio pandere domino. Cumque
dominus instaret et servus se aliquid peccasse negaret, adiecit Caupo: „Promittas ergo in
manum meam te non peccasse“. Et promisit. Qui non multo post ingravescente morbo
spiritum, ut omnibus qui aderant, videbatur, exalavtt. Cuius corpus cum iacerat exanime, post
a!tquot horas .spiritu reverienie cepit ocu/os aperire et circumsedentes allendere, cunctis
stupentibus de jacti novitate. Erat et presens praedictus Caupo. Cui cum diceret: „Unde venis
vel quid est, quod agis?“ respondit: „Ve michi, quia dixi „Non peccavi „. Modo scio me
peccasse, eo quod vexatio dederil michi intellectum. “ Ad quem Caupo: „Die, obsecro, quid
videris vel quid senseris“. Ad quem ille: „Duchts sum ab angelo Domini ad loca penarum sive
25 Caesarii HeistertJacensi. Dlalogusmiraculorum, IX. 37. T. 2. p. 193.
26 Caesarii Heisteroaccnsi. Llbri 1’711 m1raculorum II. 18 p. 98-99.
38
111 corpore sive extra corpus, 11escio, Deus seit. Et ecce! per manum dyaboli in disco oblati
sunt mihi pisces igniti cum pipere bulliente nim1s. Dicrumque est michi: „En isti sunt pisces,
quos socio tuo. rali piscatori. subtraxisti et be11e piperatos latenrer contra pactum comedisti.
Manduca ergo illos quia dignum est, llf pena respondeat culpe“. Quos inruens bene novi,
quall/itatem. speciem e1 11umerum in eis considerans. Et cum nimis abhorrerem esum il/orum,
dixit michi angelus Domini: „Dedisti fidem domino 1110 te non peccasse, et quia te nunc magis
accusant opera quam verbam. inevitabile est, quia pisces istos comedere debeas“. Quid
plura1 Pisces eosdem penales Cl/m maximo crucia/11 manducavi, p1perum totum hauriens.
Deinde ductus sum ad alium locum, in quo vidi cacahum supra mensuram fervere, non tarnen
multo igne supposito. Cumque mirarer, quid hoc portenderer vel quid in cacabo esset, ait
mfclu angelus: „Potus tibi preparawr“. „Qualis“. inquam, „porus?“ Respondil: „Medo“, et
adiecit: „Dixisti enim sine peccato te esse, medicma conjessionis contempnens“. J::t adduxit
michi ad memonam fraudem a me perpetratam: habebam enim plura apum examina cum
quodam vicino meo communia, sed ego miserrimus fidem illi non serbans ex quibusdam
vasculis melle occu/te sublaro medonem ex eo coxi et bibi. Nam eadem vascula. de quibus mel
tuleram, cum ca/dario vidi substantiata eratque ignis 11U1rimentum. Post modicum demone
medonem de ca/dario haurientes ori meo hullientem infuderunt et compulsus sum eporare
totum. Cumque omnia mteriora mea illius calore succenderentur, c/amavenmt demones:
„Bihe. quod tibi preparasll“. Nam in eodem cacabo et eodem modo, quo m1hi mulsum idem
preparaveram, et mihi a demonibus preparatum est: eadem mensura, qua i/lud biberam cum
dulcedine, in penis compulsus sum epotare. Quo expleto ductus sum ad rertium locum, in quo
plaustnnn mmstum jeno conspexi. Er dixit michi angelus Domini: „Omne jenum istud in
dorso tuo comburewr, eo quod die dominico de agro duxeris i/lud in domum tuam. sciens a
sacerdote prohibitum“. Quantum sustinuerim pene, quando congeries illajeni per manipulos
successive super dorsum meum in favillam redacta est, exp/icare non valeo. Et ait angelus:
modo reducam te ad corpus. ut ceteris per te innotescat, quanta peccat1s pena dehealur,
maxime ubi remedium conjessionis conlempnitur“. Hec nobis relata sunt a nobi/i viro
Bemardo, quo11dam domino Lyppe, tune abbate 111 Livonia domu orduus Cysterciemis et
poste episcopo, atque ab eius monacho. qui hominem novenmt. Cuius vita ab i//o Iernpore
ta/is extitit. tarn rig1da et tam religiosa. ut merito e1 cred1 debeat.
Ex hiis, que dicta sunt, patenter ostenditur, quod Deus puniar peccatum post hanc
vitam, si ante deletum non fueri per sarisfactionem secundum quantitarem et qualitatem,
secundum numemm et secundum modum. Quia predicti hominis gravior erat culpa, pena
subsecuta es/ mag11a; in qualibus peccavil, in ta/ilms luit. Cui et singula in penis sunt
enumerata. in quo etiam peccandi modus servatus est. quia comedens illicite punitus est in
comedendo, bihens in bibendo, portans in sustinendo. …1 27
1.5. Historiographie
Aucun chercheur n’a encore etudie ce qui se rapparte aux miracles en Livenie et en Estenie au
Moyen Age. Voyons tout d’abord brievement !es analyses existantes des miracles touchant a
ces deux regions dans l’oeuvre d’Henri comme dans celle de Cesaire.
Les miracles presentes dans Ja Chronique d’Henri Je Letton n’ont pas suscite, a notre
connaissance, de commentaire particulier. L’historiographie nous li:gue des commentaires aux
miracles de Ia Chronique surtout dans !es diverses editions ou traductions a partir de 1 740,
27 Caesarii Heisterbaccnsi. !.tbri Vl/lmiraculorum I. 3 1 . pp. 56-58.
39
air.si que des appreciations isolees sur leur röle dans des ouvrages consacres a des probh!mes
plus generaux.
Les editions et les traductions de Ia Chronique contenant les commentaires les plus
pn!cieux par leur originalite sont l’edition de J 740, par Johann Daniel Gruber, Ja traduction
allemande de 1747 par Johann Gottfried Arndt et J’edition Ja meilleure jusqu’a ce jour, ceiJe de
1955 par L. Arbusov jun. et Albert Bauer. L’apport de Gruber a Ia question des miracles, ce
sont Ia reference aux miracles de Cesaire de Heisterbach et un jugement fon precis ( valable
jusque de nos jours) sur leur faible importance chez Henri 28 J. G. Arndt est, jusqu’a nos jours,
le seul des commentateurs qui ait tente de trouver des paralleles aux miracles relates par Henri
dans des textes plus anciens 2y L’apport principal de l’edition parue en 1955 et due a L.
Arbusow jun. (decede avant Ia parution du Iivre. c’est lui qui a fait Ia plus grande partie du
travail) et a A. Bauer30 a Ia recherche sur les miracles porte sur l’analyse textologique.
Outre les commentaires accompagnant les editions ou les traductions de Ia Chronique,
011 peut trauver quelques Observations et appreciations egalement dans des etudes plus !arges.
Les historiens allemands baltes ne se sont pas etendus sur l’analyse des miracles de Ia
Chronique; a notre connaissance seul Hermann Hildebrand propose un rapide commentaire de
quelques histoires concretes: 110 (= T l . ! ), Vll.6 (= T12) et XIX.6. L’appn\ciation
d’Hildebrand sur Ia modestie du traitement des miracles par Henri ne differe pas sensiblement
des opinions precedemment exprimees.31 Certains historiens estoniens ont par contre accorde
un peu plus d’attention aux miracles. Le nom qui ressort en premier ici est celui de Juhan
Luiga, qui, dans Ia derniere partie („Critique de Ia premiere partie de Ia CHL. La chronique de
Theoderic“) de sa „Critique de Ia Chronique d’Henri le Letton“32, entreprise a Ia fin de sa vie et
restee inachevee, aborde Ia question des miracles chez Henri de maniere approfondie ( et
abrupte). A son avis, Ia premiere partie de Ia Chronique differe grandement des parties
suivantes, et cela notamment en raison de l’abondance des miracles: „La premiere partie de Ia
Chronique se presente sous un forme fort different des autres dans Ia mesure ou eile est tissee
de faits merveilleux, de miracles. „33 Luiga met cette dimension en rapport avec Ia personne de
Theoderic, en soulignant de plus le caractere „retarde“ de Ia „vision du monde“ de l’auteur
(suppose) de Ia premiere panie de Ia Chronique 34 En conclusion partielle de son analyse,
28 Originis l.ivoniae sacrae et civi/is seu Chronicon Livonicum vetus 1 .. .1: Ex codice ms. recensuit, scriptorum
cum aeuue, tum locii.’i vicinorum resumoniis illustravit, sllvamque documentarum er tripltcem mdicem adiecit
loan. Danicl Gruber. Francofurti: Lipsiae, 1740. Nous utilisons unc re&lition in Scriptores rcrum Livonicarum,
Riga. Leipzig. 1853. Bd.l. p. 83. Anm. i.: Quare tantum abest, ur chranagrapharum nosrrum culpandum
censeam. ut. quo in ta/1bus enarrandis parcior est, eo /ubentius gratiam er faciendam purem.
29 Der Liejltmdischen Chronik Erster Theil von Liefland unter seinem ersten Bischöfen !../: Oder die Origines
Li1•oniae sacrae er civi/is .‘ .. : mit kurzen Anmerkungen begleitet und ins Deutsche abersetzt von J.G. Arndt,
Halle in Magdcburg, 174 7, p. I I , Anm. I; p.36, Anm. 2: p. 183, Anm. i.
30 Heinrici Chronicon Livoniae, recognoverunt L.Arbusov ct A Bauer, op.cit.
31 H. Hildebrand, Die Chronik Heinrichs von Leuland, op. eil., p. 16: Ein gewisser verständig nüchterner Sinn
hat H{emrich} verhindert, in den unter semen Augen sich vollziehenden Thaisachen (./ebernatürliches zu
enrdecken. oder gar zu suchen.
32 J. Luiga, „Läti Hendriku kroonika kriitika“ [Critique de Ia Chronique d’Henri le Letton] , Eesti kirjandus,
1922/4. lk. 127-139; 1922/5. lk. 145-160: 1922/6. lk. 193-202; 192217, lk. 217-228; 1 922/9. lk. 289-309;
1922/12. lk. 385-407: 1923/1. lk. 19-37; 1923/2, lk. 63-72; 1923/4, lk. 1 5 1 – 1 57; 1923/5-6. 11<.2 1 1-243;
192311 I. lk.495-530: I 926/10. lk.481-515.
33 J. Luiga. in Eesti kirjandus. 1926110, lk. 483.
34 Jbid.
40
Luiga formule l’appreciation suivame: Ia premiere partie de Ia Chronique d’Henri (en raison de
son caractere thaumaturgique), est en fait composee d’extraits d’une chronique plus complete
(qu’i! denomme „Ia chronique de Theoderic“). Bien que certaines dimensions des analyses de
M. Luiga peuvent etre heureuses, nous ne partageans pas toutes ses conclusions en cette
matiere. II est tout d’abord exagere d’affirmer que seule Ia premiere partie contient du
rr.erveilleux, des miracles. Henri presente egalement dans Ia suite de sa Chronique bien des cas
que l’on peut qualitier de miracles (cf. XI, 5; XV, 4: XIX, 6; XVI, 10 etc.). Ensuite le röle de
Theoderic dans !es miracles nous paralt egalement outre. Sans doute celui-ci joue-t-il un röle
central dans les miracles ou dans I es histoires miraculeuses en I, I 0, mais tout le chapitre lui
etant consacre, son röle de protageniste dans les evenements relates n’a rien que de logique.
Nous sommes d’avis qu’il est impossible de relever, dans !es autres parties de Ia chronique, de
röle particulier attribue a Theoderic. Quant a l’hypothese de Luiga sur une chronique
anteriettre, elle nous paralt tout aussi invraisemblable. Il faut neanmoins, en resume,
reconnaitre Je röle de pionnier joue par cet auteur dans l’analyse des miracles de Ia chronique.
Soixante ans plus tard, Enn Tarvel est le deuxieme historien estonien a attirer l’attention sur ce
point. Mais il se Iimite a enumerer (partiellement) les miracles, sans ajouter ni analyse ni
commentaire. 􀆸s
En conclusion on peut dire que Ia tradition historiographique jusqu’ä nos jours a ete
plutöt unanime (a quelques exceptions pres36) pour juger que Ia Chronique d’Henri accorde un
röle fort Iimite a l’ingerance divine dans les affaircs humaines, c’est a dire aux miracles.
Or si les miracles relates par Henri Je Letton meriteraient un peu plus d’attention avant
tout de Ia part des historiens estoniens, en ce qui concerne Cesaire de Heisterbach, c’est le cas
inverse: les miracles de Livonie (il est question ici de l’historiographie des tous les miracles
ayant un rapport avec Ia Livonie) ont ete a mainte reprise utilises et analyses par les historiens
allemands et allemands baltes, alors meme que les historiens estoniens les ont presque
entierement negliges 37
La mention des miracles livoniens de Cesaire commence avec J. D. Gruber dans Ia
premiere edition de Ia Chronique. Il fait reference dans ses notes a au moins quatre miracles du
„Dialogue des miracles“ (il ne disposait pas des Libri 􀆮7ll miraculomm) VIII, 13; Vlll, 80;
IX, 37; X, 3 5 J8 Le deuxieme a mentionner brievement !es miracles de Livonie dans sa
monographie consacree a Cesaire de Heisterbach est l’historien allemand Alexander
Kaufmann.’9 E. Winkelmann traite le sujet de maniere plus concrete, en concentrant
35 E. Ta,.“·et. „Hcnrik ja tema aeg“ JHenri et son tempsJ. in Religioom ja ateismi ajaloost Eestis, Artiklite
kogwmk 111. (Toimetaja J. Ki,·imäc), Tallinn. Ecst• Raamat. 1987. lk. 14.
j6 Cf. notamment Sulev Vahtre. qui tient l’immixion des forces celestes (donc cgalement les miracles) pour fort
importantc dans Ia CHL, cf. „Balti kroonikad ja nende osa eesti rahva mincviku valgustamisel“ [Les
Chroniques baltcs et leur contribution ä Ia comprchension du passe du peuplc estonieni, in Eesti K􀉩r;anduse
a;alugu. I. köide. Talhnn. Ecsti Raamat. 1965. lk 93.
37 En partant de sources dc seconde main. J. Luiga in Eesti Ktr;andus. 1926/IO, lk. 481-515 ct S. Valttre dans
sa monographie Muinasaja loojang Eestis. Vabadu;vöitlus I 208-1227, lLe crepuscule de l’ancienne Estonie,
Le comhat pour Ia liherte, I 20H-I 227) Tallinn, Olion. 1990. lk. 16 mcntionnent Jes histoires dc CCsaire.
38 J.D. Grubcr in Scriptores rerum Ln,onicarum. Bd.l. ap. Cll., pp. 136-137, Anm. b.: pp. 230-231, Arun. f.:
pp. 276-277. Anm. a.
39 A. Kaufmann. Caesarius von Helsterbach. Em Beitrag :ur Kulturge. 2. Aull., Köln. 1862.
41
exclusivement sur Ia personnage de Bernard de Lippe. 40 En 1868 paralt un court article
problematique sur l’un des miracles livoniens de Cesaire (Libri I . l ) par Eduard Pabst. Sa
remarque porte sur l“‚eveque de Livonie“ figurant dans le miracle, et que Kaufmann estime etre
Theoderic, alors que pour Pabst, il s’agit de l’eveque Albert 41 Apres Ia premiere edition
scientifique des „Huit livres de miracles“, parue en 1901 42, Hermann von Bruiningk se Iivre il
une breve analyse des Livoniens y figurant. Outre l’inventaire de ces personnages, von
Bruiningk formule egalement quelques hypotheses fort importantes sur les sources livoniennes
de Cesaire (cf infra, 2 . 1 .3.4) 4·‘ Apres cette utilisation assez intense des miracles de Cesaire (il
faudrait ajouter il cette enumeration quelques Oeuvres traitant de questions plus generale OU
l’on a egalement puise des informations dans !es recits de Cesaire), L. Arbusov jun revient sur
Ia question en 1938 avec son remarquable article „Des informations paralleles il Ia Chronicon
Livoniae d’Henri le Letton“- II en profite pour resumer l’opinion des historiens allemands baltes
sur les miracles chez Henri et chez Cesaire:
Mehrere der : .. ‚ Wundergeschichten Li ergänzen die übernatürlichen Wundern so
auffällgi arme Chronik des nüchternen, versländigen Priesters Heirich end gewähren
Einblicke in jene mystische Seelensphäre des millelalter/ichen Menschen. die in
unserer Livlandchronikfast gar nichl zu Worte kommt. 44
Apres un long arret, c’est l’historienne allemande Lore Wirth-Poelchau qui reprend les recits de
Cesaire dans son article „Cesaire de Heisterbach sur Ia Livonie“45. Apres une courte
presentation de Cesaire, eile fait le plus serieux inventaire propose jusqu’ici des recits livoniens
dans l’oeuvre de Cesaire de Heisterbach. Elle en compte un total de 1 3 , dont trois se deroulent
en Livonie meme. Apres un court commentaire de chacun des miracles, elle constate
l’importance du röle de Bernard de Lippe en tant que source de Cesaire. Dans Ia derniere partie
de l’article elle souligne l’importance des cisterciens dans l’histoire ancienne de Ia Livonie et
dans ses rapports avec l’etranger (eile mentionne le röle essentiel du monastere cistercien de
Dünamunde/Daugavgriva). Elle traite de maniere fort concrete l’activite de Theoderic et de
Bemard de Lippe ainsi que l’image qu’en donne Cesaire. Elle tient les avis de Cesaire pour
essentiels, dans Ia mesure OLl ses recits – il !’inverse de ceux d’Henri – n’ont pas une fonction
propagandiste directe. En resume, on peut dire que, meme si l’article en question est Ia
tentative d’analyse jusqu’ici Ia plus profonde des miracles de Livonie chez Cesaire de
40 E. Winkchnann. „Der Magister Justinus Lippiflorum. Nebst Erörterung und Register zur Geschichte
Bemhards li YOn der Lippe. des Abts von Dünamunde und Bischofs des Selonen“, Mietheilungen aus dem
Gebiete des Geschichte Ln•-. Ehst- und Kurlands. Band XI, 1868. Riga, pp. 41 8-496, surtoul pp. 478-482.
41 E. Pabsl. „Von einem Mirakel im Stifte Lüttich. Anno 1223 und wie es dem Bischof Yon Livland dabei
ergangen“. Beilrtl[!e :ur Kunde Est-, Liv- und Kurlands. Band I, Heft I , Reval. 1868. pp. 62-66.
42 Die Frn[!menfe der „Libri Vllf Miraculorum“ des Cnesnrius von ffeisferbach, Hrsg. von Aloys Meister,
Rom. 190 I (Römische Quartalsschrift flir chrisllichc Allerthumskundc und für Kirchcngcschichle, 1 3
Supplcmenthcfl).
43 H. von Bruiningk. „Livländisches aus den Fragmemen der „Libri VIII Miraculorum“ des Caesarius von
Heisterbach“. Sitzunf!berichte des Gesellschaft ftr Geschichte und Alterthumskunde des Ostseeprovinzen
Russlands. Riga. 1905. pp. 226-230; le problerne des sources livoniennes chez Cesaire est aussi traite, en meme
anno!e. par W. Schlüter. „Beiträge zu den Zeugnissen über den Aufemthalt Livländischer Bischöfe und Äbte in
Dculschland“. Sitzungberichte der Gelehrten Estnischen Gesellschafl /904. Juljew (Dorpat). 1905. pp. 38-44.
44 L. Arbusow. „Zeilgenössische Parallelberichte zum Chronicon Livoniae Heinrichs von Lenland“ in Liher
snecularis, Opetatud l:“esti Seltsi Toimetused. XXX, Tartu. 1938. lk. 42.
45 L. Wirth-Poelchau. „Cacsariusvon Heislerbach über Livland“. Zeitschriftftr Ostforschun[!. 198214. pp. 4 8 1 –
498.
42
Heisterbach, l’auteur soulignant quelques dimensions essentielles de ceux-ci (dont l’importance
des Cisterciens en Livonie). on ne saurait Je tenir pour une analyse complete. En effet, I )
l’auteur n’approfondit pas l’analyse textuelle, elle se bome au premier niveau, Je niveau
informatif; 2) il manque une comparaison avec d’autres sources; 3) l’auteur n’entend pas tant
analyser les miracles que glaner les rares informations qu’ils transmettent sur Je roJe d􀈯s
Cisterciens dans Ia christianisation de Ia Livonie (but qui en soi ne manque pas d’importance).
2. ANALYSE
2.1. LA FORME
2 . 1 . 1 . L’analyse structurale: remarques methodologiques
La tentative d’analyse structurale du corpus suivant ne se fonde pas sur un modele quelconque
anterieurement propose. Les principes generaux dont nous nous inspirons ont ete formules de
maniere suffisamment claire et concise par Roland Barthes 46 Concretement, Ia premiere partie
de cette analyse – les personnages et l’action – a ete fortement inspiree par Ia methode de
Tzvetan Todorov. methode qu’il a lui-meme nommee „Ia grammaire du recit“.’17 Cette approche
est basee sur un traitement des similitudes internes du Iangage et du recit. Pour citer Todorov·
„On comprendra mieux Je recit si l’on sait que Je personnage est un nom et l’action un verbe“ 48
La deuxieme partie de l’analyse – celle de Ia structure narrative – doit beaucoup aux travaux de
Claude Bremond et part du modele structurel propose par celui-ci pour les exemp/a
medievaux 49
Outre les ouvrages theoriques cites ci-dessus, l’analyse suivante a pris pour modele
quelques travaux anterieurs de medievistes inspires par l’analyse structurale (surtout JeanCiaude
Schmitt).50
Essentiellement pour des raisons formelles, nous procederons a une analyse separee des
deux parties du corpus pour en conclusion comparer les resultats obtenus.
46
R. Banhes. „lntroduction ä l’ana1yse structurale des recits“ (I 966) in ld., L ‚aventure semiolog1que. op.cit.,
PD. 167-206.
47
T. Todoro\‘. „La grammaire du recit: Je Decameron“. in ld .. Poel/que de Ia prose suiVI de ,\’ouvelles
recherches sur le recir. Paris. Seuil, 1978. pp. 47-57; cf. ld .. Grammaire du Decameron, Mouton, La Hague,
Paris 1969 (Approaches 10 Semiotics 3).
48 T. TodOTO\‘. „La grammaire du recit…“ op.CII .. p. 57.
49 C. Brcmond. „Structure de l’exemplum chcz Jacques de Vitry“. in C. Bn!mond, J. Le Goff, J.-C. Scluniu,
L'“Exemplum“. op.cll .. pp. 109-143.
50 J.-C. Schmin. Le Samt le•·rier. G11mejort, guensseur d’e􀈔{ants depUis le Xlifeme Slecle. Paris, Flammarion.
1979. sunout pp. 61-99: J. Berlioz. „L’homme au crapaud. Genese d’un ·e􀂬emplum“ medie,·aJ“. in „Tradwons
er Histnire dans Ia culrure populmre“. Rencontres outnur de l’oeuvre de J.-,\1. Guelcher. Centre Alpin et
Rl1odanicn d’Ethnologic. Grenobl􀂭. 1990 (Documents d’cthnologie regionale. II). pp. 169-203: A. Boureau, La
legende Doree. Le sysri!me narralif de Jacques de I oragme. Pn!face de J. Le Gorr. Pans. Cerf. 198􀃃.
43
2.1.2. La Chronique d ‚ Henri le Letton
2.1.2.1. Les personnages
* Dans T 1 . 1 . nous trouvons !es personnages suivants:
a) Je rrere cistercien Theoderic
b) un livonien malade (in.firmus eciam)
c) !es femmes du malade
d) un nouveau converti (neophytus quidam) temoin du miracle.
Nous pouvons encore ajouter
e) !es anges.
* Dans T 1.2 les personnages (ou groupes de personnages) sont au nombre de deux:
a) le moine Sifrid (monachus nomine Sifridus)
b) Ia foule des convertis = I es parroissiens (parrochiani)
* C’est le troisieme miracle – T 1 . 3 qui met en oeuvre le plus de personnages:
a) un marchand chretien (mercator chrislianus) = le tue
b) un Estonien (Eslo) = l’assassin
c) Ia femme de I’Estonien
d) Je fils de l’Estonien et de sa femme.
e) beaucoup de gens (multi) = les ternoins du miracle.
2.1.2.1.1 Les personnages invariables
Une analyse detaillee des personnages identifies permet de relever que certains types – plus
pn!cisement deux – figurent dans tous les trois textes. Nous pouvons convenir de les appeler
de Ia sorte:
• I . Le heros positif. Je chretien
T I . I : Je nouveau converti
Tl.2: le pieux moine
T l .3 : Je marchand chretien (martyr)
* 2. Les indigimes, ternoins du miracle, convertis
T I . I : un nouveau converti, qui a vu l’äme du malade portee au ciel.
Tl.2: des convertis, ternoins de l’allongement d’une planehe du cercueil.
T l . 3 : beaucoup de gens, des convertis indigenes, qui ont reconnu les blessures.􀆦1
51 II est fon vraiscmblable de tenir ces „nombrcux“ (mu/11) pour baptises, dans Ia mcsure oü ils ont \11 Dieu
derrierc lc miraclc: Er multi l’idenres adnurabanrur. resumomum perhtbentes er vindicrnm Det proban/es I. ..I
(T.I.3.).
44
A propos de ces deux types de „personnages invariables“, il convient de relever deux
dimensions: I ) les trois types de personnages que nous avons classes sous l’appellation
commune de „heros positit“ coi’ncident presque ä cent pour cent avec ceux qui, d’apres Ia
conception d’Augustin (dont l’influence sur Henri le Letton a ete remarquee, voire exageree par
de nombreux auteurs), seuls, apres leur mort, vont au paradis (valde boni).s2 Saint Augustin
distingue lui aussi trois cas de figure:
I. Les nouveaux convertis, qui meurent tout de suite apres avoir ret;:u le sacrement du
bapteme;
2. les hommes parfaits (viri perjecti}, c’est ä dire les chretiens n’ayant point peche;
3. I es martyrs.
2) II faut relever le fait que les ternoins des trois miracles sont des indigenes qui ont dejä ete
baptises. Jl n’est pas diftkile de Iire derriere ce point l’ideologie du chroniqueur rnissionnaire.
2.1.2.2 . L’action
Dans ce paragraphe, nous tenterons de reduire les textes choisis aux elements constitutifs du
recit; plus tard, dans le courant de l’analyse, nous expliciterons Ia logique des relations
syntagmatiques entre lesdits elements.
* Tl I L’action se compose des elements suivants:
I . Un Livonien malade appelle le frere Theoderic et demande le bapH􀋍me.
2. Les femmes tentent d’empecher le moine d’exercer sa sainte mission, mais leur
obs:ination est vaincue.
3. Le malade (M) est baptise et remis par des prieres ä Ia gräce de Dieu.
4. M meurt.
5. Un converti voit l’äme de M portee au ciel par des anges.
* T l .2:
1 . Le moine Sifrid (S) prend soin avec grande piete de l’äme des Livoniens.
2. S meurt.
3. Des nouveaux convertis (NC) portent S aupres de l’eglise et lui fabriquent un
cercueil.
4. NC decouvrent soudain qu’une planehe est trop courte de tout un pied.
5. C cherchent une nouvelle planehe qu’ils tentent d’adapter au cercueil.
6. C constatent que Ia planehe anteneure s’est allongee par intervention divine: elle
s’adapte parfaitement au cercueil.
7. NC mettent de cöte Ia nouvelle planche, enterrent S et louent le Seigneur.
52 Cf. A. Boureau, op.CII., pp. 133-134; ä comparer aYec J. Lc Golf. La naissance du Purgatoire. Paris.
Gallimard. (1981) 1991. pp. 92-118.
45
* T 1 .3:
I . Un marchand chretien (M) demeure chez un Estonien (E).
2. E tue M = M meurt.
3. La femme de E met au monde un fils, qui porte sur le corps des blessures aux
endroits ou son pere avait blesse M.
4. Baucoup de gens s’etonnent a cette vue et portent temoignage.
5. Une armee chretienne tue E.
2.1.2.2.1. La logique de l’action
A regarder de pres les elements de l’action de ces recits, il est facile de constater certains Iiens
logiques entre des elements precis, qui se repetent dans les trois textes. Afin de mieux faire
ressortir Ia logique de l’action, nous Ia presentons sous forme de tableau:􀋎3
Un pa·ien est Le malade M meurt L’äme du M est Le neophyte voit l’äme
gravement malade (M) baptise portee au ciel du M portee au ciel par
demande au par les anges les anges
moine de Je
baptiser
Sifrid (S), un S loue Dieu Dieu donne a S Une planehe du Les m!ophytes voient que
moine, est au jour et nuit une mort cercueil de S est Ia planehe du cercueil
service des bienheureuse allongee par d‘ est allongee
Livoniens miracle
Un marchand M fait M est tue par Le fils de E a Beaucoup des neophytes
chretien (MC) confiance a E sur son corps voient !es blessures et
Ioge chez un l’Estonien des blessures s’en etonnent
Estonien (E) aux endroits ou
M avait ete
blesse
Les colonnes pourraient s’intituler de Ia sorte: Ia premiere, qui precise les conditions prealables
a l’action – Circonstances introductrices, Ia deuxieme – Le bon comportement du heros. C’est
bien il cette idce que nous pouvons en effet rattacher Je desir du malade d‘ etre baptise, Je
service sincere de Dieu par Je moine, Ia confiance du marchand a l’egard de l’Estonien. La
troisieme colonne, qui est aussi Je noyau de l’action, est consacree a La mort bienheureuse du
heros: celui-ci meurt respectivement baptise, bienheureux et martyr. La quatrieme colonne
reconnait Ia qualite de Ia mort prccedente et peut etre intitulee tout simplement Le mirac/e. La
cinquieme et derniere colonne sera elle intitulee La reconnaissance du miracle par le(s)
neophyte(s) autochtone(s). Ainsi Ia logique de l’action se dessine-t-elle d’apres Ja linearite
53 Cf. T. Todorov. Litterature et significalion, Paris, Larousse. 1967. p. 55; cf. aussi C. Levi-Strauss, „La
structure des mythes“, in ld .. Anthropologie structurole. Paris. Plan. (1958) 1974. pp. 227-255.
46
chronologique suivante: Circonstances illfroductrices : bon comportement du heros : mort
bienheuret/Se du heros· miracle reconnaisance du miracle par /e(s) m!ophyle(s) autochtone(:,).
2.1.2.3. La structure de Ia narration
En traitant de Ia logique, nous n’avons pas manque d’effieurer Ia question de Ia structure
narrative, que nous abordons maintenant de plus pres en partant des principes poses par
Claude Bremond.54 Bremond, en analysant Ia structure narrative des exemp/a de Jacques de
Vitry, predicateur du XIIlerne siecle, distingue differentes etapes dans le deroulement de Ia
narration. On part des circonstances introductrtces. qui sont suivies de Ia mise a /‘ epreuve,
due au hasard, au diab!e ou a Ia providence divine. Cette mise a l’epreuve permet de faire
ressortir le merite ou le demertte du heros. En consequence de son comportement, suivent !es
n!trihutions, ä savoir, respectivement, une recompense ou un chätiment. Cet enchainement de
possibilites peut etre represente de Ia sorte:
Circonstances
introductrices
Merite
ou
Demente —-+
Recompense
Chätiment
Bien que ce modele structurel ait conr,:u par Bremond ä partir des exempla medievaux et non
des miracles (categorie qui convient mieux aux recits d’Henri le Letten). il convient
parfaitement a l’analyse narrative du corpus ici presente55. Ainsi, conformement au modele
presente. pouvons-nous articuler Ia narration des miracles d’Henri le Letton comme suit:
* I . Circons1ances introductrices
T. l . l : Temps-espace (cf infra, 2 . 1 2.3 . 1 .)
: Le malade (M) demande le bapteme
T. l .2: Temps-espace
: Le pieux moine Sifrid (S) prend pieusement soin des ämes a lui confiees
T. 1 . 3 : Temps-espace
: Le marchand chretien (MC) Ioge chez un Estonien
54 C. Bremond. op.c11. . pp. 124-126.
55 Valerie Eddcn a certes propost pour les exemp/a un modele narratif completc!. en y ajoutant le concept
d“·auxiliaire“:
Introductory
circumstances
. < helper (brings grace) –+ found cqual
puttmg
to the test helper/snare
(giyes mislcading 3d\’iec) -found wanling
Mais le modele perd par lä beaucoup de son uni\·ersaliu! et il ne serait plus applicable ä notre corpus. Cf. V.
Eddcn „DcYils. Sermon Stories. and the Problem of Popular Belief m the Middle Ages“. The l’eorbook of
fo’nglish Srwlies. vol.22 . 1992. pp. 2 1 3-225.
47
* 2. La mise a !’epreuve: Ia mort
T. l . I . : M meun
T. 1 .2 . : S meurt
T. 1 .3 : MC esl tue
* 3. La niponse a l’epreuve: le merite
T. l . l : M meurt baplise
T. l .2 : S meurt bienheureux
T. 1 . 3 . : MC meurt en martyr
* 4. La recompeme: le miracle
T. 1 . 1 : Les anges emportenl l’äme de M au ciel
T . l .2 : La planehe du cercueil de S s’allonge miraculeusement
T. I . 3 . : Les blessures du martyre de MC apparaissent sur le corps de l’enfant du
meurtrier.
2. 1.2.3.1. Chronotope
Sous ce poinl, inspire par M. Bahlin, nous regardons de plus pres Je temps et l’espace dans
lesquels Henri le Letton situe son recit. A Ia difefrence de Cesaire de Heisterbach (cf. infra,
2. I .3 .3 . 1 ), il est possible d’identifier le lieu et le moment de l’aclion avec une precision
suffisante:
T . l . 1 : – L: Livonie, Turaida (in Thoreida)
– M: 1 1 9 1
T . l . 2 : – L: Livonie, parroisse d e Holme (in parrochia Holme)
– M: 1203
T. l . 3 . : – L: Estonie, Sakala (in Saccala)
– M: 1223
Dans les precisions lernporelies donnees par Henri, une circonstance frappante merite
d’etre relevee. C’est que dans tous !es trois cas, Henri introduil !es circonslances lernporelies
(!es da1es precises sont des deductions pos1erieures des historiens) par !es mots: eodem
tempore, c’est a dire „en ce temps-la od6 Sans doute cela enlend-il marquer l’universalile,
l’atemporalite desdils evenements, a Ia difference de Ia lemporalite des batailles, des
expedilions elc, qui sont marquees par des indicalions temporelles bien plus precises.
56 Dans Je cas dc T. 1 . 1 .. ceci ne ressoTt nwlement du te:\1e; mais en repJa9ant Je passage isole dans son
conte:\1e. c’est ä dirc en examinant Ia CHL. nous voyons qu’il s’agit de l’unc de deux histoires portant sur des
tentative de guerison dc malades par Theoderic. Henri introduit lui-meme cette guerison en dcu., partics de Ja
sone: Eodem tempore Lyvo quidam de Thoreida vulnerntus petivil a fratre Theoderici curari, promiuens se, si
curatus fuerit, baplizari. (CHL 1.10).
48
2.1 .3. Cesaire de Heisterbach.
2.1.3.1. Les personnages.
Dans les recits de Cesaire de Heisterbach nous pouvons distinguer !es personnages suivants:
* T. l . l : .
a) un frere convers tout juste converti (quidam conversus)
b) des rnoines
c) !es presents (cunctos qui adera/1/) = ternoins du miracle.
* T 2.2:
a) des Livoniens neophytes
b) des pretres
* T.2.3 :
a) Kaupo, un palen (quidam paganus Caupo nomine)
b) le serviteur de Kaupo (.1·ervus). qui est jeune dans Ia foi (novus infide)
c) I es presents (omnibus qui aderant) = ternoins du miracle.
Nous pouvons leur ajouter:
d) les anges
e) !es dernons.
2.1.3. 1 . 1 . Les personnages invariables
Tout cornrne chez les personnages du texte d’Henri, nous relevons chez ceux de Cesaire
quelques types (ou groupes) qui se repetent dans tous les recits. Nous !es denorninerons
comme suit:
* I . Le(s) heros autochtone(s) /out juste converti(s)
T.2. I . : Un frere convers livonien tout juste converti
T.2.2.: Des r:eophytes livoniens
T.2.3.: Un serviteur livonien, jeune encore dans Ia foi.
• 2. Les pn!sems. ternoins du mirac/e
T.2. 1 . : Les presents qui ont trouve que l’hostie n’etait plus sur l’autel
T.2.2.: Les Livoniens qui ont reconnu avoir ete baptises par aspersion
T.2.3.: Les presents, stupefaits par le retour a Ia vie du serviteur.
Nous voyons donc que si Henri avait reserve aux neophytes autochtones
essentiellernent le röle de H􀂾rnoins, chez Cesaire ils sont eux-rnernes les heros du miracle. Notre
hypothese est que cette difference s’explique par Ia difference de position des deux auteurs.
Alors qu’Henri ecrivait sur place Ia chronique de sa propre rnission en tant que pretre, et qu’il
avait besoin, pour justifier son action et celle de ses carnarades, du soutien et de Ia
49
reconnaissance des habitants du pays, pour Cesaire, en Allemagne, il etait de toute premiere
imponance de mettre en avant les neophytes et de prouver par Ia meme les succes de l’action
des meines, ses compagnons.
2.1.3.2. L’action
* T.2. 1 . :
I . Un frere convers est u n conveni de fraiche date
2. Les meines communient
3 . Le m!ophyte, qui n’a pas droit a Ia communion, aspire a y participer
4. La hostie parvient sans le truchement du pretre dans Ia beuche du neophyte
5. Les presents sont slupefies et constatent que cette meme hostie n’est plus sur l’autel
* T.2.2.:
I. Il y a une grande foule de convertis a baptiser
2. Les pretres baptisent !es Livoniens (L) par aspersion au nom de Ia Sainte Trinite
3. Discussion sur l’efficacite de l’aspersion, une partie des Livoniens s’en contente
4. Les Livoniens, pour plus de securite. sont baptises par triple immersion
5. Les Livoniens temoignent de ce que cela est suffisant
* T.2.3.:
l . Un serviteur de Kaupo (S), encore jeune dans Ia foi, tombe gravement malade
2. Kaupo propese a S de se confesser
3 . S refuse le sacrement de Ia confession
4. S meurt
5 . Un ange conduit S dans differents lieux d’expiation
6. S doit manger des poissons pimentes
7. S doit boire de l’hydromel bouillant
8. Un chargement de foin est briile sur !es epaules de S
9. L’ange renvoie S sur terre
I 0. S ressuscite et temoigne.
50
2.1.3.2.1. La logique de I‘ action
Nous presentons. comme dans le cas precedent. Ia logique de l’action sous forme de tableau:
I Un Livonien s‘ est II aspire il Les moines L ‚ hostie va toute Tous les presents
convrrtt et est communier mais communient seule dans Ia sont stupefaits et
devenu frere respecte bouche du fn!re constatent qu’il
convers I ‚ interdiction convers manque une
hostie sur I‘ autel
Tl y a beaucoup de Les Livoniens Les Livoniens Les Livoniens Une partie des
convertis qu’il demandent le sont baptises par ( une partie) sont Livoniens
faut baptiser bapteme aspersion baptises par confirme avoir ete
aspersion baptisee
Un serviteur de Le serviteur Kaupo lui Le serviteur va en Les presents sont
Kaupotombe s’etait recemment propose de se enfer mais il est stupefaits de voir
gravement malade converti confesser, mais le ensuite renvoye l’äme du servietur
serviteur refuse sur terre regagner son
COrpS
Ici, les colonnes seront intitulees de Ia sorte: pour Ia premiere (tout comme dans le cas des
miracles d’Henri), Circonstances introductrices. La deuxieme colonne (de meme): Le bon
comportement du (des) heros. Dans les cas presents, il s’agit de l’aspiration il communier et du
respect de l’interdiction de communier (T.2.1), du desir des Livoniens d’etre baptises (T.2.2) et
de Ia n!cente conversion du serviteur (T.2.3). Le troisieme element de l’action pourrait etre
appele La possibilite du sacrement. II n’est pas difficile en effet de constater que le toumant de
chaque miracle est lie il l’accomplissement ou il l’offre d’un sacrement. n faut noter qu’il est
question ici des trois sacrements centraux du christianisme: le bapteme, Ia communion et Ia
confession. L’aspiration au sacrement, ou acceptation ou son refus sont les facteurs qui
conditionnent l’evenement suivant, Le miracle. ll est interessant de remarquer que dans un cas
celui-ci est il charge negative (T.2.3., cf. infra. 2 . 1 .3.3.). Nous intitulerons Ia quatrieme
colonne de ce tablcau (de meme que dans le precedent) Ia reconnaissance du miracle par les
presents. T.2.2. fait exception dans Ia mesure ou !es ternoins du miracle en sont !es participants
eux-memes. La chaine logique de l’action se deroule donc lineairement de Ia maniere suivante:
Cu·constances imroduc/rices : bon comporteme/11 du (des) heros : possibillle du sacrement :
nnracle : reconnaissance du miracle par /es presents.
2 . 1 .3.3. La structure de Ia narration
Le modele de structure narrative elabore par Cl. Bremond il propos des exempla s’applique

particulierement bien il Cesaire, puisque, comme nous l’avons dejil vu, !es recits du moine de
Cologne relevent par bien des traits de ce genre. En partant de Ia structure des miracles, nous
procederons d’abord l’analyse des deux premiers recits (T.2. 1 . et T.2.2.), apres quoi nous
examinerons il part, suivant un modele quelque peu modifie pour Ia circonstance, Je troisieme
(T.2.3.).
51
* I . Les circonstances introductrices
T.2. 1 . : Temps-espace
: Un frere convers vient de se convenir
T.2.2. · Temps-espace
: Une grande foule de Livoniens qui se sont convertis au christianisme et qui
doivent etre baptises
• 2. La mise a l’epreuve
T.2. 1 . : La communion des moines, ä laquelle le frere convers n’a pas le droit de
participer
T.2.2.: Le bapteme des Livoniens par aspersion
* 3. La n?ponse a l’epreuve: le merite
T.2. 1 . : Le frere convers aspire ä Ia communion, mais il respecte l’interdiction qui le
frappe
T.2.2.: Les Livoniens veulent etre baptises et se contentent d’un bapteme par aspersion
* 4. La recompense: le miracle
T.2.1.: L’hostie va toute seule dans Ia bouche du frere seculier
T.2.2.: Le bapteme par aspersion s’avere suffisant
Pour proceder ä l’analyse narrative du dernier element de corpus il faut quelque peu
completer le modele de Bremond. ll ne s’agit eependant guere d’une exception dans Ia tradition
des exempla, mais bien, comme le montre clairement Jeröme Basehel dans sa remarquable
etude des representations medievales de l’enferl1, d’une specifieite qui eoneerne presque toutes
les struetures narratives des exempla medievaux concernant l’enfer. Plus preeisement, dans le
cas des visions infernales, le reeit ne se eontente pas des deux possibilites habituelles, d’une
strueture binaire, mais ajoute une troisieme voie, une voie de eompromis, qui ouvre Ia
possibilite d’une „reeompense“ meme a quelqu’un qui s’est „mal“ eomporte. Le eomplement au
modele que propose J. Basehel se presente de Ia sorte:
merite
demerite
recompense
ehätiment
Comme nous le voyons, Basehet a ajoute au modele, entre !es deux derniers elements,
une „diagonale du salut“ Je long de laquelle les personnages condarnnes peuvent progresser
vers Ia „n!compense“
Conformement ä ce nouveau modele, nous pourrions expliciter Ia strueture de T.2.3. de
Ia sorte:
57
J. Bascl1et. Les Justices de t:4u-delti. Les representations de l’enfer en France et en ltalie (.\1Jeme-XVeme
siecle). Ecolc fran,aise de Rome. Rome, 1993. p. 77.
5 2
* I . Circonstances introductrices
T.2.3.: Un serviteur encore jeune dans Ia foi (S) tombe gravement malade.
• 2. Mise ä /’epreuve: le sacrement
T.2.3.: Kaupo lui propose de se confesser
* 3 Reponse ä Ia mise a l’epreuve: le dimerite
T.2.3.: S refuse de se confesser.
* 4. Cha:tmem
T.2.3.: S doit subir les peines de l’enfer
* 5. Recompense: /e mirac/e
T.2.3.: S est renvoye sur terre.
2.1.2.2.1. Chronotope
A Ia difference de celui d’Henri, le chronotope de Cesaire est beaucoup plus imprecis. Le lieu
est en generat designe par le seul concept de Livonie (Lil’onia) et Je moment l’est surtout par
une caracterisation du canal d’information ou par des indications indirectes: Cum Livonia
pnmamfidem Christi receptsset (T.2.2.). A partir de ces rares donnees, nous pouvons inscrire
l’a:::tion des recits de Cesaire dans Je temps de Ia maniere suivante:
T 2 . 1 · 1 2 1 1 – 1 2 1 8. En effet, au debut de l’exemplum, Cesaire mentionne Bemard de
Lippe, le narrateur de cette histoire, comme „abbe de Livonie, actuellement eveque dans cette
meme region“ (Abhas Ltvoniae, nunc Episcopus tbidem). Bemard etait donc, au moment ou se
deroule cette histoire, abbe d’un monastere (Dünamunde, alias Daugavgriva). Il a ete appele it
cette fonction en 1 2 1 I . Or c’est en 1 2 1 8 qu’il est devenu eveque de Zemgale (Cf. infra,
2.2.2 2. ).
T.2.2. v. 1 1 90-v. l 2 1 5. Dans ce cas, Ia determination du moment de l’action est
nettement plus compliquee. Cesaire donne comme source Theoderic, pretre et moine cistercien
(7’heodertcus sacerdvs er monachus ordinis Cysterciensis). La question est de savoir de quel
Theoderic il s’agit ici. Sans doute pas du Theoderic abbe du monastere de Daugavgriva, plus
tard eveque d’Estonie (mort Je 1 5 .IV. l 2 1 9), car Cesaire ne l’a fort probablement pas rencontre
personnellement Or le Theoderic du recit a transmis ses informations au moine de Cologne
directement (sicut retulit mihi). De plus, Cesaire n’aurait pas manque le cas echeant de
mentionner les fonctions d’abbe et/ou d’eveque de ce Theoderic (comme il le fait en DM Vlll,
1 3 · Theodertcus tpiscopus Livoniae). Hermann von Bruiningk a suppose qu’il pourrait s’agir
d’un Theoderic pretre de Krimulda (Cubbese/e), dont parle Henri Je Letton dans sa chronique
(CHL Xl,5). l8 Mais il s’agit Ia d’une simple supposition et Ia solution de ce problerne
demeurera sans doute obscure. Meme en partant de Ia suggestion de von Bruiningk, nous ne
pouvons situer le moment de l’action plus precisement qu’au debut de Ia christianisation des
Livoniens (epoque it laquelle auraient pu avoir lieu des baptemes des grandes foules), c’est it
dire il la fin du XlJeme-debut du XIIlerne siede. Les evcnements relates par Henri et situes en
1 207 ne peuvent nous donner ici que des orientations tres imprecises.
58 H. von Bntiningk. „Li\’länd.ischcs aus den Fragmenten … „. op. eil .. pp. 229-230.
53
T.2.3.: 121 1-1 2 1 8. Cesaire commence ce recit avec une indication temporeUe fort
precise: Tempore scismatis imer Ononem et Philippum reges Romanorum, c’est ä dire entre
1 198 et 1208 Cela cependant ne se rapparte pas au miracle relate, mais ä Ia conversion au
christianisme de Ia Livonie.l9 II y a encore une indication temporeUe dans le texte de Cesaire, lä
ou il est question du voyage de Kaupo ä Rome (cf infra, 2.2.2.2.). D’apres Henri, ce voyage
s’est deroule en 1203-1204 (CI-ll.. Vll,3 et Vlll,2). Mais pour determiner l’epoque du miracle
en question nous disposans dans ce cas aussi du commentaire de Cesaire sur son informateur,
Bernard de Lippe (et l’un de ses moines): nmc abbate in Livonia, domu ordinis Cysterciensis
et postea episcopo. Des lors l’action de ce recit, comrne dans le cas de T.2. 1 . , s’inscrit dans Ia
periode ou Bernard etait abbe du monastere de Daugavgriva.
2.1 .3.3.2. Les sources d’information
En partant des specificites du recit de Cesaire, nous devrions rapidernent examiner egalement
ses sources orales. 60 Comme nous l’avons releve ci-dessus, !es sources des textes de Ia
deuxieme partie de notre corpus sont respectivement Bernard de Lippe (dans deux cas) et
Theoderic de Krimulda (?). Pour apprecier le contexte, il nous semble interessant de comparer
ces donnees aux sources des autres miracles livoniens de Cesaire. Les 1 3 recits livoniens
donnent en sornme le Iiste suivant (une analyse plus approfondie ne rentrant pas dans le cadre
de cette etude):
Bernard de Lippe: DM IX,37
DM X,35
Libri 1,21
Libri 1,31
Homeliae 234
L’eveque Albert: DM IX,4
Libri I, I ?
Un abbe de Livenie (Ahbas Livoniae) : DM XI, 1 8
Un abbe de Livonie (peut-etre le meme que precedemment): DM XI,35
Theoderic de Krimulda (?): Libri II, 13
lohannes. vicaire de l’eveque Albert: Vita s. Engelberti III,52
59
Les querelies pour le tröne entre Philippe et Othon sont utilises assez souvent par Cesaire dans scs histoires
(cn tant quc catcgorie temporclle). Par excmple DM V.37: Eodem anno quo Re:x Philippus pnmum ascendit
contre Ottonem postea imperatorem /…/: DM !V,27: Tempore schismatis. quod erat inter Philippum er
01/onem Reges Romanorum; DM 1X,51: Tempore schismat1s inter Philippum et Ottonem . . . 1; DM X,J9:
Tempore d1scord1ae mter Ollonem et Phillppum f..l; DM XJ1,40: Tempore sch1sma11s mter Ouonem er
Ph1ilppum Reges Rarnanorum I. ..I; Cesaire parle de ces querelies et de lcur solution en DM X.23.
60
Sur les sources orales de Ccsaire en gencral, cf. B.P. McGuirc, „Friends and Tales in the Cloister. Oral
sources in Cacsarius of Heisterbach „Dialogus Miraculorum““, Analeeta Cistereiensia, 1980/ 36, pp.l67-245.
Malheureusement Je riche article dc McGuire ne traite des sources livoniennes de CCsaire que tres brievement,
cf. p. 229: cf. aussi L. Winh-Poelchau „Caesarius von Heisterbach über Livland“. op. eil .. pp. 488-492.
54
L’eveque Theoderic?: DM VIII, 13
DM VIII, SO
11 ressort de ce resume que Ia principale source de Cesaire a ete Bemard de Lippe (il
faut ajouter que Bemard a pu egalement servir de source a DM VIII, I,; VIII,80; IX,4 et Libri
1 , 1 ), ce qui ressort egalement de notre corpus (cf. aussi infra. 2.2.2.1.).
2.1.4. Resurne comparatif
Au terme de l’analyse formelle des deux groupes de textes, nous allons tenter de comparer !es
resultats obtenus et de presenter une caracterisation globale. Les deux groupes de textes se
distinguent par deux personnages invariables. Dans le premier cas il s’agissait du heros chretien
et du (des) temoin(s) autochtone(s). Dans le deuxieme cas nous avons le(s) heros, neophyte(s)
autochtone(s) et les presents, ternoins du miracle. Les types donc correspondent de par leur
contenu. sauf que parfois les röles sont intervertis. !I n’est pas non plus difficile de relever des
analogies entre les „logiques de l’action“ et les structures narratives des deux groupes de
textes. Pour le premier groupe de textes, nous avons pu relever l’enchainement lineaire suivant:
circonstances introductrices : bon comportemellf du heros : mort bienheureuse du heros :
miracle : reconnaissance du miracle par le(.s) neophyte{s) autochtone(s). Pour le deuxieme
groupe, Ia logique du deroulement se presente de maniere presque identique. avec comme
unique difference Ia substitution d’un element – Ia mort du heros – par un autre: Ia possibilite du
sacrement. Ce qui donne: circonstances introductrices : bon comportement du (des) heros :
possibilite du sacrement : miracle : reconnaissance du miracle par /es presents.
En somme: toutes les parties du corpus choisi ont Ia meme structure logique de l’action.
Precisons cependant qu’il ne s’agit certainement pas d’un hasard, mais d’un modele valable pour
Ia majorite des miracles medievaux: ce resume ne fait que confirmer l’homogeneite du corpus
choisi et sa coherence interne.
La ressemblance de Ia structure narrative est prouvee pour sa part deja par le fait que
tous les textes releves (a une exception pres. qui confirme Ia regle), peuvent etre analyses
suivant le modele de structure narrative elabore par Cl. Bn\mond a l’intention des exempla. La
structure narrative des textes presentes (sans compter T.2.3., qui a une construction un peu
plus compliquee) se presente donc de Ia sorte:
I . Circonstances introductrices
2. Mise a l’epreuve: mortlsacrement
3. Reponse a l’epreuve: le merite
4. Recompense: le miracle.
Pour conclure l’analyse formelle: nous avons pu nous convaincre de ce que !es recits
des miracles ayant eu lieu en Livonie et Estonie a Ia fin du XIIeme siede et au debut du
XIIlerne siecle forment un corpus de textes homogene, a structure semblable.
55
2.2. LE CONTENU
2.2.1. Analyse intertextuelle: remarques methodologiques
Ayant fait appel. pour l’etude de Ia forme du corpus, aux mthhodes de l’analyse structurale,
nous emprunterons dans l’analyse du contenu quelques principes ä l’approche intertextuelle.
L’idee d’intertextualite ete introduite dans l’analyse litteraire ( et depuis dans Ia philosophie et
ailleurs) dans Ia premiere moitie des annees soixante par Julia Kristeva (Franyaise nee en
Bulga:ie), chercheuse en litterature, en semiotique et plus tard psychanalyste.61 Ses reflexions
cependant se fondent sur les idees exprimees des Ia premiere moitie de siecle par l’auteur russe
Mikhail Bakhtin sur l’analyse litteraire.62 Kristeva traite tout texte comme un recueil de
citations: „Tout texte se construit comme mosa:ique de citations, tout texte est absorption et
Iransfonnation d’un autre texte. A Ia place de Ia notion d’intersubjectivite s’installe celle
d’intertextualite“. 63
L’approche intertextuelle accorde une attention particuliere aux ancetres et aux
conditions de Ia production concrete d’un texte donne; d’autre part elle met en evidence Ia
dependance de chaque texte d’un nombre incalculable d’autres textes dans le grand et anonyme
dialogue des textes dans l’ensemble de Ia culture.64 Le centre d’interet du chercheur en
intertextualite n’est pas l’intention de l’auteur: il n’entend nullement decouvrir si les emprunts
trouves dans le texte sont conscients ou inconscients. Le principal objectif est de rechercher
comment. tous ensemble, !es textes fa􀅝onnent de nouvelles significations. des espaces
intertextuels.65
Nous avons articule l’analyse intertextuelle du corpus ici presente en plusieurs etapes.
Dans un premier temps nous nous emploierons ä reconstruire les relations de ta Bible (resp.
Vulgata) avec notre corpus. Dans le deuxieme point nous essayerons de lui trouver une
relation avec les autres textes ecrits precedemment. Dans te troisieme et demier paragraphe
nous ehereherans des textes paralleles au corpus ( c’est a dire racontant un evenement
identique). Les relations des textes de ce corpus avec des textes plus tardifs, compte tenu de
l’immensite de Ia täche, ne seront pas prises en consideration. Mais il convient de poser
quelques reserves meme quant au programme ici annonce, et qui depend essentiellement des
recherches anterieures. Nous sommes en etfet en mesure d’identifier une influence directe de Ia
Yulgate uniquement dans les textes ecrits par Henri le Letton; Ia meme remarque vaut pour !es
relations avec !es livres liturgiques. Nous rattacherons les recits de Cesaire avant tout ä Ia
61
Cf. J. Kristeva, „Le mot 1c dialogue et 1e roman“ ( 1966), in ld., Semeiotike. Recherehes pour une
semana(vse, Paris, Scui1 ( 1969). 1978, pp. 8 1 · 1 12. Cf. aussi R. Stewen. „Julia Kristeva ja teksti“ )Julia Kristeva
et 1e te􀈛1c) in /nterreksruaalisuus. Suuntia Ja soveluuksm, Toim. A. Vlikaris, Suomen Kirja11isuuden Seura.
Helsinki, 1991 (Tictolipas, 121), pp. 128·144.
62 Cf. T. Todorov, Mikhail Bakhtine. le princtpe dialogique survi de Ecrits du Cercle de Baklrrine, Paris, Seuil,
1981, sunout pp. 95-115; M Holquist, Dialogtsm. Bakhrm and his world. Routledgc. London and New York,
1990, sunout pp. 88-89; D.K. Danow, The Thought ofMikhml Bakhtin, From Ward ro Culture. Macmillan Ltd,
Houndsmills. Basingtone. London. 1991; V.S. Bib1er, Mrhar/ Bahrin rli poelika kulrury. Moskva, Progress,
1991.
63 J. Kristeva. op.cit., p. 85.
64 J. Culler, The Pursuit ofSigns: Semiolics. Litera/ure, Deconstruction. 1thaca. 1983, p. 103.
65 L’intencxtualite camporte dans le contexte de Ia culturc medievale quelques traits specifiqucs, fon bien
formules par J. Lot man, Kultuurisemioorika, [Semrotique de Ia culrure). Tallinn, Olion, 1 990, 1k. 162·163.
56
tradition textuelle des miracles lies aux sacrements et aux visions infemales. Cette reserve ne
tient pas uniquement aux recherches anterieures, mais aussi ä Ia nature meme du corpus:
„gräce aux citations de Ia Bible et du breviaire, Je niveau d’intertextualite de Ia chronique
d’Henri est tres eleve“ M En revanche, le texte de Cesaire contient des rapports relativement
plus modestes ä Ia Vulgate et aux ouvrages liturgiques, alors qu’il entretient des Iiens plus
e:roits avec Ia tradition anteneure liee aux miracles (tradition d’ailleurs qu’il poursuit et
developpe).
2.2.1.1. La Bible
La reconstruction des relations entre Ia Vulgate (et Ia Iitterature liturgique) et Ia CHL a donne
lieu a toute une serie de remarquables etudes. Des 1867, Eduard Pabst accompagnait Ia
traduction allemande de Ia Chronique de nombreux comrnentaires qui retablissaient l’origine
des citations d’Henri. L’etude textologique scientifique d’Henri a franchi une etape qualitative
gräce ä Leonid Arbusov jun., auteur de quelques remarquables analyses du Iangage d’Henri
( comprenant !es influences sur celui-ci de Ia Bible et des ouvrages liturgiques)67 Un disciple
d’Arbusov jun., V. Bilkins, s’est concentre sur cette question.68 Les resultats de leur recherches
ont ete plus tard completes par A. Bauer (ä cöte d’Arbusov) dans ses commentaires ä l’edition
de 1955 de Ia Chronique d’Henri.69 De nouvelles et prometteuses directions de recherche sur
cette question ont ete proposees par Jaan Undusk dans son article „L’art de Ia citation“.70 Nous
nous appuierons ici sur ces auteurs.
Henri fait effectivement appel fort souvent a Ia Bible. „La chronique d’Henri compte
ainsi parmi I es textes a citations bibliques a l’epoque Ia plus florissante de cette tradition dans Ia
Iitterature historique europeenne“ 71 Le nombre total des citations de Ia Bible varie (suivant le
critere utilise): V. Bilkins en compte 775, alors que pour Bauer il y en a pres de 1 1 00. D’apres
Arbusov Henri, sur les 65 livres qui composent Ia Bible (38 de I’Ancien et 27 du Nouveau
Testament), en a utilise 1 0 et 6, auxquels il faut hypothetiquement en ajouter respectivement 7
et 2. Cela donne 1 6 ou 25 livres de Ia Bible n Celui auquel Henri fait Je plus appel est l’un des
livres historiques, Je Premier Iivre des Macchabees. D’apres L. Arbusov, il y a puise 64
tournures qui reviennent dans Ia chronique 149 fois en tout n
66 J. Undusk. „RahYaluuletcksti löppematus. Fclix Oinas. soome meetod ja intertekstuaalnc KaJe,ipoeg“ [La
non-ftnitude du texte folklorique. Felix Oinas. Ia methode ftnlandaise et un Kalevipoeg intertextueiJ in F.
Oinas. Surematu 1\.afe“ipoeg. Tallinn. 1994, lk. 164.
67
L. Arbusow. „Das entlehnte Sprachgut in Heinrichs ‚Chronicon Livoniae‘. Ein Beitrag zur Sprache
mittelalterlicher Chronistic“. op.cit . . pp. 100-153: ld Liturgie und Geschichtsschreibung im Mille/alter.
Lud\\ ig Röhrschcid Verlag. Sonn. 1951. pp. 42-1 I I et passim.
68
W. Bilkins. Die Spuren FOn Vulgata. Brevier und Jfissafe in der Sprache von Heinrichs Chronicon
Livonine. Riga. I 928.
69
1/einrici Chronicnn UFoniae. Recognoverunt L. Arbusow et A. Bauer. op.cit.
70 J. Undusk. „Tsitcerimise kunstist Lisandusi Lä!i Henriku ja Vulgata suhetcle“ [L’art de Ia citation. En
complement aux rclations entre Henri Je Letton et Ia Vulgate]. Keef ja Kirjandus. 199012, lk. 69-78 et 1990/3.
lk. 136-1 􀂠6.
?t J. Undusk. „Tsitccrimise kunstist…“ . op.cit .. lk. 74.
72 L. Arbusow, „Das entlehnte Sprachgut … “ op. eil .. p. 109.
73
lbid. Pour Ia Iiste des citations par ordre de frcquence. cf ibid .. pp. 109-1 10.
5 7
Regardons maintenant de plus pres Ia nature du rapport entre Ia Vulgate et Ia premiere
moitie de notre corpus. Nous presentons ci-dessous les passages de Ia Vulgate qui recouvrent
en partie des toumures utilisees par Henri. 74 Les passages correspondants sont egalement
releves:
T. l . l . .􀛂 .J ad septem distans miliaria I. ..I vidit et agnovit.
Tobie I I ,6: Et dum ex eodem loco speC7ilaretur adventum ejus, vidit a Ionge, et illico agnovit
venicmtem filium suum; currencque nunciavit viro suo, dicens: Ecce venit filius flms.
T.1.2 . .‘. .. die ac nocte .‘ . . ./
Psaume I ,2: Sed in Lege Domini voluntas ejus, et in lege ejus meditabitur die ac nocte.
Remarque: il s’agit d’une expression largement repandue dans Ia Bible (et dans Je breviaire).
/ .. 1 Deofelicem terminum vite sue imponente 􀛃..!
Josue 22,25: Terminarum posuit dominus inter nos et vos, o filii Ruben, et filii Gad, Jordanern
fluvium; et idcirco parlern non habetis in Domino. Et per hanc occasionem avertent filii
vestri, filios noslros alimore Domini. Putavimus itaque melius.
􀛁 . .! quesitum et tandem inventum !..I
Estl:er 2,23: Quaesitum est, et inventum; et appensus est utesque eomm in patibulo.
Mandatumque es/ historiis. el annalibus traditum coram rege.
I. . . 1 in sanctis suis talia facit miraC71/a I. ..I
Psaume 4,4: Et scilole, quoniam mirificavit Domimts sanctum suum; Dominus exaudit me,
cum clamavera ad eum.
lbidem
Psaume 67,36: Mirabifis Deus in sanctis suis. Deus lsrail ipse dabit virlulem et fortitudinem
plebi suae, benedictus Deus.
Remarque: ce/le relation entre Henri et /es psaumes (l’hypothese est de E. Pabst) es/
disuctahle, dans Ia mesure mi pas un seul mot n’est commun aux deux texres.
T . l .3. / . ., irruit eciam idem Esto super eondem hospitem suum /. .. /
74 Nous ignorons quelle variante exactement de Ia Vulgate (le cas echeant) Henri a utilisec. Nos citations (dc
meme que celles dc Bilkins) proviennent de l’edition suivante: Btbba sacra Vulgatae editionis ;uxta exemplar
ex 􀉪vpagraphia Apasrohca I aucana. Romae /59:!. Edidit Leanden·an Ess. Tubingae, 18H.
5 8
Primum Regnum, 22,18: Et ait rex ad Doeg: Convertere tu et irrue in sacerdotes!
Conversusque Doe􀅎 ldumaeus, irmit in sacerdotes. et trucidavit in die il/e octogillla quinque
viros vestitos Ephod /ineo.
Et mulri videmes admirabantur, testimonium perhibentes !../
Evangile selon St. Jean I ,32: Et testimonium perhibit Johannes dicens: Quia vidi Spirirum
descendum quasi co/umbam de caelo. et mansil super eum.
lbidem.
Evangile selon St. Jean 1.34 · Et ego vidi. et testimonium perhibui quia hic est Filius Dei.
lbidem.
Evangile selon St. Jean 19,35: Et qui vidit. testimonium perhibuit, et verum es/ tesrimonium
ejus: er i/le seit, quia vera dicir; ut er vos credatis.
Comme il ressort de cette Iiste, l’emploi par Henri d’expressions bibliques pour parler
des miracles est tres intense: ceci (outre par Ia forme d’ecriture medievale des chroniques)
s’exp1ique en partie peut-etre aussi par Ia tentative de donner aux recits de miracles plus
d’autorite.
2.2.1.2. D’autres textes antt􀁩rieurs
Comme nous l’avons annonce, nous allons traiter ici des relations des textes de notre corpus
avec d’autres textes anterieurs (ä l’exception donc de Ia Yulgate). Notre approche se divisera
grosso modo en deux parties. Dans Ia premiere, nous releverons !es
emprunts/citations/influences phraseologiques (uniquement pour Ia CHL, partant de Ia
specificite de ce texte et des recherches anterieures). Dans Ia deuxieme partie nous tenterons
d’examiner plus largement Ia position des recits de ce corpus dans Ia tradition des miracles
correspondants ( c’est il dire de reconstruire Ia place de ce corpus dans l’espace intertextuel).
Les emprunts il des textes anterieurs: outre Ia Vulgate, Henri entretient d’etroits
rapports avec bien d’autres textes. Parrni les citations du chroniqueur, Arbusov a distingue: I )
les emprunts aux livres liturgiques (breviaire, misse!, sacrementaire, agenda, etc); 2) quelques
emprunts – peu nombreux – il un florilege contenant des textes latins, utilise dans
l’enseignement au Moyen Age – d’ou sans doute !es expressions relevant de l’oeuvre de Virgile,
d’Horace, d’Ovide, de Ciceron que l’on trouve dans les textes d’Henri; 3 ) des citations des
oeuvres des peres de l’Eglise, qu’Henri a retenues de ses lectures des livres liturgiques; 4) des
59
extraits de documents contemporains d’Henri, etc.7l Dans Ia premiere partie de ce corpus, cela
se traduit de Ia sorte: 76
T. l . l . 􀛀 . . 1p rohibet pertinacio a sancto proposito <..l
Breviarum Romanorum: Officium S . Thomae E. et Mart. die 29. Dec., L.IV: !..I qui a sancto
proposito …. ../
Breviarum Hamburgense: Officium S. Fab. et Sab die 20. Jan., L. II: !..I ut ipsorum animas a
suo proposito revocarent /..1
Breviarum Eboracense: Officium S. Agathae, die 5. Febr., L.l: / .. ./ a bono proposito posse
revocari / . . ./
Cuius morientis animam neophitus quidam ad septem distans miliaria ab angelis in
ce/um deferri viditet agnovit.
Breviarum camerale ad usum Cisterciensis ordinis: Officium St. Benedicti, L.I: vidit Germani
animam Capuani ep. in sphera ignea ab angelis in coelum deferri, Alleluja!
L’histoire contenue dans le breviaire est pour sa part un emprunt ä Gregoire le Grand (540-
604). Dans le quatrieme Iivre de son oeuvre exceptionnellement populaire, „Les Dialogues“
(Dialogorum /ibri qua111or de miraculis patrum italicorum), l’evenement est relate de Ia sorte:
In secundo namque huius operis libro iam jatus sum quod vir venerabilis Benedictus. sicit a
fide/ihus eius discipulis agnovi, Ionge a Capuana urbe positus. Germani eiusdem urbis
episcopi animam nocte media in globo igneo ad caelum jerri ab angelis aspexit. Qui eandem
quoque aseendeillern animam intuens. mentis laxato sinu, quasi sub uno solis radio cunctum
in suis oculis mundum collectum vidit. (Dialogi IV, 7). 77
Comme Gregoire le fait remarquer, il parle de ce meme evenement dans le Ileme Iivre des
„Dialogues“ (= Vita Benedicti): Qui venerabilis Pater, dum intentam ocu/orum aciem in hoc
splendora coruscae lucis infigerat, vidit Germani Capuani episcopi animam in sphera igneo
ab angehs in coelumjerri. (Dialogi II,35).78
75 L. Arbusow, „Das entlehnte Sprachgut. “ op.cll., pass1m.
76
Tout comme dans le cas dc Ia Vulgate, nous ignorons aussi quels livres liturgiques Hcnri a pu utiliser. C’est
pourquoi toutes les reconstructions de citations proviennent de differcnts ouvrages liturgiques. Nous ne sommes
pas cn mesure ici de pn\senter des donnees plus precises a propos de ces derniers. on en trouvera chez Bilkins,
Arbusow ct Bauer.
77 Gregoire lc Grand. Dialogues. Tome Ill (Livre IV), Texte critique et notes par A. dc Vogue, Paris, Cerf.
1980 (Sources Chretiennes, 265), p. 􀄒2.
78 Gregoire le Grand. Dialogues. Tome II (Livre fi), Texte critique et notcs par A. de Vogue, Paris, Cerf, 1978
{Sources Chretiennes, 260), p. 238.
60
L’histoire racontee par Gregoire ne se trouve pas seulement dans le breviaire, mais aussi
dans d’autres textes liturgiques (par exemple I es martyrologues 79) et autres. Ce motif textuel
utilise par Henri s’inscrit donc dans une !arge tradition intertextuelle. 80
T. l .2. Cuius corpusculum more fide/ium ad ecclesiam dejerens I. ..I
Sacramentarum Fuldense 305 n.2482 = Rituale St. Floriani 95 (Obsequiem circa morientes.
oratio): Debit um humani cmporis sepeliendi officium fide/ium more complentes / . ./
Sacramentarum Fuldense 305 .2477 Rituale St. Floriani 95 (Obsequiem circa morientes.
oratio): Oremus. jratres carissimi, pro spiritu cari nostri l…t, cuius corpusculum hodie
sepulwrae /radi/ur …
Re::1arque: Comme nous J e constatons, i l s’agit sans doute dans I a formulation d’Herui de Ia
synthese de deux extraits Mais on peut trouver d’autres textes appartenant ä Ia meme
tradition. 8 1
A propos de T. l .3., aucun emprunt direct o u eventuel n’a ete decouvert dans Ia
formulation d’Henri.
Nous allons maintenant essayer d’identifier des textes (ou des motifs textuels) anterieurs
appanenant au meme espace intertextuel que !es parties correspondantes de ce corpus. Pour Ia
raison evoquee ci-dessus, nous avons mis l’accent avant tout sur !es recits de Cesaire de
Hesterbach.
T. l . l . Nous avons souligne, lors de l’analyse de Ia citation, qu’il est question ici d’un
texte appanenant ä une !arge tradition intertextuelle. Si on lui ajoute d’autres recits plus
anciens ou figure „l’äme portee au ciel par des anges“, cet espace s’elargit encore davantage n
II semble que le premier ä traiter d’une äme dans le ciel entouree d’anges soit St.
Athanase (environ 300-373). Dans sa „Vie de St. Antoine“ il relate comment ce dernier, assis
sur une montagne, vit l’äme du moine Ammonis aller au ciel accompagnee d’anges.83 Environ
cinquante ans plus tard, Rufin (345-environ 4 1 1 ) raconte l’histoire de Paphnutius, un ermite qui
79
Cf. L Arbusow. Liturgte und Gesehtehtssehretbung … , op. ett., pp. 109-110. Anm. 9 1 . Notamment: Usuardi
marryrtologtum: Apud Capuani, saneil Germani, eu;us ammam vidit sanetus Pater Benedtctus in sphera ignea
ab nngefts in eoelum deferri. [Une phrase qui varic suivant lcs variantes du manuscritl. Patrologwe cursus
complectus. Series Latina (dorcnavant, en abrege, PL). ed J.P.Migne, T.CXXIV, coll. 637.
80
Outre les cas pn!scntes, L Arbusov supposc que Ia phrasc d’Henri orationibus Deo eommttlltur a pour
origine le Saeramentarium Fuldense. 314 n. 451.
81
Cf. L. Arbusow. Liturgie und Gesehtchtssehrethung …. op. clt .. p. 53.
82
Cf. W.D.McCready. Stgn.v ofSanetitv. .’vf irncles in the thought ofGregory the Great, op.eit., p. 130. n. 48.
83 S. Athanasii. Vita et conl’e.mtio S.P.N. Antonii, Pntrologiae Cursus Completus. Series Graeea, ed. J.P.
Migne. Tomus XXVI. caput 60. coll. 929-930 (versio Evagrii): Alio rursus in tempore cum sederet in monte,
et oeu/os subtto Ieiendisset in eoelum, vidit nesc10 quam animam. laetantibus in ejus oecursum angelis.ad
coe/um pergere. Cujus speetacult nowtate stupefaetus, beatum dixit sanetarum ehorum, oravllque ut sibi rei
praesentts agnitio pandererur Ed stallm vox ad eum Jacta est inquiens ISlam esse Ammonis monaehi animam,
qut .liitriae marabatur.
61
vit au ciel, au milieu d’un choeur d’anges, l’ärne d’un homme qu’il avait converti a Ia vie
monacale.8• St. Jeröme (347/8-404), contemporain de Rutin et a plus d’un titre en contact avec
lui, (auteur de Ia traduction latine de Ia Bible, Ia Vulgate), a rapporte une histoire sur bien des
points analogues a Ia precedente. St. Antoine y voit l’ärne de l’ermite Paul au rnilieu d’un choeur
d’anges. de prophetes et d’apötres_8l Dans notre recherche d’eventuelles citations ou emprunts
d’Henri, nous avons deja presente deux histoires identiques dues a Gregoire le Grand sur l’ärne
de Germain. eveque de Capua, emportee au ciel par des anges. Dans ses „Dialogues“, Gregoire
raconte d’ailleurs d’autres histoires analogues. Par exemple celle de voyageurs se rendant en
bateau de Ia Sicile a Rome, qui virent l’äme d’un pretre empörtee au ciel (Dialogi IV, 10).86
Les textes ici mentionnes ne sont sans doute pas les seuls qui appartiennent au meme
espace intertextuel que T. l . l . (nous n’avons pas aborde ici Ia tradition posteneure en raison de
son abondance) n Mais ils devraient donner une idee de Ia position du nkit d’Henri sur Ia base
de Ia tradition le precedant.
T.l.2. Si a propos du texte precedent, nous avions a faire a un rectt fortement
intertextuel, dans le cas de T. l .2. Ia tradition precedente est nettement plus limitee. Nous ne
sommes parvenus a decouvrir aucun n􀅩cit analogue (allongement d’un cercueil) qui lui soit
anterieur (ce n’est bien sür pas une preuve definitive). Avec J.G. Arndt88, nous pourrions
attribuer au meme espace intertextuel un autre recit, dü a Jacques de Vitry, auteur presque
contemporain d’Henri ( 1 160/70-1239/40), qui sur certains points ressemble il celui-ci: apres Ia
mort d’un usurier, ses subordonnes voulurent lui rendre honunage et pour ce faire soulever son
corps afin de le mettre dans un cercueil; mais sans resultat, tant le corps etait devenu lourd. La-
84 Rufino. lhstona monachorum seu Liber de Vitts Porrum, PL, T.XXI. cap.XVl, coll.438: Tempore autem
ailquanta m hts transacro, et ad sctenriae perfectionem eo perducto, quem perfeerum jam in operibus
ossumserot, quadam dte Paphmttus sedens m cel/ula sua, v/dll ammam eJUS mter Angelnrum choras assumtam,
dtcenlllem: „ßeatu.r qut elegtslt et assemsisfi: habllabit m tabernacuils tms“ (Ps. 6-1). Er cum haec audissel,
agnovtt assumlllm esse ex hoc mundo virum.
85 S. Eusebii Hieronymi. r·ua S. Pau/i Primi eremitae, PL. T.XXHl. cap. 14. coll. 27: Cumque jam dies alia
illuxisset, et trium horarum spario iter remaneret, vidtt mter angelorum caternas. inter prophetarum et
ap<>. 86 Grcgoirc Je Grand. Dialogues. Tarne III (Livre IV). op. eil., p. 44: Qutdam autem religiosus arque
fideils.rrmus vtr adhuc mthi in monasterio posito narravll, quod ailqut de Sici/iae parttbus navigio Romam
petentes, m man medto post/1, cuisdam servi Det, q111 in Sammo fuerat inc/ausus. ad caelum ferri animam
vtderunt. Qui descendantes ad terram causamque an ita esset acta perscrutantes, tllo dte mvenerunt obtsse Dei
famulum, quo hunc ad regna cae/es11a cognoverunt.
87 Ccsaore de Heisterbach parlc Iui aussi de 􀈜isions d’ämes. cf. Ltbn II, 37: De monacho qut wdil, quomodo
ammae peccatons er iusll in !tarn morris de corpore egredtunrur. L’histoire que presente dans ses
commentaores J.G. Amdl. remome elle aussi au Xlleme soecle: Dte Schnrfstchllgkell dteses .Veubekehrten
verdtenet den dem Leser em desto gelinder Urtheil. wetl es selbst den Altbekehrren der damaligen Zeit mehr
besser ergangen. Anno 1188. sahe der Prior des Manenordens vom Berge Carmel. Bertold, J!ar viele Seelen
semer A/(lnche, dte von den Saracenen ermordet waren. durehe eme Afenge hetltger Engel 111 Htmmel tragen.
Der Ltej/(lndtschen Chromk Erster Theil von Liefland unter semen ersten Btsch(Jfm 1. ..! Mit kurzen
Anmerkungen beg/eilet und ms Deutsche übersetzet von J.G. Amdl, op.cll., p. I I, Anm.l.
88 Dans son commentaire. Amdt presente un recit oio un cercueil devient plus leger: Em un[!enannter Auetor
erzahlet von dem hetltgen Bertold, emem Abte zu Garstm, der unter ondern ll’under den Teufel aus einem
Knaben 11111 emem Srrowtsche vertrieden, dass, wie er Anno //30 beerdtget werden sollte, die Leichenrräger
keme Last einmal gefiihlet. sondern der Sarg auf ihren Schultern sich von selbst in dte Höhe gehoben. Der
Ltej/tindt,,chen Chronik … op.c11 .. p. 36. Anm. 2.
62
dessus cependant un vieux sage dit que dans a ville l’habitude voulait que !es morts fussent
enterres par des representants de leur metier – dans ce cas precis donc des usuriers. Et cela
marcha.89
T. l .3. A propos de ce texte il est encore plus difficile de treuver des intertextes. En soi,
toutes sortes de mirac!es lies aux martyrs etaient tres repandus aux Moyen Age, mais il
portaient en general sur le corps meme du martyr et il n’y est pas question de transfert de
blessures. Vraisemblablement une analyse systematique des martyrologues permettrait de
treuver des cas analogues90, mais nous nous contenterons ici de nous referer a un texte
parallele (cf. infra 2.2 I 3.).
En passant a l’etude des miracles de Cesaire, l’espace intertextuel des textes etudies
s’elargit considerablement (hormis pour T.2.2., cf. infra). Afin de ne point nous y perdre, nous
Iimiterens notre analyse ä Ia tradition des exempla medievaux (dont relevent !es histoires de
Cesaire); c’est ä l’interieur de cette tradition que nous chercherons des intertextes aux textes de
Cesaire. Le meilleur outil pour concretiser cette approche est Ja consultation de !’Index
exemplonun de Frederic C. Tubach91 et son annexe, parue ulterieurement, dite 7itbach a
l’envers. qui, !’inverse de !’Index ne part pas des types de textes mais des textes concrets n
T.2. 1 . Le miracle de Ia communion doit etre considere le miracle par excellence au
Moyen Age et pas seulement. En effet, le sacrement meme de Ia communion est un miracle, Ia
Iransformation du pain et du vin dans le corps et le sang du Christ. Baucoup d’auteurs
medievaux ont d’ailleurs appele le sacrement de Ia communion miraculum.9′ De nombreux
auteurs relatent des miracles autour de Ia communion depuis le haut Moyen Age, mais on peut
hardiment affirmer que Ia periode Ia plus intense est le Xllleme siede, ou Ia plupart des auteurs
portent leur attention sur Ia communion et ses miracles. Cesaire de Heisterbach lui aussi
89 The Exempla or /1/ustrnllve Stones from rhe Sermones I „ulgares of Jacques de Vitry. Editcd with
lntroduction. Analvsis and Notcs bv Th. F. Cranc, The Folk-Lore Societv. London. 1890. (Publications of the
Folk-Lore Society.· XXVI). n. CLxXVIII_ p. 75: Audivi de quodam fene􀃴arore quod cum mortuum esset, dum
sui quibus sen•ierar volueru/11 cum honorare et mde /ud1brium facere, unde cum vicim ejus codaver levare
vellent ut ad sepulturam portarent nullo modo poterunt. cumque a/11 1dem temptarent nullo modo pateruni el
adm1ran11hus cunclls quidam anllquus homo valde sap1ens dixll 11/ts: „J os scllls quod consuetudo est m hac
cll’itate quod, mortuo ahquo ho1111ne. qui ejusdem oflicu vel mm1steni sunt solent •psum ad sepehendum fe“e.
Sacerdotes emm et clertci portant sacerdotes et c/ericos mortuos usque ad c1miterium, er mercatores
mercaturem, carmjices carmjice, etc. de aliis, vocemus ejusdem condilloms seu mimsteru hommes“. Er
vocaverunl quatuor Jeneratares qui statim corpus elevantes de Jacili usque ad locum sepulture tulerunt; non
enim perm1serunt demones quod sevus eorum portaretur msi a conservis ipsius. I ..I. Cf. aussi J. Le Golf, La
bourse et /a Vle. Economie er rehg1on au Moyen Age. Paris. Hachette. 1986, pp. 58-59.
90 Cf. pour les generalites. Dom J. Dubois, Les martyrologues du A1oyen Age lalln_ Brepols, Tumhout_ 1978
(Typologie des sources du Moycn Age occidental. fase. 26 ).
91 F.C. Tubach. Index exemplorum. A Handbook of med1eval religious ra/es. Helsinki, 1969, (Folklore Fellows
Communications, 204).
92 Les Exempla Medi F.C. Tubnch, Sous Ia direction de J. Berlioz et M.A. Polo de Beaulieu_ Garae/Hesiode, Carcassonne. 1992.
93 Cf. M. Rubin. Corpu s Chn. Press. Cambridgc_ Ncw York etc, 1991. pp. 108-129: „Teaching the eucharist with miracles“.
63
consacre l’integ􀎝alite du Livre IX de son „Dialogue des miracles“ aux miracles de Ia
communion (De sacramenlo corporsi er sanguinis Chrisli, ou se trouve egaJement T. 1 . 1 .).94
Dans I es „Huit livres de miracles“, c’est sunout Je !er Iivre qui est consacre aux miracles de Ia
communion. 91 De meme Je recueil anglais d’exempla Specu/um laicorwn consacre ä Ia
communion un chapitre ä part: De eukarislia e/ ejus virlutibus.% Un autre recueil anglais
d’exempla remontant ä environ 1300 contient 21 recits dans un chapitre intitule lncipiunr
exempla de virlutihus Eucharistie, er eiusdem contemplu.97 On pourrait treuver encore
d’autres exemples Miri Rubin, dans son remarquable ouvrage Corpus Christi, distingue panni
!es exempla medievaux ponant sur Ia communion trois groupes:
1. A vision of the real S1tbstances, or other unusual sensations, such as sme/1, taste or
so1md. as a reward for jailh and piety or s11ch revelalions used to counter trivial doubt:
2. Some llllllsua/ behaviour of natural elements. anima/s and human, arising from awe
ofthe eucharist or jrom sheer proximity lo il;
3. T11e appearance oj eucharislic properlies. usually jlesh, blood or 1he Man oj
Sorrows, /o a /mowmg ahuser – a Jew, a wilch. a lhief. a negligenl pries/ – and lhe ensuing
punishmenl. 98
Le miracle de Cesaire (T.2.1.) pourrait Iigurer avant tout dans le premier groupe de ce
tableau ( qui est aussi Je plus fourni). Si maintenant nous eherehans dans ce premier groupe
d’exempla des intenextes ä T.2. 1 . , nous constatons que dans Ia tradition des exempla on en
trouve guere d’histoires tout ä fait identiques. Mais on en trouve quelques unes ä plus d’un titre
sembab!es racontees par Cesaire dans Dialogzts m1ravulorum: un chevalier de haute naissance,
Erkenbaldo de Burdem, avait tue son fils, un criminel charge de peches. Mais quand apres cela
il voulut communier, l’eveque lui refusa Ia communion. A Ia fin cependant l’hostie apparut
d’elle-meme dans Ia bouche du chevalier.99 Le miracle dont nous traitons ici (T.2. 1 .), dans ses
grands traits, releve cependant d’un motif d’exemplum tres repandu au Moyen Age: le
sacrement de Ia communion dispense par le Christ lui-meme. Tubach (n° 2659: Hos/ given by
Christ) releve 1 0 recits analogues.
94 Dwlogus miraculorum. Ed. J. Strange. op.cit., T. 2. p 164-217 (en tout 67 chapitrcs).
95 Ltbn VIII Aflraculorum. Ed. A. Hilka. op.ctl., p. 15-75.
96 Le Speculum laicorum. Edrtron d’une collectron d’exempla composee en Angleterre ä Ia jin du Xlifeme
siecle. Ed. par J.Th. Weiter. Paris. Ed. A. Picard. 1914: p. 51-55 (contient 18 exempla).
97 Cf. M. Rubin. op.cll., p. 1 17.
98 lbtd., p. 118.
99 Dwlogus mtraculorum IX, 38. p. 194: /…/ Sed et Erkenba/do additus est dolor dolorr, adeo ur invalescente
injirmitate pro Episcopo mllteret, perens sacrum sibr corpus defem. Qui cum venisser, ille cum mu/1/s lacrimis
et contrilione cordrs omma peccata sua confessus est, racrra tarnen 1uvenis interfecrrone. Super quo 􀚿../
respondente Episcopus, ego vobts Christi corpusnon tradam, msr parnctdium tdem conjireammr; subwnxit vir
nobtlsi : I. ..IS i mihr corpusDonuni mei negaveritis. ego dir corpus et animam meam commrtro. Haec emm dixit
er egrt propter exemplum. ne msriuae er tudtcio derogare wdetur. l/x enim pontifex lmren domus egressus
fuerar, et ecce aegrorus eum revocavir dicens: Reverrmunr domme ep1scope. reverrmum. l“rdere si in pixide
Jrabearis corpus Chrrsrr. quem mrhr negastis, ipse se 1111h1 non negtn•il . .·l pparuirque hostw rn ure erus.
64
Si en T.2. 1 . l’hostie se rend d’elle-meme dans Ia bouche du heros, Ia tradition des
exempla contient aussi des cas inverses, oti l’hostie sort d’elle-meme de Ia bouche (cf Tubach
n° 264 7; a comparer avec n° 2660). Hormis T . l . 2., Cesaire mentionne ailleurs aussi des freres
convers aspirant a Ia communion. Dans l’un de ces cas cependant, l’aspiration a Ia communion
ne va pas de pair avec l’arrivee de l’hostie dans Ia bouche du heros, mais avec Ia croissance de
Ia clairvoyance spirituelle de celui-ci (cf DM IX,45: De converso qui per desiderium
communicandi spiritum meruit prophetiae). Un autre frere convers aspirant a Ia communion
voit le pretre mettre dans Ia bouche d’un autre frere convers un joli petit garvon (= le Christ)
(cf. DM IX,42: De converso qui vidit in os alterius conversi sacerdotem mittere puerum
pulcherrimum).
Avec le texte suivant – T.2.2. – il est question d’un phenomene relativement isole. En
examinant de pres cet exemplum on constate que le recit en principe ne contient guere de
miracle. Le fait que !es Livoniens aient ete baptises par aspersion ne peut pas etre tenu en soi
pour un „vrai“ rniracle, dans Ia mesure ou au Moyen Age ce type de bapteme etait assez
repandu et que, cornme le note Cesaire lui-meme: sed hoc talllum necessuatis tempore (T.2.2.)
(cf plus precisernent infra, 2.2.2.2.). Dans le cas donc de ce recit, il s’agit d’une histoire assez
particuliere, decoulant du contexte missionnaire et destinee a justifier le bapteme negligent des
masses. ll est relativernent difficile de lui treuver d’analogies plus anciennes. Mais le sacrernent
du bapteme est de maniere generale dans Ia tradition medievale des exempla un phenomene
assez sporadique: Tubach n’en enregistre que quelques une traitant du bapteme d’individus (en
tout 13). Nous devons donc pn!senter un resultat d’analyse intertextuelle de nature negative:
voici un texte a faible intertextualite.
T.2.3. Contrairement ä Ia precedente, Ia demiere des parties de ce corpus peut etre
clairernent consideree comme Ia plus intertextuelle sur l’ensemble des textes ici analyses. On
peut presenter Ia tradition dont releve ledit texte en trois couches (de Ia plus !arge a Ia plus
etroite):
I . La Iitterature medievale des visions
2. Les visions I I es voyages de l’au-dela
3. Les visions infemales.
Ces trois traditions ont ete toutes abondamment analysees dans Ia medievistique
conternporaine100, ce qui nous facilite considerablement Ia täche. Pour eviter de nous disperser,
100
A propos de Ia Iitterature sur lcs visions: cf. P. Dinzelbacher, I’ISlon und l’is•onsbterntur im .\fllel lolter.
Stullgart. Anton Hiersemann, 1981; ld., „Revelo/lones „, Brcpols, Turnhout. 1991 (Typologie des sources du
Moycn Age occidental. fase. 57): Mmelolterbche l“isionslllerotur. Eine Anthologie, Herausgegeben une
übersetzt von P. DinLelbacher. Dannstadt Wissenschaftliche Buchgesellschaft 1989. Sur les voyages de l’audelä.
cf. C. Carozzi, „Structure et fonction de Ia VisiOn de Tnugdal“. in A. Vauchez (Cd ), l·iure croire.
Alodnbtes de Ia diffu.’lon et de in recepiiOn des messnges religieux du .\’11/eme s1ecle au XJI eme s•ecle, Rome.
Ecolc Fram;aise de Rome. 1981. (Collection dc l’Ecole fran􀃿aise de Rome. 51). pp. 223-23-J: P. Dinzelbacher.
„Jenseitsvisionen – Jenscitsreisen“. in Epische Stoffe des ,\/lttelnlters. Hrsg. von V. Mertens, U. Müller. Alfred
Kröner Verlag. Stuttgart. 198􀃦 (Kröners Taschenausgabe. Bd.483). pp. 61 -80; C. Zaleski, Othenrorld
Journeys. .k count.< of.\’enr-Death Experiences in Afed•evnl and Modern Tilnes, Oxford Uni,·crsity Press. New
York. Oxford. 1987.: A. Morgan. Dante nnd the Meditval Other ll’orld. Cambridge Uni\·ersity Press.
65
nous examinerons de plus pres Ia pos1110n de T.2.3. seulement dans !es deux dernieres
traditions, en partant principalement des exempla. Dans son Index exemplorum, Tubach
distingue Je type 2944 (Knight, dead reh1rn oj) et sa deuxieme Sous-variation b) Knight, dead,
returns for conjession. La cinquieme convient egalement au present recit: e) Knight, dead,
retums from hell. Nous voyons donc que l’exemplum en question (T.2.3.) appartient a une
tradition bien concrete. Nous pouvons egalement lui ajouter d’autres cas d’exempla ou l’on
neglige Ia confession et ou pour cela on est chätie dans l’au-dela. Par exemple a Ia fin du
XIIIeme siede, dans Ia Tabula Exemplorwn, recueil compose en France, on trouve l’histoire
d’une religieuse du couvent de saint Damien qui, n’ayant as voulu se confesser (elle ecoutait des
chansons a Ia place), dut pour expiation passer 1 8 jours au Purgatoire. 101 Cesaire quant a lui
raconte a deux reprises une histoire semblable: un moine cistercien, sur son lit de souffrance,
voit autour de lui des demons qui promettent d’emporter son äme en enfer. Gräce a l’aide de Ia
Sainte Vierge Je moine se confesse, echappant ainsi a l’enfer (DM Il,9; Libri III,79).
De maniere generale, Ia confession est l’un des Ieitmotivs de Ia Iitterature medievale des
exempla L’une des raisons principales tient a ce qu’a partir du debut du Xllleme siecle
(epoque qui est aussi le debut de l’äge d’or des exemp/a), l’eglise met de plus en plus l’accent
sur Ia confession. Or l’une des principales forces de propagation de Ia confession, c’etaient !es
predicateurs, !es principaux utilisateurs des exempla. On n’ignore pas l’idee d’Humbert de
Romans (mort en 1277), general de !’ordre des Dominicains: Per praedicationem enim
semina/ur per confessionem vero colligitur fruchls. 102 Dans ]’Index exemplorum, Tubach
releve un type lie a Ia confession (avec deux variations), auquel nous pouvons rapporter notre
miracle· Tubach n° 1 1 88, C onfession, re/um from dead: a) confession, dead return to speak
oj, b) Conjession, reviva/ jor. Ainsi Jacques de Vitry raconte-t-il l’histoire d’un homme qui
n’osait pas confesser un grave peche et qui n’en manifesta l’envie que sur son lit de mort. Or ladessus
Je diable se changea en pretre et fit en sorte que l’homme se confessät a lui. Mais Dieu
der;ut l’espoir du diable de s’emparer de cette äme apres Ia mort en renvoyant l’homme sur terre
se confesser – car l’intention de l’homme etait bonne. 103
New York etc. (Cambridge Studies in medieval literaiUre, 8). 1990. Sur les visions infemales, cf. J. Baschet,
Les Ju.wces de l’rlu-delti Les represenration de l’enfer en France eren /tafle … , op. eil . . pp. 15-1 J.l.
101
La Tabufo eremplorum secundum ordinem alphabeti. Recueil d’erempla compi/e en France ti Ia fin du
XIJ/eme stecle, Ed. par J.Th. Weiter. Paris. Toulouse, Occitania, I 926. n. 88, p. 28: lrem nora de sorore Sr.
Damiam que proprer audttum umus cantiJene de qua non fuir confessa, Jmt m purgarono Xv711 dies sicur
posten m orac1one sua revelav11 cwdam soror1 sue.
102
Sur les relations entre exempla ct confession. cf. J. Berlioz, „‚Quand dire c’est faire dirc“. Exempla et
confession chez Etienne de Bourbon (mort v.l261)“ in Faire croire, op.cit., pp. 299-335: Ia citation de H. de
Romans se trouvc p. 304
103
The Exempla or Jll ustrattve stor􀇶esfrom rhe Sermones !’ulgares of Jacques de Vitry. op. ctt., n. CCCIII, p.
127: Nthtl aurem esr quod rantum dampnum Jactat diabolo sicur vera confessw. unde Iegtmus quod cum
quidam enorme peccatum comtms.<el, et tllud confiten non auderet, tandem tmmmente morl/s ar/lculo. habull
voluntatem confitendi. Dmbolus autem rimens ne tllud confiteretur sacerdo/1, transfgi uravif se m spectem
sacerdous, er dmt homini illi: „Ecce, tu grav/ler infirmar􀇷s, fac confesswnem tuam ur salurem consequaris. “
Facta autem confessione, dixit dyabolus: „Jsrud pecca/um valde turpe est er abhommnhtle . er mulros
scnnda/i;are passet. lnJungn tibt ne de cetero aflcu1 sacerdou cvnfitearis. “ Mortuo autem tflo homine,
allegobat dyabolus quod ammam habere deberet, eo quod homo tlle nunquam peccatum sacerdoti confessus
futsset. Bonus autem angelus e conrrario dtcebat quod bona e/ stmp/er mtenuo hommem tl/um salvare
debebat, martme cum dolus dyabofl non debull etdem pnrrocmari. Dommus autem judtcavtt {‚rO tllo homme, er
Jussir ammnm ad corpus redtre ur confes. 66
Comme nous pouvons Je constater, Je voyage dans l’au-delä du serviteur de Kaupo
( consequence de son refus de se confesser) appartient a une tn!s I arge tradition intertextuelle.
Nous allons maintenant situer T.2.3. dans Ia Iitterature anterieure se rapportant aux visions
infernales. Les voyages en enfer sont un theme traite des les toutes premieres visions de l’audelä
(nous trouvons des allusions des l’Ancien Testament et plus tard dans le Nouveau
Testament). La premiere vision d’importance est celle dite „de saint Paul“ (visio sancti Pauli).
II s’agit c’un recit en grec d’origine egyptienne (llleme siede), dont Ia traduction latine est
parvenue jusqu’ä nous. Le recit part des paroles de St. Paul lui-meme dans Ia Deuxieme epitre
aux corinthiens ( 12, 1-4) d’aprt!s Ia Vulgate:
/ . . / scio hominem in Christo ante annos quatordecim, sive in corpore, nescio, sive
extra corpus, nescio, Deus seit‘. rapturn hujusmodi usque ad tertium coelum. 1. . .1
(Remarque: nous voyons que T.2.3. est en relation tres etroite egalement avec Je texte de St.
Paul. car on y trouve repetee Ia phrase sive in corpore sive extra corpore, nescio, Deus seit.)
Or cette Vision de saint Paul est devenue tres populaire au IXeme siede et Cesaire en presente
une paraphrase dans ses „Huit livres de miracles“. 104 Le haut Moyen Age n’apporte de pas de
modifications essentielles a Ia Iitterature des visions infernales (il faul citer les recits de
Gn!goire le Grand, Ia vision de Charles Je Gros, celle de Wett, celle de Bernold etc). En
revanche le Xlleme siede peut etre appele „Ia renaissance de I’Enfer“. Oe remarquables textes
de visions se succedent: Visio Alberici, Visio Tmtgdali, le „Purgatoire de Saint Patrick“, Visio
Turkhilli, etc. Nous les laissons ici de cöte, pour examiner d’un peu plus tres Ia tradition
suivante. C’est qu’a partir du XIIlerne siede, Ia Iitterature d’exemp/a devient le tout premier
genre qui decrit les visions de l’enfer. Le Xllleme siede semble ainsi se situer entre deux
„renaissances de I’Enfer“, celle du X!Ieme et celle du X!Veme siede. Citons J. Baschet: „Ainsi
Je Xlilerne siede peut etre considere non comme une parenthese dans l’histoire de Ia cruaute
infemale, mais comme un palier entre deux moments de mutations des conceptions de l’audela.“.
IOS
A examiner Ia presentation de l’enfer et du chätiment dans T.2.3., nous voyons que Je
principe est simple et largement repandu dans !es exempla: Ia nature du chätiment repond ä
celle du peche. Pour citer Cesaire (T.2.3.): in qualibus etiam peccavit, in ta/ibus luit. I1
exprime ce meme principe egalement dans d’autre histoires. 106 Mais toute recherche
d’intertextes anterieurs aux tourments decrits s’avere vaine: en effet ( comme nous tenterons de
104 Die Fragmente der Libri f711 .Wraculorum des Caesarius von Heisterbach, Hrsg. von A. Meyster, op.cit ..
Anhang I (: Libri VIIJ Miraculorum. ed A. Hilka, op.cit., pp. 150-153): „De animabus inferni quas videt
Paulus t … -„. pp. 208-211): plus precisement sur la „vision de St. Paul“. cf. J. Baschet, op. cit., pp. 87-99.
lU; J. Baschet. op.cil .. p. 1 32.
106 Dialogus miraculorum II.7, T. l, p. 72: Deus secundum qualitatem et modum peccati ipsum punit
peccatum. Aliles iste quia vaccam rapuit, in vacca peccatum luit. Haec de qua/itate. J ‚acca propter pacua per
diversa prata discurrit. et assidua praecisione recrescientia gramina depascil. J ‚acca, ipsa sua inquietudine et
depastione, nohi/es et advocatos temporis nostri designat, qui domos er agros subditorum hospilando
depascunt, et per assiduas exactiones. quas in i/los faciunt, in substantia recrescere non sinunt. lsti
praedonihus in paenis similahuntur. et sicut modo alias agirant. /Ia ipsi cum praedicto milite extagitabuntur.
Jfaec de modo dicta sunt.
67
Je montrer, cf infra 2.2.2.2.), les tounnents ici relates apparaissent decoulant du contexte local
– livonien. 107
2.2.1.3. Textes paralleles
Nous designans par ce nom les textes qui traitent, independamment les uns des autres, du
meme miracle, en l’occurrence d’un miracle appartenant ä notre corpus. Nous n’avons trouve
qu’un texte de ce type, qui remonte ä J’·’Ancienne chronique rimee de Livonie“. La chronique a
ete ecrite dans Ia demiere decennie du XIIlerne siecle et se compose de 1 2 . 0 1 7 vers; eHe a ete
redigee en haut-allemand moyen. Le vers est proehe de Ja fomte employee dans les epopees
al!ernandes classiques de cour, il est fort regulier – de 6 ä 8 syllabes. La „Chronique rirnee“ est
Ia chronique de Ia branche livonienne de !’Ordre teuton; son style, sa technique, son approche
Ia rattachent assez clairernent ä Ia Iitterature (notamment Ia poesie) chevaleresque repandue au
XIIlerne siede dans Ia partie orientale de I’Ailernagne (poesie adaptee aux exigences d’un ordre
chevaleresque religieux). L’auteur de Ia chronique, reste anonyme, faisait partie des proches du
rnaitre de !’Ordre de Livonie: c’etait un rnoine-chevalier qui se depla!Y3it beaucoup en Livonie
sur ordre du rnaitre de !’Ordre. Chronologiquernent. Ia chronique couvre l’epoque allant de
l’arrivee des rnarchands allernands sur Ia riviere Väina, en 1 1 84, jusqu’ä 1 290. 108 Les vers 1269-
1332 racontent l’histoire d’un rnarchand allernand tue par un Estonien. II s’agit d’une variante
independante du rniracle T. 1.3.109
La confrontation des personnages des deux histoires ne revele pas de grandes
differences. Dans les deux cas, il s’agit d’un marchand allernand. d’un Estonien qui l’heberge, de
Ia fernrne de I’Estonien, de leur enfant et des ternoins du rniracle. Les differences apparaissent
dans une description plus approfondie des personnages. L“Ancienne chronique rimee de
Livonie“ introduit ici de nouveJies precisions. Nous apprenons que Je rnarchand allernand
n’etait pas riche et qu’il vendait des aiguilles. Mais si, concemant les personnages, il n’y a pas de
differences essentielles, il s’en trouve un certain nornbre au niveau de l’action. Dans Je recit
d’Henri, I’Estonien agresse I’Ailernand dans Je feu du soulevernent general des Estoniens; dans
Ia chronique rirnee, l’action de I’Estonien est plus retorse: il attire I’Ailemand chez lui au
mornent ou Je soulevement a dejä commence. Il lui otfre protection et l’invite ä l’etuve. Mais
son objectif est de Je tuer. Le meurtre lui-meme differe considerablernent dans les deux textes.
Alors qu’en T . l 3. e meurtrier est I’Estonien, dans Ia chronique rimee c’est Ia femme de ce
demier qui l’assassine, l’homme n’ayant qu’un röle d’auxiliaire. Le seul evenement absolument
identique dans les deux textes est Je miracle: les blessures de martyr de Ia victime apparaissent
sur Je corps de l’enfant (T. I . 3 . : du fils), nouveau-ne de I’Estonien. Identique egalement est Ja
reaction des ternoins. Mais apres Je miracle I es deux textes s’eloignent ä nouveau. Dans T. I . 3.
l’enfant retrouve bientot Ia sante, rneme si les cicatrices restent visibles encore longtemps. Dans
Ia chronique rimee en revanche l’enfant vit avec ses blessures encore un an et demi. Different
egalernent Je sort de I’Estonien. D’apres T. l . 3 . il est bientot tue par des soldats chretiens alors
que dans Ia chronique il reste vivant, mais accable de grandes peines et douleurs. La derniere
107
Sur les diverses peines dc l’enfer dans Ia Iitterature d’exempla. cf. J. Baschet, op.cit .. pp.87-99 el dans Ia
Iitterature sur les ,·isions. tbtd. . p. 133, tableau 4.
108
Plus prccisement. cf. E. Kross, Lttvimaa vanem ritmkroomka, [L ‚ancienne chronique rimee de Livonie)
Tanu, 1991, memoirc de diplöme a Ia chaire d’hsitoire d’Estonie de l’Universite de Tanu, lk. 􀁐40.
109
Livlmt dische Reimchromk. Hrsg. von L. Meycr, Georg Olms Verlagsbuchhandlung. Hildesheim, (1876)
1 963. pp. 30-3 1.
68
grande difference entre les deux recits conceme la mention du lieu de l’action: en T. 1 . 3 . celle-ci
se deroule a Sakala alors que dans Ia chronique rimee elle est placee a Podereja (Riidaja) dans
la region de Karkus (Helme). Cette difference pourrait provenir de la logique interne de
chacune des chroniques, c’est a dire de l’action rnilitaire a la description de laquelle le rniracle
(lui-meme de nature atemporelle) a ete ajoute.
Summa summarum: au terme de l’analyse intertextuelle du corpus, nous soulignerons
trois points: I ) notre corpus est d’un haut niveau d’intertextualite (a une ou deux exceptions
pres); 2) Alors que les textes d’Henri sont caracterises par une relation tres etroite avec Ia
Vulgate et Ia Iitterature liturgique, ceux de Cesaire s’inscrivent en rapport etroit avec Ia
tradition medievale des exempla. Ces deux traits s’expliquent par l’histoire personneHe des deux
auteurs; le premier etait un pretre missionnaire, dont les principaux outils de travail etaient les
ouvrages mentionnes; le deuxieme en revanche disposait d’un plus !arge choix de litterature,
ses rapports avec le monde environnant etaient aussi nettement plus intenses; 3) Malgre le haut
degre d’intertextualite, !\OS textes contiennent beaucoup d’eiements originaux, qui eclairent le
mode de vie local et les habitants de Ia region. C’est a leur etude que nous consacrons la
derniere partie de notre analyse de contenu.
2.2.2. L’analyse historique: remarques methodologiques
Taut au long de cette etude, nous avons traite les personnages et l’action presentes dans ces
histoires de miracles a un niveau abstrait; nous les avons consideres comme elements de
structure ou comme parties d’un espace intertextuel. Dans cette partie nous nous proposans de
les situer dans l’espace et dans le temps et d’etudier l’information historique dont ils sont
porteurs (en relation egalement avec d’autres sources). En partant des etudes existentes, nous
nous concentrerons surtout sur l’information historique contenue dans les textes de Cesaire de
Heisterbach. Cette analyse s’articulera en deux parties: tout d’abord celle des personnages
historiques (ou porteurs d’informations historiques), puis celle les actions correspondantes.
2.2.2.1. Les personnages
T. l . l . presente deux personnages (ou groupes de personnages) meritant une etude plus
detaillee:
Theoderic. Ce bras droit de l’archevec;ue Meinhard, plus tard eveque d’Estonie (mort le
15. VI. 1 2 19), est le seul personnage cite dans le recit par son nom . Il semble etre de ceux qui
ont ete laisses de cöte dans la logique du recit d’Henri le Letton ( construit sur les episcopats
des trois archeveques); des lors, il a ete aussi neg!ige par !es historiens plus tardifs. Le prernier
des historiens estoniens a avoir releve le röle central de Theoderic dans Ia christianisation de la
Livenie et de l’Estonie est J.Luiga.110 Apres lui, cette idee a ete reprise par l’historien allemandbalte
Paul Johanson 1 1 1 Mais l’historiographie ulterieure a en grande partie neglige ce fait. Ce
110 J. Luiga. in Eesli kirjandus. 1926/10.
1 1 1
P . Johansen, A’ordische Mission. Revals Gründung und die SchH·edensiedlung in Estland, Stockholm,
Wählström & Widstand. 1951, pp. 94-105: cf. aussi F.G.von Bunge. Livland die Wiege der Deutschen
Weihbischöfe. op.cit .. pp. 1 5-1 9: malheureusement. nous n’avons pas pu consulter l’anicle de Th. Gentrup „Der
Zisterzienser Dietrich in der altlivländischen Mission“, Zeitschrift f/ir Missionswissenschaft und
Religionwissenschaft, 1956/􀀸0. Heft 4, pp. 265-281.
69
n’est que dans les demieres annees que l’on remarque une sorte de „renaissance de
Theoderic“. 112 Bien qu’il ne joue pas un röle essentiel dans Ia structure narrative d’Henri, on
n’en peut pas moins Iire entre les lignes l’importance de son influence et de son action dans Ia
conversion des pa“iens. Premierement, de tous les missionnaires de Ia region, il etait celui qui
disposait de Ia plus grande experience de rapports avec les autochtones, et donc Je plus actif
propagateur du christianisme ( cf CI-U.. I , I 0). Deuxiemement, on peut Je tenir pour Je
fondateur de fait de !’Ordre des Porteglaives (cf CHL VI,4). Troisiemement, c’est lui qui etait
Je plus etroitement en contact avec Ia curie de Rome. II a fait en tout au moins 6 voyages a
Rome: en 1 192, 1201, 1203, 1213, 1 2 1 5 et 1 2 1 8. Quatriemement, il peut etre considere
comme Je fondateur du monastere de Daugavgriva (bien qu’officiellement cette fondation soit
attribuee a Albert). Theoderic est d’ailleurs devenu abbe dudit monastere (cf CI-U.. VI,3).
Cinquiemement, il doit etre considere omme le principal auxiliaire des Danais dans Ia prise de
Tal!inn (au cours de laquelle il mourut en martyr, CI-U.. XXlll,2), etc. Notre texte (T. l . l . )
ajoute a l’activite d e Theoderic u n eclairage particulier avant tout sur ses relations avec !es
autochtones.
Les jemmes. On peut supposer que les femmes figurant dans Je recit ont elles aussi
porteuses d’un certain message. Edouard Pabst a emis l’hypothese selon laquelle ces femmes
etaient les epouses du malade; leur hostilite au bapteme tenait a ce que par cet acte (demande
ar Je malade) Ia vie en polygarnie anterieurement pratiquee serait interdite. 113 A comparer avec
CHL XXVI,8: Et receperunt uxores suas, tempore christianitas dimissas I. ..I
T.l.2. ne contient aucun personnage porteur d’inforrnations historiques importantes ou
originales, i1 eclaire quelque peu le mode de vie des simples missionnaires d’Estonie et de
Livonie et leurs relations avec les autochtones.
T.l.3. nous propose quelques images des marchands allemands venus en Livonie et en Estonie
(a l’appel de l’eveque Albert) et de leurs relations avec les autochtones.
T.2. 1 .
Le jrere convers. Le personnage du premier recit est „un frere convers, qui venait de se
convertir“ (quidam conversus, qui nuper fidem susceperat) . Le tout premier problerne qui se
pose conceme Ia traduction: nous avons propose, pour le latin „conversus“, Ia traduction „frere
convers“, bien que le mot latin soit plus souvent utilise dans le sens de „converti“. Nos
arguments sont de deux ordres: notre traduction part tout d’abord de Ia logique de 1’action. II
est difficile en effet de croire qu’un paysan tout juste converti ait pu participer il un office de
moines (tres vraisemblablement au monastere de Daugavgriva). D’autre part ce choix de
traduction se trouve aussi chez certains auteurs plus anciens. Frederic C. Tubach traduit cette
notion en anglais par a lay brother. Le mot latin est aussi interprete de Ia sorte par Lore WirthPoelchau.
II faut ajouter, en guise de troisieme argument, que l’analyse du Iangage de Cesaire
112 Cf. par exemp1e P. Raudkivi. „Liiv1ased Kaupo Rooma reisi tagamaadest“ [Les Livoniens sur 1es coulisses
du voyage a Rome de Kaupo). Looming, 1995/3, 1k. 390-398.
1 13
Heinrichs I’On Lei/land Livltmdisches Chronik ein getreuer Bericht 􀚾.J nach Handschnften mtl vte/facher
Berichttgung des Oblichen Textes aus dem lateinischen Obersetzt une erltiutert von E. Pabst. Reval. 1867. p. 8,
Anm. 10.
70
n!vele qu’il utilise Ia plupart du temps Je mot conversus dans Je sens de frere convers. Donc, Je
heros de notre premiere histoire est un frere convers livonien qui, du fait de son statut, n’avait
pas encore Je droit de communier – regle largement repandue parmi !es cisterciens (et pas
seulement chez eux) l14 Fait pour nous eloquent: des Ia premiere etape de Ia christianisation il
se trouvait des moines autochtones.
Bemm·d de J.ippe. Le deuxieme personnage – certes exterieur du recit – figurant dans Je
texte de Cesaire est son informateur Bernard de Lippe, „abbe de Livonie, maintenant eveque
dans Ia meme region“. Comme nous l’avons montre plus haut (cf 2 . 1 .3.4.) dans l’analyse des
sources, Bernard etait l’une des principales sources d’information de Cesaire sur Ja Livonie.
Cesaire souligne lui-meme l’importance de Bernard en tant qu’informateur pour ses recits:
Hec reve/ata S/1111 ab episcopo Livonie, viro ordinis C’isterciensis, qui multo melius et
plenius rem novit quam a me sit relata (!.ibri 1,21).
Des lors, Je moine de Cologne Iransmet aussi, souvent, des informations sur Bernard de Lippe
lui-meme. Ed. Winkelmann s’est Iivre des 1868 a une breve analyse de l’image de Bernard teile
qu’elle ressort des textes de Cesaire. 1 15 La meme annee, l’historien allemand Fritz Winter a lui
aussi presente quelques circonstances de Ia vie de Bernard en s’appuyant egalement sur les
textes de Cesaire. 116 Plus tard, ces memes textes ont ete utilises par d’autres auteurs pour
reconstruire Ia vie et les idees de Bernard de Lippe.117 Pour nous l’essentiel ici est que Bernard
ait dispose d’une tres haute autorite aux yeux de Cesaire, ce qui apparait d’une part dans Je fait
qu’il est souvent cite par le moine de Cologne, et d’autre part qu’il avait souvent l’occasion de
participer en tant que temoin a des miracles divins.
T.2.2. n’ajoute aucune information historique essentielle sur des personnages de l’histoire
livonienne ou estonienne. Henri Je Letton est bien plus eloquent sur Ia question de Ia foule a
baptiser et du faible nombre des baptiseurs.
Theoderic: comme nous l’avons mentionne dans Ia premiere partie de cette etude, nous
n’avons pas d’information precise nous permettant d’identifier avec precision ce Theoderic.
Nous avons egalement evoque l’hypothese de H. von Bruiningk (jusqu’a ce jour Ia plus
1 1 4 Sur les freres convers au monasterc chez les cisterciens. cf. F. Winter, Die Cistercienser des nordosrlichen
Deutschlands. Ein Beitrag zur Kirchen- und Kulturgeschichte des deutsches .\fitte/alters, Bd. 2, Gotha. 1871,
pp. 156-158.
1 1 5
E. Winkelmann. „Der Magister Justinus Lippiflorum. Nebst Erönerungcn und Regesten zur Gescichte
Bernhards II von der Lippe, des Abts ,·on Dünamunde und Bischofs der Selonen“, op.cil., pp. 478-482: „Ueber
die miracula Bernhardi“.
1 16 F. Winter. Die (Jslercienser des nordosrliche Deutschlands. Em Beitrag zur Kirchen- und
Kuliurgeschichte des demsches .\litte/alters. Bd. l . Gotha. 1868. pp. 239-2􀎨5: nous n’avons pas pu utiliser
l’ctudc dc P. Schilfcr·Boichorsti. „Herr Bemhard ,·on der Lippe als Ritter. Mönch und Bischor‘, Zeitschrift ftir
l „aterltindi.,·che Geschichte und.J/tenumskunde. Jll Folge. Bd. IX. Heft 2. pp. 107-235. Münster 1871.
117 P. Johansen „Lippstadt. Freckcnhorst und Fell in in Livland. Werk und Wirkung Bemhards ll zur Lippe im
Ostseeraum“. I eriiffent/Jchungen des Provinzin/inslituts fiir ll’estaf /Jsche Landes- und l ‚olkskunde, Reihe l:
Winschafts- und Verkehrwissenschaftliche Arbeiten, Heft 7. Munstcr. 1955. sunout pp. 105-118.
71
interessante), selon laquelle il pourrait s’agit du Theoderie eite par Henri le Letton (CHL XI,5).
II est impossible d’en rien deduire de tres eoncret.
T.2.3.
Kaupo. C’est le premier personnage qui apparait dans le texte de Cesaire: quidam pagarrus
Caupo nomine :. . . 1, qui post baptismus tantae devotionis fuit et tam probatae conversionis.
C’est le seul autoehtone presente par son nom et qui figure dans les travaux des deux auteurs
de notre corpus. Cela foumit une bonne occasion de comparer les inforrnations transmises par
l’un et par l’autre. Dans sa chronique, Henri accorde ä Kaupo une tres grande attention: il le
mentionne en tout 17 fois (Lembitu, le chef des Estoniens, n’etant cite que 10 fois). Oe plus,
Henri le voit tres haut place, et le tient pratiquement pour le roi des Livoniens de Turaida
(quasi rex et senior Lyvonum de Thoreyda) (CHL VII, ). II nous offre d’interessants elements
de comparaison avec ce que dit Cesaire – ä savoir que Kaupo avait ete emrnene ä Rome pour
avoir fait preuve, apres son bapteme, d’une grande devotion et d’une foi assuree: d’apres Henri,
Ia grande devotion de Kaupo etait liee au COntraire ä son voyage ä Rome: Nam ipse [Caupo
M. T. J postquam Roma rediit, fidelissimus jactus est 1. ../ (CHL X, I 0). Si l’on peut done
trouver ä propos de Kaupo quelques differenees entre Henri et Cesaire, l’approehe generale des
deux auteurs est identique: Kaupo est un veritable ehretien du eru, dont Ia digne vie a ete
eouronnee par une mort eneore plus digne, le martyre dans Ia Iutte contre !es pa’iens (CHL
XXI.4). II faut neanmoins. dans le eas de ees deux textes, tenir eompte de l’arriere-plan
ideologique des auteurs (Ia necessite de mettre en avant un autoehtone); Ia eomparaison
eonfirme leur eonforrnite relative ä Ia realite.
L ‚eveque Albert: ä son sujet, l’approehe de Cesaire apporte un message plus original. 111
Contrairement ä Henri, qui est favorablement dispose envers Albert, l’auteur du Dialogus
miraculomm se montre, dans sa phrase sur l’aspiration d’Albert a Ia eape episeopale, plutöt
ironique. Faut-il en ehereher Ia raison ehez l’informateur de Cesaire, Bemard de Lippe, qui ne
s’entendait pas toujours bien avee l’areheveque (n’ayant pas ete satisfait au debut dans son desir
d’etre eveque)? D’apres P.Johanson iJ est impossible que eette information soit parvenue a
Cesaire par l’intermediaire de Bemard, car il ne devait pas ignorer que le desir et Ia possiblite
pour Albert de devenir archeveque etaient plus tardifs (d’apres Henri, le voyage de Kaupo ä
Rome eut lieu en 1 203/04). 119 Comrne Johansen lui-meme le fait remarquer, l’envie concrete
d’Albert de devenir archeveque ne nous est connue qu’ä partir de 1219. La reponse (negative)
du pape Honorius a ce desir d’Albert est parvenue jusqu’ä nous (7 novembre 1 2 19):
I…/ Cetemm licet nobis humiliter supplicaris, multiplicatis intercessionibus plurimum,
ut in Uvonia novam creare metropolim dignaremur, nos huius rei circumstantis
provide circumspectis, in nondum expedire Livoniensi ecclesiae arbitrantes, preces
tuas ad praesens nequivemus exaudire t: ../.120
1 1 8
Sur Albert dans l’oeuvre dc Cesaire, cf. aussi G. Gnegel-Waitschies. Bischof Albert von Rign. Ein Bremen
Domherr als Kirchenfursl im Osten (1/99-1229), A. Friednch Velmede Verlag. Hamburg. 1958. pp. 20, 70-71,
133. 143-IH, 162 etc.
119 P. Johansen, „Lippstadt…“, op.cil . . p. 104. Anm. 32.
120
Liv-. Est- und Kurlandisches Urkundenbuch nebst Regesten, Begründet von F.G. \’On Bunge. Reval. 1853,
Bd.l, n. 47.
72
L’une des solutions possibles a ce problerne est que Cesaire n’ignorait pas (gräce a
Bernard) cette inforrnation plus tardive, et qu’il l’a rattachee (consciemment ou non) a des
donnees anterieures. concernant le voyage d’Alben a Rome (sur Ia problematique du voyage a
Rome, cf. il!{ra. 2.2 2 2.).
2.2.2.2. L’action
Dans cette analyse de l’action nous n’entendons pas examiner toutes les actions qui se
pn\sentent au fil de Ia lecture de notre corpus (guerison. enterrement, accueil, comrnunion etc);
nous nous concentrerons sur quelques problemes qui nous semblent presenter un interet
historique. Nous avons trouve dans ce corpus quatre actions porteuses d’un essage interessant
(toutes dues ä Cesaire de Heisterbach): I ) le bapteme des Livoniens par aspersion; 2) le voyage
de Kaupo a Rome: 3) l’activite de Kaupo comme confesseur: 4) les peches du serviteur.
I . Le bapteme des Livoniens par aspersion. L’inforrnation donnee par Cesaire sur le
bap:eme dispense d’abord par aspersion puis par immersion prend taute son importance si on le
compare aux recits de bapteme transmis par Henri. On peut considerer le theme du bapteme
comme l’un des Ieitmotivs de Ia CHL. Sur Ia base de ces frequents recits, nous pouvons nous
faire une idee assez claire du bapteme des pai’ens de cette region (au moins tel qu’Henri le
voyait mais il n’y a pas lieu de douter de Ia confimtite a Ia realite). C’est dans l’histoire du
bapteme du chef Kyriavani (Kitjavane) qu’Henri en presente Ia description Ia plus approfondie
(meme si le rituel reste inacheve) (CHL XXIII, 7): tout d’abord le protageniste exprime son
desir d’etre baptise: puis il est catechise en presence de son parrain, Rodolphe, un maitre de
!’ordre, pres quoi on commence a l’oindre d’huile; mais alors s’eleve un grand vacarme (en
raison d’un malentendu militaire) et l’onction (de meme que, sans doute, l’immersion) s’arretent
Ia. Si dans le cas ici decrit toutes les instructions du rituel du bapteme ont ete correctement
respectees, on procedait plus souvent a Ia häte, en aspergeant les pai’ens, en ne les instruisant
que fort brievement. II en va ainsi par exemple dans Ia forteresse de Yiljandi (CHL XlY, I l ).
Les missionnaires danois. quant a aux, poussent Ia negligeance a l’exces:
Qui bapti:an/es viilas quasdam et ad alias suos millen/es, ad quas ipsi venire tam
subito non potuenmt, et cruces magnas ligneas in omnibus villis jieri precipientes at
aquam benedictam per manus rusticomm millenies el mulieres ac parvulos aspergere
iubellles … (CHL, X.X/1􀉮2).
l l decoule du texte d’Henri que les missionnaires allemands (et danois) faisaient appel a deux
methodes pour baptiser les autochtones: l’infusion et l’aspersion. Or l’eglise catholique connait
un troisieme mode de bapteme; l’imrnersion. Henri ne parle pas directement de bapteme par
immersion, mais le bapteme des habitants de Saaremaa dans Ia forteresse de Valjala laisse place
a cette interpretation Henri ecrit:
/ . . ·‘ per medium castrum fontem consecrames et doltum replemes prima seniores et
meliores catechizatos. deinde viros et mulieres bapti:ant et pueros / . . .! (CHL XXX,5).
73
L.Arbusov a suppose ici un bapterne par irnrnersion (ce que le tonneau d’eau sernble
confirmer). 121 E. Tarvel, en revanche, ne partage pas cette opinion: „Cornrnent aurait-on pu
faire passer par le tonneau les rnilliers de personnes dont parle Henri! Nulle pan dans Ia
chronique il n’est question de bapterne par irnrnersion: panout on parle d’infusion (rigare) ou
d’aspersion (aspergere)“. 121 Si le prernier argurnent de Tarvel n’est pas tres solide (l’ernploi des
nornbres par Henri, cornrne par les autres chroniqueurs du Moyen Age n’est pas il prendre au
pied de Ia lettre; de plus les pretres ont ete occupes il cette activite trois jours de suite), sa
deuxierne objection (fondarnentalernent argumentum ex silentio) sernble suffisamment
ccnsequente pour lui donner raison. Des lors, le seul auteur conternporain il faire reference au
bapterne par irnrnersion est Cesaire: Unde Livonienses LI cum trina immersione secundum
morem ecclesiae denuo baptizali sunt (T.2.2.). Pour situer lesdits evenernents dans leur
contexte historique il convient de proceder il un court detour dans l’histoire du sacrernent du
bapterne. 123 Cornrne nous l’avons rnentionne, l’eglise catholique connait trois rnodes de
bapterne, l’aspersion, l’infusion et l’irnrnersion. L’abbe Corblet a resurne ainsi leur usage
diversifie dans l’histoire de l’eglise rnedievale: 1 ) du IVerne au V llerne siecle on a utilise
l’irnrnersion partielle, rarernent l’infusion. 2) du Vllerne au Xlerne siecle le rnode de bapterne Je
plus repandu etait l’irnrnersion verticale totale. Dans cette periode, comme tout au long du
Moyen Age, on procedait de rnaniere differente, conformernent aux circonstances concretes,
avec les adultes qu’il etait cornplique d’irnrnerger cornpleternent. 3) Entre Je Xlerne et le
XIIlerne siecle on a utilise Ia plupart du ternps l’immersion cornplete avec infusion partielle,
rarernent l’infusion seule.124 C’est donc ainsi que se presente Je bapterne courant; rnais nous
sornrnes ici avant tout interesses par !es bapternes exceptionnels, realises au cours des missions,
et plus concreternent par les possibilites d’utilisation de l’aspersion. Le christianisrne primitif ne
reconnaissait pas l’aspersion; le prernier des theologiens du Moyen Age il avoir analyse le
problerne de l’aspersion sernble etre Alexandre de Haies ( 1 1 86- 1245). II enurnere un certain
nornbre de Situations, dans lesquels l’irnpossibilite de l’immersion peut conduire a faire appel a
l’aspersion. L’un de ces cas touche aussi il l’evenernent rapparte par Cesaire: quand Ia foule il
baptiser est trop grande pour que l’on procede il l’irnrnersion. m Thornas d’Aquin ( 1228-1274),
qui dans sa Summa theologiae aborde ega!ernent le problerne du bapterne par aspersion,
nurnere trois cas principaux dans lesquels on peut utiliser l’aspersion au lieu de l’irnrnersion, l’un
deux coi’ncidant avec celui de Cesaire: lorsque Ia foule il baptiser est trop grande (il ajoute le
rnanque d’eau en quantite suffisanie et Je rnauvais etat de sante de certains candidats au
bapterne).126 En depit des discussions scolastiques du Xlilerne siecle, l’eglise n’autorise
l’aspersion qu’au XlVerne siecle (au synode de Ravenne, en 1 3 1 1 , il est decide que l’on peut
baptiser sub trina aspersione vel immersione). 127 Donc le bapterne des Livoniens par aspersion
121
L. Arbusow, Liturgie und Geschichtsschreibung …. op. cit.,p. 62.
122
E. Tarvel, „Henrikja tema aeg“, op.cit., lk. 22.
123
Cf. J. Dellamy, „Bapteme dans l’eglise latine dcpuis le VIIlerne siecle“, Dictionnaire de theologie
catho/ique, T.2. lere panie. Pans, 1932, coll. 250-296; P.de Puniet. „Bapterne“, Dictionnaire d’Archealogie
Chrellenne et de Liturgie, T.2. lere partie, Paris. coll. 251-346: sur les rituels de bapteme depuis le
christianisme prirnitif jusqu’au Xlleme siecle, cf. J.D.C. Fischer, Chns11an Initiation: Bapttsm m ehe Medieval
West. London. S.P.C.K. (Aicuin Club Collections. XL VII), 1965.
124
L’abbe Corblet. Histoire du sacrement de bapteme, Paris, 1881. cit. in J. Dellamy. op. eil., coll. 254.
125
J. Dcllamy, op. cit., coll. 254.
126
lbid., coll. 255.
127
Jbid.
74
n’est pas entierement en accord avec l’enseignement de l’eglise, meme si aux yeux de Cesaire,
c’est un acte digne d’un miracle.
2. Le voyage de Kaupo a Rome. La visite du Livonien Kaupo („le premier autochtone
il Rome“) il Ia curie papale a susciu! l’inten􀃛t de nombreux historiens (et pas seulement des
historiens); pourtant, il notre avis, cet evenement n’a donne lieu il aucune analyse serieuse et
approfondie. Dans l’analyse de ce voyage nous sommes pourvus d’une documentation
re!ativement abondante sur l’histoire medievale de l’Estonie. Mais un premier problerne (et le
seul que nous raiterons ici) surgit d’emblee il propos de cette meme „abondance documentaire“.
Le voyage a Rome de Kaupo est rapparte par trois sources (relativement) contemporaines et
independantes; CHL (VI1,3 ), I es „Huit livres de miracles“ de Cesaire de Heisterbach (1,3 1 ), et
I“‚Ancienne chronique rimee de Livonie“ (vers 304-498). Un problerne curieux ressoft de ces
trois textes: avec qui Kaupo est-il alle il Rome? D’apres Henri, avec Theoderic, d’apres Cesaire,
avec l’eveque Albert et d’apres Ia chronique rimee. avec l’eveque Meinhard! Les dimensions de
cette etude ne nous permettant pas de proceder il une analyse comparative detaillee de ces trois
sources (cela sera fait ailleurs), nous nous contenterons de proposer quelques breves
appreciations.128 Tout d’abord cette triple mention129 du voyage de Kaupo temoigne de
l’importance (avant tout ideologique) de l’evenement. Par ailleurs cette visite semble porter en
eile un grand capital symbolique, c’est pourquoi differents auteurs ont estime necessaire
(consciemment ou non) de l’attribuer il differents heros (nous oserions tenir pour authentique
l’information transmise par Henri). Troisiemement cette triple mention nous montre il quel
point il faut se montrer prudent dans l’approche des faits de l’histoire ancienne de l’Estonie.
3. La proposillon de conjession faite par Kaupo a so11 serviteur. Le heros de cette
action est egalement Kaupo. Ce qui nous interesse ici, c’est avant tout l’aspect theologique: Ia
confession il un Iaie et son contexte historique. Le christianisme primitif ignorait Ia confession
(dont Ia pratique remonte au moins au !Terne siede) entre un pretre et un croyant, tous !es
peches etant confesses publiquement pendant l’office Ce n’est que dans les siedes suivants du
Moyen Age que s’est installe l’usage de Ia confession „intime“, usage qui s’est maintenu jusqu’il
nos jours. 11 etait cependant possible d’elargir Je droit de confesser meme il un Iaie. Cette
pratique a commence i1 se repandre surtout a partir du Xleme siecle. 130 Le eiere anglais
Lanfi’anc, qui a vecu au siecle en question ( 1 005-1089), est l’un des premiers mentionner cette
possibilite au cas ou aucun ecclesiastique ne serait il prox.imite.131 Thietmar, eveque de
Mersebourg raconte pour sa part dans sa „Chronique“ ( I 0 1 5) quelques cas analogues a celui
de Cesaire et tient ce procede pour correct. 132 Au debut du siede suivant Pierre Lombard
( 1 1 00/10-11 60), dans son celebre „Livre des sentences“, ajoute une remarque au present
debat: il faut confesser au Iaie non seulement les peches Iegers, mais egalement tous les peches
128
Aucun historien n’a jusqu’ä present analyse ces trois textes ensemble. Mcme P. Raudld\’i, dans son reccnt
anicle „lii\’lased Kaupo Rooma rcisi tagamaadest“, op.cll .. semblc ignorcr le texte de cesairc.
129
II y a encorc une source qui menuonne lc voyage de Kaupo en 1376, cf. P Raudldvi, op.cll., lk. 392.
130
E Vacandard, „La confession du !er au Xlilerne sii:cle“. in Dtcllonnarre de thealogie catholique, T.IJl,
lere panie. Paris. 1939. coll. 877.
1 3 1
B. Lanfrancus. De ce/ande confeSStone. PL. T. CL, coll. 63􀛅-635: St nec m ordmtbus eccleswsttcis cut
con.fitert.< uwems, vtr mundus ubtcumque sit requtretur 1…1 Sme determmallone cujusdam ordinis homo
mundus lustrare mundum dtctlur.
132
Thtetmari chromcon. PL. T. CXXXIX. coll. 1369: Htc [dux Allemonorum – M. T.} cuia mortem sibi
imminere perspexit, :;·ocias vocat, et reo parcerent suppeltcatur; et quta hic tune presbiterum, quo sua
co1tjiteretur peccatn, non habuit, unum ex militibus hujus wce proptus accedere JUSStt.
75
graves. Ainsi done au XIIIeme siede Ia eonfession a un Iaie, faute d’eeelesiastique, est une
pra:ique largement repandue. Toutes !es reserves ne sont pas pour autant levees sur eette
question. Par exemple Alexandre de Haies eerit que dans ee cas il ne s’agit pas de saerement,
mais il est seulement question de vertu (Haec confessio non est sacramemum, !teil sit opus
virtutis). D’apres Duns Scotus ( environ 1266- 1 308) Ia eonfession a un Iaie ne possede aueune
valeur de saerement: Nihil pertinens ad sacramenlum paenitentiae polest a laico dispensari
!. . . confessa facta laico nihil valet virtute operis operati. Thomas d’Aquin propose une
solution de eompromis. estimant que Ia confession a un la’ic n’est eertes pas vraiment un
saerement, mais e’est un sacremental comportant un pouvoir en quelque mesure semblable a
eelui d’un saerement: Confessro laica jacte sacramenta/e quoddam est, non sacramentum
perjectum. 133 Ce detour theologique montre que Je eomportement de Kaupo, qui offre a son
serviteur Ia possibilite de se eonfesser, etait entierement justifie et eorrespondait aux pratiques
de l’epoque. Ce qui pour sa part temoigne des resultats de l’enseignement des missionnaires.
4. Les tourments du serviteur en enfer. Le dernier point qui nous interesse dans eette
analyse de l’action eonceme !es peches commis par Je serviteur et qu’il doit expier. ll nous
semble en effet que Je reeit de Cesaire correspond en tous points aux eonditions de l’epoque en
Livonie. et que son apport personnel a Ia description des peehes du serviteur est tres Iimite. Le
premier peche que le serviteur doit expier eonsiste en ee qu’il a pris a un pecheur ses poissons
et qu’il les a manges bouillis et pimentes. Cet aete retransmis par Cesaire semble bien refleter Ia
realite de Ia vie quotidienne. II est de notariete publique que jadis l’alirnent principal des
populations de cette region etait le poisson. Et qu’on le mangeait essentiellement bouilli et
abondamment salc! (Je piment peut etre considere comme un ajout de Cesaire). Cette tradition
s’est perpetuee jusqu’ä une epoque recente: en 1931, un vieillard confirme que ‚)adis on vivait
uniquement de soupe de poisson“. 134 A Moora ajoute: „Comme on disposait jadis rarement de
poisson et de viande frais, Ia nourriture salee etait tellement eoutumiere qu’on a eontinue a Ia
preferer meme plus tard / . . ./ (L’Estonien] ne mangeait jamais le poisson non sale, insipide.“m
Le Iien entre 1es materieux des ethnologues du XXeme siede et ceux reeueillis par Je moine de
Cologne est certainement hypothCtique et soumis a caution, mais il ajoute quand meme peutetre
un point d’appui a notre affirmation quant a Ia veridicite des histoires de Cesaire. Le
deuxieme peehe fatal au serviteur est le vol de miel ä un voisin (avec lequel ils tenaient des
ruches) et son utilisation pour faire de l’hydromel (medonem). Avant de nous tourner vers les
apports de l’ethnologie, rappelans qu’Henri le Letton lui aussi mentionne dans sa ehronique
l’hydromel: or. lors de l’expedition des Lituaniens contre les Estoniens (et du coup aussi eontre
!es Allemands),
I…! quidam ex ipsis I. ..I cum suis soda/ibus ad civitem divertit. Cui inter alios viros de
civitate cum pace odviam exeuntes u1tus ex civibus, nomine Marlimrs, ad bibendum
potum mellitum prebet. Quo exhausto exercitum preeuntem insequitur et socios suos
sie alloquitur: „Nonne Theuthonicorum nobis medonem prebencium trepidancium
manus vidistis? (CHL IX, /).
133 Cf. P. Bcrnard. „Confession (du concile de Latran au concile de Trente)“, in Dicrionnaire de rheo/ogie
catho/ique, op.cir . . co1L 899-900.
134 A. Moora, Eesti rolurahva vanem IOit. 11 osa: joogid, Ieib ja /eivakön•ane. (L’ancienne cu1. estomens. /Jeme pame: /es bolssons, le pain er /es accopmagnemems]. Tallinn, Valgus, I 991. lk. I 94.
135 lbid
76
Nous trouvons encore chez Henri un t<􀏦moignage de l’importance du miel chez les
autochtones: c’est Ia description d’une vive querelle entre des Lettons et des moines chevaliers
pour des ruches (CHL XYI,3). La solution du conflit, en faveur des autochtones, est decrite
par Henri quelques paragraphes plus bas (CHL XVI.6) Ainsi avons-nous confirmation de Ia
possibilite pour lc serviteur d’avoir des ruches. ll reste a tirer au clair Ia question de l’hydromel.
Nous estimons qu’il s’agit ici d’une boisson largement repandue dans Ia tradition estonienne (et
non seulement estonienne), ceile de Ia „boisson de mout“ [meskijook] alias une biere chaude
non fcrmentee. Il s’agit d’un produit intermediaire obtenu en cours de fabrication. „Dans le
recipient utilise pour fabriquer Ia biere, a Ia fin de Ia cuisson du malt et avant l’adjonction du
houblon, on prelevait un liquide sucre destine aux femmes et aux enfants“. 136 A. Moora precise
aussitöt: „La biere chaude non fermentee n’etait pas simplement destinee aux femmes et aux
enfants, il semble quc jadis eile ait ete bue par tout le monde. On se souvient a plusieurs
endroits d’avoir bu cette boisson a laqueile parfois on ajoutait du rniel“ . 137 Ce melange de biere
non fermentee et de miel a ete considere comme le plus ancien dessert des Estoniens. 138 Le
troisieme peche du serviteur. c’est d’avoir travaille le dimanche, le jour du Seigneur, d’avoir
Iransporte des foins. Cette action apparait eile aussi comme fort vraisemblable: avant Ia
christianisation, Ia population locale ignorait tout d’une interdiction de travail le dimanche, ce
qui ne manque pas d’expliquer les cas de transgression. En analysant les trois peches racontes
par Cesairc nous arrivons donc a Ia conclusion qu’il s’agit de cas eclairant Ia realite quotidienne
de Ia vie des Livoniens.
Que dire en synthese, sur le contenu de l’information historique Iransmise par le corpus?
Bien qu’eile n’apporte pas d’elements entierement nouveaux sur l’histoire ancienne de l’Estonie,
il faut reconnaitre qu’elle comporte un certain nombre de details qui eclairent des personnages
ou des evenements de l’histoire medievale estonienne sous un angle nouveau_
3. EN CONCLUSION
L’objectif de cette etude etait simple et net: analyser sous les angles les plus divers six textes de
deux auteurs differents, remontant ä Ia premiere moitie du XIIlerne siecle et relatant des
miracles survenus en Livonie et en Estonie a l’epoque de Ia christianisation. Ces six textes – a
notre connaissance les seuls qui traitent de miracles a ladite epoque et dans ladite region – ont
ete traites a priori comme un corpus homogene, dont l’analyse a compose Ia presente etude.
Nous avons divise notre analyse en deux grandes parties, celle de Ia forme et ceile du contenu.
Dans Ia premiere, nous avons exarnine l’unite structureile du corpus a l’aide d’une analyse
structurale des personnages et de l’action. A Ia fin de cette premiere partie nous avons compare
les structures narratives des deux auteurs. Nous sommes arrive aux resultats suivants: I ) Nous
avons confirme le fait que ces textes constituent bien un corpus a structure homogene
(hypothese que nous avions posee au debut de l’analyse sur Ia base d’une certain nombre de
signes exterieurs); 2) Les six textes du corpus reposent tous sur une structure narrative
identique. La deuxieme partie a ete divisee en deux sous-parties. Dans Ia prerniere nous avons
136
lbid , Jk. 71.
137 lbid, Jk. 72.
138 lbid, lk. 75.
7 7
tente, a l’aide de l’analyse intertextuelle, de trouver: I ) Le röle des emprunts de toumures dans
le corpus (notamment dans sa premiere partie); 2) La place des textes examines dans Ia
tradition textuelle des miracles autrement dit dans un espace intertextuel. Nous sommes arrives
aux resultats suivants: I ) Nous avons decouvert que le röle des emprunts directs ( conscients
ou non) dans le corpus (notamment dans sa premiere partie) est relativement important. 2)
Tout le corpus (a quelques exceptions pres, T.1.2., T.2.2.) est d’une grande intertextualite.
Dans Ia deuxieme sous-partie, nous nous sommes attaches a faire ressortir l’information
historique contenue dans le COrpus. Nous avons etudie pour ce faire separement les
personnages et quelques actions dans le temps et dans l’espace. Nous avons dü constater que le
corpus contient un certain nombre d’elements interessants pour l’etude de l’histoire d’Estonie
(et de Lettonie).
Plus generalement, l’auteur souhaiterait ajouter quelques remarques perspectives
concernant Ia recherche sur l’histoire ancienne de l’Estonie, dont ce travail est cense etre un
jalon: il faudrait I) Elargir !es sources (actuellement relativement limitees) sur Ia base lesquelles
s’est faite jusqu’a aujourd’hui l’etude du Moyen Age estonien egalement a des documents moins
officiels. 2) Prendre en compte, dans l’histoire d’Estonie et de Lettenie de l’epoque de Ia
christianisation non seulement !es luttes d’independance des peuples de Ia region, mais aussi
d’autres aspects; parmi ceux-ci, le plus important est l’image de Ia population locale par !es
conquerants. 3) Etudier l’histoire ancienne de l’Estonie comme celle d’une terre de missions,
avec tout ce que cela entraine (avant tout le röle des ordres monastiques, et donc des
cisterciens). 4) Elargir l’outillage d’analyse des historiens (souvent relativement etroit). Ces
points ne pretendent pas etre un resume des resultats de ce travail, mais ils entendent indiquer
les voies a suivre, avant tout par l’auteur de ces lignes.
78
QUOTIDIANUM ESTONICUM
MEDIUM AEVUM QUOTIDIANUM
HERAUSGEGEBEN VON GERHARD JARITZ
SONDERBAND V
QUOTIDIANUM ESTONICUM
ASPECTS OF DAIL Y LIFE IN MEDIEV AL
ESTONIA
EDITEDBY
JÜRI KIVIMÄE
AND
JUHANKREEM
KREMS 1996
GEDRUCKT MIT UNTERSTÜTZUNG DER
KULTURABTEILUNG DES AMTES
DER NIEDERÖSTERREICHISCHEN LANDESREGIERUNG
Cover lllustralion: Compilation from sketchcs in the margins of accoum books
of the Town Magistrate of Rcval (TLA. Ad. 26 and 32)
– ISBN 3 901 094 08 3
© 1996 by Medium Ae\1Jm Quotidianum. Gesellschaft zur Erforschung der materiellen Kuhur des Millclallers,
Körnennarkt 13, A – 3500 Krems. Austria – Printcd by Kopitu Ges.m.b.H.,
Wiedncr Hauptstraße 8-10. A-1050 Wien
Inhaltsverzeichnis!fable of Contents/Sommaire
Preface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . …. . . . . . . ….. . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . 7
Jüri Kivimäe, Medieval Estonia. An Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . … . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
Juhan Kreem, „ultima germonorum & christianomm prouintia“. Outlines ofthe Image
ofLivonia on Maps from the Thirteenth to the Middle of the Sixteenth Century … 14
Marek Tamm, Les miracles en Livonie et en Estonie a l’epoque de Ia christianisation
(fin XIIeme- debur Xllleme siecles) …………… ……… . . ………………………… 29
Erik Somelar. Va n des keisserlichen Liibischen Rechtes wegen. Circumstances of
Criminality in Medieval Reval. ……………………………………………………………………. 79
Tiina Kala, The Church Calendar and Yearly Cycle in the Life ofMedieval Reval. . . . . . . . . . 103
Mihkel Tammet, Some Aspects ofHerbal Medical Treatment on the Example
of Medieval Reval. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
Inna Pöltsam. Essen und Trinken in den livländischen Städten im Spätmittelalter . . . . . . . . . . . . 118
Katrio Kukke, Les lois somptuaires de Reval. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . 128
5
Preface
The idea to publish a special Estonian or Baltic issue of Medium Aevum Quotidianum has been
discussed already for a couple of years with Gerhard Jaritz and Christian Krötzl. lnitially the
idea was based on the first experience of studying medieval everyday life and mentalities in a
small seminar-group at Tanu University. This optimistic curiosity of discovering a new history
or actually a history forgotten long ago, has been carried on. The research topics of Katrin
Kukke, lnna Poltsam and Erik Somelar originate from this seminar. However, all contributions
of Quolidianum r:.womcum were written especially for this issue.
Besides that, this collection of articles needs some comments. First, it must be admitted
that the selection of aspects of everyday life published here is casual and represents only
marginally the modern Situation of historical research and history-writing in Estonia. The older
Baltic German and Estonian national scholarship has occasionally referred to the aspects of
everyday life. Yet the ideology of ‚histoire nouvelle‘ has won popularity among the younger
generation of Estonian historians only in recent years. These ideas are uniting a srnall informal
circle of historians and archivists around Tallinn City Archives, represented not only by the
above mentioned authors but also by the contributions of Tiina Kala, Juhan Kreem, Marek
Tamm and Mihkel Tarnmet Secondly, we must confess the disputable aspects of the title
Quolldianum Eswmcum Medieval Europe knew Livonia but not Estonia and Latvia which
territories it covered over 350 years There may be even reproaches tOwards the actual
contents that it is too much centralised on Tallinn/Reval, but it can be explained with the rich
late medieval collections available at Tallinn City Archives.
We wish above all to thank Eva Toulouse, Monique von Wistinghauscn, Hugo de
Chassiron, Tarmo Kotilaine and Urmas Oolup for the editorial assistance. Our greatest debt of
gratitude is to Gerhard Jaritz, without whose encouragement and suppon this issue could not
have been completed.
Jüri Kivimäe, Juhan Kreem, editors
7

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