Lucifica nigris tune nuntio regna figuris.1
Poetique textuelle de I ‚ obscuritas dans I es recuei l s
d’eni gmes latines du H aut moyen Age (V I Ie-V I I I e s.)
Christiane Veyrard-Cosme
II dit „feu,“ il dit „foudre,“ il dit „montagnes,“ il dit „cieux“; et Ia seule
chose voulue par toutes ces choses est d’annoncer le Seigneur Sauveur.
Cette figure est appelee enigme, c’est-a-di re une phrase obscure, ou on
dit une chose et veut qu’une autre soit comprise.2
La recherche ne s’interesse que depuis peu a un champ de Ia latinite
haut-medievale qui s’enracine dans des traditions antiques et offre aux
I itteratures vernaculaires des siecles suivants matiere a composition et
production, celui des recueils d’enigmes latines.3 Dans le cadre d’une enquHe
sur l ‚obscuritas au Moyen Age,4 notre etude, pour proposer une
„J’annonce le royaume de lumiere en de noires figures,“ in Aenigmata Laureshamensia,
ed. Franois Glorie, CCSL, CXXX I I I (Turnout: Brepols, 1968), 358.
„Dixit ‚ignem.‘ dixit ‚fulgura.‘ dixit ‚montes.‘ dixit ‚caelos‘; et per haec omnia unum
uotum est annuntiare Dominum Saluatorem. Quod schema dicitur aenigma. id est
obscura sententia, quando aliud dicit et aliud uult intellegi“ (Cassiodore, in Psalm.
96.6: texte cite par Manuela Bergamin, dans son article „I ‚Mirabilia‘ negli Aenigmata
Symposii,“ i n Mirabilia. Conceptions et representations de f’extraordinaire
dans le monde antique. Actes du colloque international, Lausanne. 20-22 mars
2003, ed. Phi lippe Mudry, Ülivier Bianchi et Ollvier Thevenaz [Bern: Peter Lang,
2004]. 1 40).
Cf. l’article Fondamentale de Wolfgang Schultz. „Rätsel,“ Rea/encyclopädie der
classischen Altertumswissenschaft I A 1 (Stuttgart: J. B. Metzlersehe Verlagsbuchhandlung.
1 g14), 62-125. Cf. aussi le panorama de Giovanni Polara, „Aenigmata.“
i n Lo Spazio /etterario del medioevo 1 . I/ medioevo latino, vol. I. Ia produzione del
testo, tome I I, ed. Guglielmo Cavallo, Claudio Leonardi, Enrico Menestö (Rome:
Salerno Editrice, 1 993), 197-216. Voir egalement, sur le site www.psychanalyse.
lu, l’article stimulant de X. Papais, „La voix nouee de l’enigme,“ 1-8. Voir sur I es
enigmes d’Aidhelm, notre article, sous presse, „Procedes et enjeux des enigmes
latines du Haut moyen Age. Les Aenigmata Aldhelmi (VI I•-V I I I• s.),“ Revue des
Etudes Latines (201 2): 250-63.
Qu’il nous soit permis de remercier ici bien vivement Mme Lucie Doletalova et
I’Universite Charles de Prague pour leur accueil si chaleureux et l’organisation
d’un colloque qui fut un veritable temps d echanges et de decouvertes.
PomouE TEXTUELLE CE L’OBSCURITAS 33
definition du terme, se fondera specifiquement sur les enigmes en vers
du monde haut medieval dans I’Occident latin des VI I“-V I I I• siecles, prenant
forme assertive-negative ou positive-et constituees en recueil
place sous le nom d’un auteur ou d’une collection.5 Apres avoir evoque,
dans un premier temps. le corpus etudie et signale quelques elements de
metapoetique presents dans l’enigme latine du haut moyen-age. nous
aborderons des points de poetique textuelle de l’enigme qui servent
l’obscuritas, avant de nous interroger, pour finir, sur le Iien entre obscuritas
et cheminement spirituel dans un univers chretien.
I. Enigme mediolatine et elements metapoetiques sur
I ‚ obscuritas
Les recueils d’aenigmata se presentent comme des collections de poemes
de longueur variable, le plus souvent, cependant, de pieces courtes,
portant une marque enonciative a Ia premiere personne. Un seul de ces
recueils, celui que l’on doit a Aldhelm (640-709), premier anglo-saxon a
avoir ecrit un grand nombre d’ceuvres en Iangue latine, avance explicitement
des remarques proprement metapoetiques, dans Ia preface et le
prologue qu’il compose pour ses enigmes. Les cinq autres collections de
notre corpus sont, e l les, depourvues de ces paratextes, sources pourtant
Fondamentales de reflexions generiques. C’est davantage au cceur meme
de l’ecriture de ces enigmes que l ‚on peut, parfois. deceler une amorce de
definition, comme nous le verrons 6
Les reeueils pris en compte iei sont au nombre de six: Aenigmata Tatuini, M.
Franois Glorie, CCSL, CXXX I I I (Turnhout: Brepols, 1 968), 1 67-208 ; Aenigmata
Eusebii, ed. Franois Glorie, ibid., 209-71; Aenigmata Bonifacii, ed. Franois Glorie,
ibid., 279-343; Aenigmata Laureshamensia, ibid., 345-58; Aenigmata Aldhelmi,
ed. Marie Oe Marco, ibid., 360-540; Aenigmata in Dei nomine Tul/ii seu Aenigmata
quaestionum artis rhetoricae (Aenigmata Bemensia), ed. Franois Glorie,
CCSL. CXXXIIIA (Turnhout: Brepols. 1968), 541-610.
Signaions lesjalons antiques ayant eherehe a produire une def1nition de l’enigme:
si Cieeron dans son Sur f’orateur II I. 167, ne propese qu’une definition en ereux
de l’enigme, Ia prenant eomme eontre-point du bon style de l’oratio, d’autres auteurs
comme Aristote (Poetique 22, 1458 A), ou Quintilien (Institution Oratoire
VIII, 6, 52) qui voit en l’enigme „eette allegorie qui est tres obscure“ („haee allegoria
quae est obscunor“), usant iei de Ia valeur intensive du eomparatif, proposent
des formules de earaeterisation operatoires. Ce sont en fait I es grammairiens
de Ia tardo-antiquite, qui, a l’image de Sacerdos ou Oiomede, elassent l’enigme
dans les Vitia orationis en Ia prenant eomme forme d’obseurite. Ainsi pour Oio34
CHRISTIANE VEYRARD·COSME
1.1 Six recueils medievaux pour un genre d’ecriture anciennement atteste
Le corpus que nous avons delimite comprend, en premier lieu, une collection
intitulee Aenigmata quaestionum artis rhetoricae, egalement designee
par les titres Aenigmata Bernensia, ou Aenigmata Tu/lii. Parmi les
neuf manuscrits, a llant du V I I I• au X I V• siecles, qui nous Ia transmettent,
le temoin le plus ancien est le manuscrit 661 de Bern (fol. 73-SOv), datant
de Ia premiere moitie du V I I I• siecle, qui, toutefois, propose seulement
vingt-huit de l’ensemble des soixante-deux e n igmes de cinq
hexametres ryth m iques que semble avoir totalisees Ia col lection ellememe.
Cette collection, rassemblee par un meine irlandais de Bobbio,
concerne des items consacres a des objets donnant d’eux-memes une
description a Ia premiere personne qui ne manque point d ‚evoquer egalement
leurs pere et mere. En temoigne l’exemple ci-dessous, dont Ia
solution est „Ia tablette de eire:“
Dissemblable ll el le-meme, ma mere me mit bas,
sans semence virile,je suis creee et prodUite.
Naissant de moi-meme,je suis arrachee par le fer au ventre,
ma mere, toute coupee qu’elle soit, est en vie, moi, I es flammes me brülent.
Tant queje suis brillante,je ne puis conceder de plainte,
maisj’apporte grand profit, sije modifie ma noire physionomie.7
mede (§ 449-50): „Les defauts de style sont de trois sortes: ce qui est obscure, ce
qui manque d’ornement, ce qui est barbare. Les formes d’obscurite sont au nombre
de huit: acyrologie, pleonasme, perissologie, macrologie, amphibologie, tautologie,
ellipse. enigme“ („Vitia orationis generalia sunt tria, obscurum inornatum
barbarum. Obscuritatis species sunt octo, acyrologia pleonasmos perissologia
macrologia amphibolia tautologia ell ipsis aenigma“). Puis il definit ainsi l’enigme
(§ 450): „L’enigme est une phrase sens dessus dessous en raison d’elements incroyables“
(„aenigma est per incredibilia confusa sententi a“). Sacerdos. lui, en VI,
427 et sq., explique: „Sur l ‚enigme: l’enigme, ou griphus. est une parole obscure,
un problerne simple, mais une allegorie difficile, avant qu’on ne Ia saisisse, puis,
une fois saisie, qui porte a sourire, comme par exemple ‚Ma mere m’a donne naissance,
puis, eile tire son origine de moi‘, a propos de Ia glace, qui est issue de l’eau
et, une fois dissoute, donne de l’eau; ou lecharbon ne de Ia flamme qui donne une
flamme“ („Oe aenigmate. Aenigma uel griphus est dictio obscura, quaestio uulgaris,
a llegoria difficilis, antequam fuerit intellecta, postea ridicula, ut est ‚mater me
genuit, eadem mox gignitur ex me‘, de glacie, quae de aqua procreata aquam soluta
pant; uel carbo de flamma natus [flammam] gignit“). Les references empruntees
aux grammairiens latins sont a Iire dans l’edition de Heinrich Keil,
Grammatici Latini (Hildesheim: Olms, 1 857-64).
„Dissimilem sibi me mater concipit i nfra I Et nullo uirili creta de semine fundor. I
Dum nascor sponte, gladio diuellor a uentre, I Caesa uiuit mater, ego nam flamPOETIQUE
TEXTUELLE OE L‘ OBSCURITAS 3 5
Si l’on se fonde sur les donnees stylistiques et le contenu de chaque
enigme, on releve nombre d’objets d’ecriture, et des paires constituees
comme suit: herbe et epices, vin et miel, astres et ciel, lumiere et ombre.
Signaions cependant l’ordonnancement fluctuant des enigmes selon les
ternoins manuscrits. L’ordre des items dans le manuscrit de Bern fournit
ainsi Ia sequence de themes suivante: Ia Iampe, le sei, I a table, le calice,
l ‚oeuf, Ia farine, le grain, Ia vigne, le bateau, l’olivier. Ia palme, le crible, l e
balais, Ia tablette d e e i re, le miel, l’abeille, le mouton, i’etincelle de feu, l e
parehern in, les lettres d e l’alphabet, I a graine d e moutarde, l e papyrus, le
m i roir, le poisson, i ‚eponge, Ia rose, le lys, le crocus. Ce manuscrit, selon
Bernhard Bischoff, fut ecrit dans I’Est de Ia France au V I I I• siecle. II a Ia
particularite de transmettre egalement un glossa ire.a Nous sommes donc
en m i l ieu monastique et dans un univers de grammairiens, ce q u i n’est
guere etonnant dans un contexte influence par le monde insulaire.9
On doit ensuite :J Aldhelm, ne aux a lentours de 640 et mort vers 709,
des aenigmata ecrites :J Ia fin du V I I• siecle. Lettre rompu :J l’etude de
l’hebreu, du grec et du latin, celui qui devait devenir abbe de Malmesbury
en 675, avant d’Nre le premier eveque de Sherborne (Salisbury) en
705, choisit d’inserer dans une lettre qu’il adresse au roi Ealdfrith sur les
mysteres du metre et de Ia scansion, une introduction au genre de
l’enigme proprement dit.
Puis c’est Bon iface (675-754), evangelisateur de Ia Germanie bien
connu, epistolier fameux, mais aussi passeur et i nventeur de systemes de
cryptographie, qui, en l’an 722, compose, pour sa correspondante et pamis
aduror. I Null um clara manens possum concedere quaestum; I plurem fero
lucrum, nigro si corpore mutor“ (Aenigmaca Tullii, XIX, 565).
Bernhard Bi schaff, Katalog der fesWmdischen Handschriften des neunten Jahrhunderts
(mit Ausnahme der wisigotischen). T ei I I: Aachen-Lambach (Wiesbaden: Harrassowitz
Verlag, 1 998), ici no. 609A, p. 1 3 1 .
Sur cette influence de Ia grammaire, voir llgalement Martin lrvine, The Making of
Texwal Culture. Grammatica and Literary Theory, 350-1100 (Cambridge: Cambridge
University Press, 1994), en particulier dans les pages 1-2 et 8, qui soulignent
J’importance de Ia grammaire dans Ia mise en place d’un modle
d’apprentissage, d’interpretation, de connaissance. Jouant un rOJe dans le cadrage
de J’approche litteraire, Ia grammaire dans le monde du haut moyen age, loin de
se cantonner a Ia description de phenomenes, s’avre aussi productive. Notans
que Martin lrvine classe en p. 1 1 I es enigmes dans Ia categorie „Carolingian poetry
Aenigmata collections (Boniface, Aldhelm, etc).“ Cf. egalement Marra Pilar
Cuartero Sancho, „Las colecciones de Luis de Escobar y Juan Gonzalez de Ia Torre
en Ia tradici6n clasica, medieval y humanistica de las colecciones de enigmas,“
Criticon 56 (1992): 53-79, en particulier pp. 59-64, sur le haut moyen age.
36 CHRISTIANE VEYRARD-COSME
rente Lioba, un corpus de vingt nigmes reunies sous le titre Oe uirtutibus
et uitiis1D; Ia particularite de ces quelque cent quatre-vingt-huit
hexametres est de fournir Ia solution en transparence, dans Ia mesure ou
le recours a i’acrostiche permet au poete d’exercer un contrOie strict sur
i’interpretation de chaque item, mesure d’autant plus pedagogique que
ces enigmes sont volontiers d’usage en m i l ieu monastique pour instruire
les pueri. C’est ainsi qu’on peut trauver i’exemple suivant q u i aboutit a I a
formule „Neglegentia ait“ qu’on peut Iire e n axe vertical :
Non, sur terre, i l n’est point de vierge plus falle que moi
En ngligence l“empartant sur tautes les aJtres.
Graces, a man Seigneur,je dedaigne de rendre dignement, paur
La maniere dont Ia limpide lumiere parcaurt Ia terre
Et dont les astres, au c iel, fant une belle parure, a Lui qui, du
Genre humain est Seigneur et Crateur,
Et de quelle matiere II a voulu faonner Ia forme des diffrentes cratures.
N’ignorant paint, dans ma vie, le mal, sans savoir le bien, enfreignant
Tant de Iais humaines, et I es commandements tres hauts du Christ,
Je I es mprise toujours et toujours refuse de rechercher ce que I‘
Arbitre de Ia terre enjoint aux etres mortels.
Ah, je ne dsire pas ce qui est ardu, sans craindre pour autant l“ablme des profondeurs.
Insensible sur terre a Ia peur de Ia mort, de vivreje n’ai eure
T andis que mes exces me valent le nom de „vierge folle.“11
Le corpus campte egalement, en quatrieme et cinquieme places, les
enigmes d’Eusebe et de Tatwine, qui ont vecu peu de temps apres Saniface.
Deux manuscrits seulement transmettent ces recueils, et les transmettent
dans un ordre qu’a curieusement interverti l’editeur Glorie,
puisque i’edition commence par donner le texte de Tatwine, avant de
1o Aenigmata Bonifacii, 3 1 2.
11 Notre traductian a voulu respecter l’acrastiche, mais l’acrostiche latin, au prix
d’une lgere distorsion graphique et syntaxique, de ce pa!!me qu’on trouve dans
l’edition de Franois Glorie deja cite. en p. 3 1 1 (nous prparons actuellement, en
vue de publication, Ia traduction des recueils d’nigmes edites par ce chercheur):
„Non est in terris me uirgo stultior ulla, I Existens cunctis neglectu
audacior una. I Grates dedignor domina persoluere dignas, I Limpida quoque
modo perlustrent Iumina terras, I Et caeli speciem depingent sidera pulchram, I
Gentis humanae aut dominus quis conditor esset. I Ex qua re uarias uoluisset
fingere formas ; I Non ignara mali, recti sed nescia uiuens, I Tot hominum Ieges
et iussa altissima Christi, I lnfringens serrper spemendo querere nolo, I Aut quid
praeciperet mortalibus arbiter orbis. I Ardua non cupio, uereor non ima
profundi. I in terra martern timeo, non uiuere euro, I Talibus exuberans dicor
’stultissima uirgo‘.“
POTIQUE TEXTUELLE OE L‘ OBSCURITAS 37
proposer celui du moine Eusbe-Hwaetberth, alors que les ternoins manuscrits
offrent tout deux ! ‚ordre inverse.12 Taujours est-il que les manuscrits
proposent les soixante enigmes d’Eusbe, suivies des quarante
composees par l’archeveque de Cantorbery Tatwine, soit un total de cent
items, qui est le nombre des pices compesees par Symphosius, pote
tardo-antique modle de ces meines insulai res du Haut Meyen Age q u i
veient en lui le pre fondateur d e l’ecriture enigmatique, cemme le souligne
Aldhelm.13
Eusbe offre, en euverture de ses soixante enigmes en vers, un Oe
Deo, fermant son recueil sur un Oe bubone et une note sepulcrale que
neus commenterons plus avant; il eveque le mende animal, l’astronemie,
Ia I i turgie et l’univers de l ‚etude dans une appreche metapeetique, en
presentant netamment le materiel d’ecriture, les a lphabets grec et latin.
Quant a celui qui lui succede dans les manuscrits, Tatwine (mort en 734),
il est passe a Ia posterite peur avoir redige une Grammaire, et pour aveir
cempose quarante enigmes en hexamtres qui s’ouvrent sur un Oe phi/osophia
et s’achvent sur un Oe radils so/is. Etayant son recuei I sur
l’apport de Symphosius, il montre une attention teute particulire aux
instruments d’ecriture, effrant ainsi une mise en abyme du travai l de
l’ecrivain: parchemi n, plume, encre sent conveques. Jeignant Ia theorie a
Ia pratique, le peete achve son recueil sur une proposition ludique faite
au lecterat auquel i l propese de proceder a une secende lecture, en prenant
soin toutefois de relever Ia premire lettre du premier vers des
quarante enigmes, peur treuver l’hexamtre qu’el les forment une feis
mises bout a bout, et, ensuite, de noter, de meme, les dernires lettres
des memes vers pour decouvrir un secend hexamtre. et de peuvoir enfin
Iire l’enence suivant: “ E n tordant de manire differente et variee les
brins des quatre fois d i x enigmes que veici I Celui qui les a echafaudees
12 II s’agit de deux manuscrits du debut du XI• siecle, Cambridge, University Library.
Gg. V. 35 (fol. 370-374v) et Lenden, British Library, Regius 1 2. C. XXIII (fol . 1 1 3v-
1 21 v) pour le texte d’Eusebe et Cambridge. University Library. Gg. V. 35 (fol.
374v-377v) et Lenden, British Library, Regius 1 2 . C. XXI I I (fol. 1 21v-127) pour le
texte de Tatwine.
13 Aenigmata Tawini, 167-208; Aenigmata Eusebii, 209-71 . Sur Symphosius, voir
Aenigmata Symphosii, ed. Franois Glorie, CCSL, CXXXIIIA {Turnhout: Brepols,
1968), 6 1 1 -741, et Manuela Bergamin, Aenigmata Symposii: Ia fondazione
dell’enigmistica come genere poetico {Firenze: SISMEL edizioni del Galluzzo,
2005).
38 CHRISTIANE VEYRARD-COSME
les a tissees et tressees au fil de ses vers.“14 La solution demande donc,
pour t!tre trouvee, de reve n i r sur le parcours de Ia lecture, de laborieusement
et soigneusement relever les indices. Le cheminement aboutit a
un resultat, tout comme l’agencement interne des items enigmatiques
releve d’une progression voulue comme quete du sens et de Ia vraie sagesse,
celle qu’octroie le Soleil de Ia derniere enigme, qui renvoie, en
clausule de ce corpus, au Oieu de Ia premiere enigme transmise par ces
deux manuscrits.
Le sixieme et dernier recuei I avance douze eni gmes, qu’on designe
comme etant les Aenigmata Laureshamensia. Un seul manuscrit, datant
du IX• siecle, actuellement a Ia B i b l i otheque Apostolique Vaticane, provenant
de Saint-Nazaire de Lorsch, transmet cet ensemble de dimensions
modestes.15 Dans ces items qui commencent par un Oe homine suivi d’un
Oe anima, le lecteur decouvre plantes et animaux, objets d’usage courant
et materiel d’etude, puisque Ia I i ste des items decline outre les deux
premiers, eau, glace, coupe de vin, neige, chätaigne, embryon, plume, lum
i n a i re, taureau et encre. Le dernier item lance fierement le vers dont
nous avons fait le titre du present article, vers auquel le mot figura,
terme propre a Ia geometrie, Ia rhetorique et l’art Figure, donne son
epaisseur, et une cle d’interpretation sans doute pour l ‚ i ntegralite du recueil:
„J’annonce le roya ume de lumiere en de noires figures.“
Oeuvres monastiques, ayant eu une diffusion relativement modeste,
ces aenigmata organisees en collection ont donc pour point commun de
naftre en zones insulaires, ou fortement marquees par l’apport insulaire,
et sont destinees a un public restreint de lettres, moines (ou moniales,
pour le texte de Boniface) adorateurs du Verbe, mais habiles, eux aussi, a
interpreter les textes et les mysteres du verbe humain.
1.2 L’approche aldhelmi enne de l ‚aenigma
Nous avons tout recemment eu l’occasion d’examiner l’ecriture enigmatique
aldhelmienne, si bien que nous nous contenterons de signaler les
principaux aper<;us de l ‚approche de cette ecriture dans cette sous-partie,
en renvoyant notre lecteur a notre article.16
14 „Sub deno quater haec diuerse enigmata torquens I Stamine metrorum exstructor
conserta retexit“ (Aenigmata Tatuini, 1 67). 15 II s’agit du manuscrit Biblioteca Apostolica Vaticana, Palatinus Latinus 1 753 (fol.
1 1 5 r/v-1 1 7r/v). Voir Aenigmata Laureshamensia, 345-58. 16 Cf. article cite en n. 3.
POETIQUE TEXTUELLE OE L’OBSCURITAS 39
Le prologue qu’i I redige „Super Enigmata“ commence par l e nom du
poete Simfosius (Symphosius) pour le domaine latin, en tant que praticien
de l’enigme, avant de mentionner, pour le domaine grec, celui
d’Aristote. pris comme theoricien. Reservant ses plus longs developpements
au poete latin, Aldhelm aceerde de fait a Symphosius non seulement
une place preeminente mais egalement une fonction d’auctor, de
garant de sa propre ecriture enigmatique. L’enigme est occulta propositio
si l’on en croit sa presentation et semble etroitement l i ee a Ia technicite
d’une Iangue poetique:
A ce qu’on fit. le poete Symphosius, versificateur dot d’une grande habi lete
dans l’art metrique, composa d’obscures enonces enigmatiques saus un
enonce tres mince en des lignes ludiqueset donna chacune des formules proposees
en trois vers. Et Aristote lui aussi, le plus penetrant des philosophes,
fournit des enigmes en prose. en rien moins complexes, fort de son elo·
quencen
Ainsi, pour lui, l’enonce de l’enigme se distingue des autres par un contenu
renferme et cache, secret et enclos: „une enigme est une sorte de
proposition secrete et cachee.“18
A l ‚ i mage de l ‚acception des termes qui designent l’enigme, empruntes
au regne vegetal, comme griphus ou scirpus, l’univers metaphorique
d’Aidhelm est fait de vegetation enchevetree, de ramifications qui proliferent,
en des bois qui se signalent par leur obscurite et leur epaisseur
opaque:
Dans Ia foret si dense de Ia latinite taut entiere dans les fourres boises des syllabes
ou f’antique tradition des anciens declare qu’ont prolifere les ramifications
multiples des regles (metriques) t=arties de chacune des racines des
mots, cette täche ne se laisse pas facilement apprehender des ignorants, taut
particulierement de ceux qui n’ont aucun savoirde Ia metrique.19
Poete, dont Bede le Venerable admirait profondement le style eclatant en
17 „Simfosius poeta, uersificus metricae artis peritia praeditus, occultas enigmaturn
propositiones exili materia sumpta ludibundis apicibus legitur cecinisse et singulas
quasque propositionum formulas tribus uersiculis terminasse; sed et Aristoteles
philosophorum acerrimus, perplexa nihilominus enigmata prosae locutionis
facundia fretus argumentatur“ (Aenigmata Ald/Je/mi, 371 ).
18 „enigma clanculum et latens propositio componitur“ (Aenigmata Aldhelmi, 372).
19 „in tam densa totius latinitatis silua et remorosis sillabarum saltibus, ub1 de
singulis uerborum radicibus multiplices regularum ramusculos pullulasse anti·
qua ueterum traditio declarat, rudibus non facile negotium deprehenditur et
praesertim metricae artis disciplina carentibus“ (Aenigmata Aldhelmi, 373).
40 CHRISTIANE VEYRARO·COSME
le definissant comme u n ecrivain „brillant par son style,“20 Aldhelm choisit
de recourir aux vocables les plus rares et, souvent, les p l us abscons
pour avertir son lecteur, le royal disciple auquel il s’adresse, mais par
delll, tout lecteur potentiel, du but auquel doit tendre tout homme q u i
entend resoudre u n e enigme e t q u i consiste 1l ramener !’ordre a u sein du
chaos verbal :
afin qu’une fois clairement distingues ces elements, il n’y ait plus d e chaos du a
l’explosion et a I a collision (de termes) ni de sombre abime du au fracas de Ia
synal!!phe pour masquer Ia lumi!!re a qui m!!ne Ia scansion ou pour obscurcir
Ia vi sion du lecteur.21
Les termes employes soulignent l’etroite interrelation entre obstacle,
obscurite et abime, chaos et tenebres, Ia claire vision etant reservee 11
celui qui saura „perspicere,“ c’est-11-dire parvenir a percer et mettre a
jour ce qui s’interpose entre le texte et lui. La valeur intensive du preverbe
per· permet ici de traduire l’effort a consentir pour mener a son
terme Ia qute du sens.
Toutefois, des cet extrait en prose, se pose Ia question du rOie des sonorites,
a l l iterations, assonances, et des figures de style ou de sens, dans
Ia d ifficulte du cheminement du sens. Or, dans l’ecriture enigmatique du
haut moyen age, Ia poesie est Ia forme par essence d u vecteur d u message
obscure qui se Iivre dans un chaos deliberement recherche.
I I . Poesie et sens
La forme poetique choisie par l’auteur du recueil d’enigmes ne semble
point anodine: alors que Ia prose latine, mme d’art, repose sur un principe
par essence cognitif, puisque son Iangage a Ia particularite d’tre
referentiel et d’engager Ia del ivrance d’une i nformation, Ia poesie, eile,
ne semble guere avoir pour objet premier Ia transitivite d u message: i n former
de maniere immediate n’est pas I a preoccupation premiere du
poete.22 Des lors, comment poser Ia question d u sens de l’enigme sans
s’interroger au prealable sur I es caracteristiques du medium uti lise?
20 „sermone nitidus“ (Bede, Historia ecclesiastica gentis Anglorum, ed. 8. Colgrave.
R.A.B. Mynors [Oxford: Clarendon Press, 1969]. V, 18).
21 „quatenus his perspectis nullum deinceps explosae collisionis chaos et latebrosum
confractae sinaliphae baratrum lucem scandentis confundat aciemque
legentis obtundat“ (Aenigmata Aldhelmi, 376).
22 Cf. sur ces points Catherine F romilhague et Anne Sancier-Chateau, Analyses stylis·
tiques. Formeset genres (Paris: Nathan, 2000), 6.
POtTIQUE TEXTUELLE OE L‘ OBSCURITAS 4 1
1 1 . 1 Le Iangage poetique de l’enigme: Ia brievete enclose
Soumis a des codes et a des lois, l’unite poetique qu’est i’enigme-le
poeme qu’e l l e constitue-met en avant les voies qu’elle emprunte et redessine
volontiers. Ciselant le profil sonore, phonetique, des mots qui
sont Ia matiere premiere que travaille le verbe du poete, le poeme enigmatique
recourt au jeu d’associations sonores pour mettre en correspondance
tabulaire, verticale. des signifiants dont le caractere est souligne
par differents procedes que nous etudierons infra. Objet donne a
voir, I i re, entendre, recopier, l’enigme obeit a une disposition graphique
precise, et se donne comme une unite autonome, delimitee graphiquement,
close. Semiotiquement complexe. le poeme enigmatique se signale
dans sa fonction poetique qui est faite de regles et de codes, ceux de Ia
metrique. Le corps global du poeme est donc i mmediatement perceptible
dans son cadre, comme symetrie achevee. Mais le contenu, lui, repose sur
Ia recherche de I‘ obscuriloquium, selon Ia formule isidorienne. Cette caracteristique
repose sur deux strategies, i’une qui est une esthetique de
Ia breuitas, ou brievete, l’autre qui est Ia mise en oeuvre de d ifferents
procedes qui viennent faire obstacle, en conformite avec le sens du prefixe
ob- du mot obscuritas, ou assombrissement, en Iien avec l’acception
commune du terme latin.
La forme poetique est l ‚ instrument reve pour induire Ia breuitas,
terme qu’on entendra ici au sens de rapport interne a Ia parole, le minimum
etant lie par essence au maximum, et Ia concision, definie ici
comme residant dans le rapport entre element donne et sens a degager.23
La brievete est alors moins ce qui est court, par oppos ition a ce q u i est
long, que ce qui vise a creer Ia densite du propos. Dans une teile configuration,
i’espace du poeme est contraignant, au plan graphique, tout autant
que les regles qui president a sa composition sont un carcan, repondant.
au plan interne, a un enonce qui est lui-meme cantraint a I a
concision, selon plusieurs voies, comme, par exemple, l’al lusion, Ia l itote,
l’ell ipse et Ia metaphore. Cette brievete obtenue par differents stratagemes
d’ecriture est strategie de devoilement initiatique: i’enigme met en
avant dans le vocabulaire, notamment en se Fondant sur l’adjectif mirus,
23 Cf. Catherine Croizy-Naquet. Laurence Harf-Lancner, et Micheile Szkilnik, eds.,
Faire court. L’estMtique de Ia brievet dans Ia lirtrature du Moyen Age (Paris:
Presses de Ia Sorbonne Nouvelle, 2011 ). et Ia formule qu’on trouve dans leur
Preface, p. 1 4 : „Ia brievete est un art de l’allusion et l’auditeur doit saisir spontanement
tout ce que contient Ia forme condensee.“
42 CHR ISTIANE VEYRARD·COSME
mira, mirum et ses derives, l’etonnement que fait naitre tout ce qui est en
dehors de Ia sphere ordinaire, comme le thauma dans Ia philosophie des
Anciens precectait necessairement le cheminement sur Ia voie de Ia
sagesse. Chaque enigme souligne l’extra-ordinaire, comme en temoigne
l’exemple suivant, le crocus:
Dans ma petitesse,je me cache et me dissirnute dans I es ombres de l’ete
Et, tout enseveli queje sois, mes membres, sous Ia terre, sont en vie.
Les froids frimas de t’automne,je m’y plie volontiers
Et a t’approche de Ia brume,je donne alors des fleurs merveilleuses
Belle est ma demeure, mais plus beau encore, moi, sous terre,
Malgre Ia petite taille qu’offre mon apparence,je triomphe des aromates.2•
On le voit egalement a travers cet autre exemple, q u i evoque le ciel:
Dejour enjour,je montre mon visage connu, aureote,
Et souventje rends beau celui qui, toujours, semblait laid.
lnnombrables sont tes biens qu’a tousj’apporte, et admirables,
Sans etre, sous le poids considerable de ces biens, aucunement eh arge.
J’ai beau n’avoir pas de dos, tous admirent ma face,
Les bons et I es mechants, sous mon ombre,je prends.2s
1 1 .2 Strategies rhetoriques de I‘ obscuritas enigmatique
L’enonciation a Ia premiere personne ancre l ‚enonce enigmatique dans
une tradition etrusco-romaine, celle de l ‚objet parlant: comme le vase qui
proclame ‚j’appartiens a un tel“ dans l’inscription gravee sur ses Flanes,
comme Ia coupe pleine qu’il faut vider j usqu’a Ia l i e pour decouvrir en
son fand le message incise dans le metal a Ia premiere personne,26 le
poeme est objet qui m i roite sous les yeux du lecteur ou a l’ore i l l e de
l’auditeur. Mais l’enonciation a Ia premiere personne est une fiction monologique:
27 sous le je, ce n’est pas le je lyrique qu’il faut entendre, ce
24 „Paruulus aestiuas latens abscondor in umbras I Et sepulto mihi membra sub tellore
uiuunt. I Frigidas autumni libens adsuesco pruinas I Et bruma propinqua
miros sie profero flores. I Pulchra m i h i dor1us manet sed pulchrior i nfra I Modi·
cus in forma clausus aromata uinco“ (Aenigmata Tu/li, XXXVI, 582).
2s „Promiscue per diem uultu dum reddor amictus, I Putchrum saepe reddo, turpis
qui semper habetur. I I nnumeras ego res cuncti s fero mirandas, I Pondere sub
magno rerum nec grauer onustus. I Nullus mihi dorsum, faciem sed cuncti miran·
tur. I Et me cum bonis malos recipio tecto“ (Aenigmata Tu/li, LX, 607).
26 Sur t’objet parlant dans l’antiquite romaine, cf. Ernmanuelle Valette-Cagnac, La
lecture a Rome(Paris: Belin, 1997).
27 Sur Ia perspective enonciative de Ia poesie lyrique, cf. Fromilhague et SancierChateau,
Analyses stylistiques, 6-7.
POETIQUE TEXTUELLE DE L‘ OBSCURITAS 43
n’est pas le sujet unique d’une experience, c’est unje qui se laisse investir
par d’autres voix que celle de l’objet qu’il semble representer.
Le lecteur de l’enigme, appele, a son tour. a di reje en pronon<;:ant le
poeme, est un porte-voix qui a ceci de particulier qu’il donne d e
l’ampleur au message tout e n demultipliant Ia source d e l’enonciation: ce
je s’incarne dans le corps du lecteur et de l’auditeur qui re<;:oit le poeme,
permettant au „verbe“ du poete de „prendre chair,“ l’espace de Ia lecture.
La reception est, alors, en partie diffractee, brouillee, et le sens du message
est, davantage encore, mis a d istance.
A cette confusion extra-textuelle, correspond une confusion intratextuelle,
verbale, q u i repose sur un ensemble de stratagemes destines a
entreten i r l’obscurite du propos. Les stratagemes relevent majoritairement
des tropes, qui „tournent“ le vers en le tordant et le complexifiant.
II serait vain de pretendre proposer un panorama de ces procedes. Nous
nous contenterons ici d’en mettre en avant quelques uns qui sont representatifs
des moyens uti l i ses par I es auteurs de ces recuei ls.
Chiasme, epanadiplose sont des strategies de ciOture stylistique de
l’enonce, lui-meme enclos dans le cadre metrique. Polyptote et variations
permettent d’enrichir les procedes d’iteration qu’on observe dans
l’anaphore et ses variantes. La repetition de Ia negation permet de souligner
l ‚ i l logisme apparent de l ‚enonce, tandis que l e recours a des vocables
opposes, a des series d’antonymes, instaurent au creux du texte une
impossibil ite et donnent a u poeme une caracteristique paradoxale, celle
de reposer sur l’indicible, l’ineffable, tout en se faisant enonce incapable
de dire.
Examinons l’enigme du poivre. Eile repose sur l’enantiose et dessine
une boucle chiasmatique:
Je n’ai nulle puissance, si, intact.je demeure ajamais:
Je suis fort sije suis bris. cassj’ai grand pouvoir
Je mords qui me mord de ma morsure. sans pourtant le blesser de ma dent.2B
Quant a l’enigme de Ia glace, eile utilise a l l iterations, assonances pour
souligner l’illogique du propos:
Forme d’un corps plein qui me vient d’un pere taut petit,
Je ne suis point porte par ma mere, c’est el e qui est porte.
Moi, naltre.je ne puis, sije ne suis d’abord engendree par mon pere
Et venue au monde. de nouveau. moi.je con;;ois ma mere.
L’hiver je sers, dans Ia dpendance, les parents quej’ai conus
28 „Nulla mihi uirtus sospes si mansero semper I Vigeo nam caesus. confractus ualeo
multum I Mordeo mordentem morsu. nec uulnero dente“ (Aenigmata Tu/li,
XXXVII. 583).
44 CHRISTIANE VEYRARD-COSME
Et l’ete de nouveau,je I es I ivre, a ses feux, pour en etre recuits.29
Parfois, certaines e nigmes se font restriction verbale, devenant obscures
par condensation de l ‚enonce. Ainsi trouve-t-on dans les E nigmes de
Lorsch cet exemple, q u i joue sur les syllabes du mot chätaigne
„casta/nea:“
Un produit des forets s’ecrit en huit lettres.
Si l’on Ote en meme temps I es trois dernieres,
On a bien du mal a en treuver une seule, au beau mil ieu de mille.JO
1 1 1 . E njeux de l ‚obscuritas enigmatique
L’enonce du poeme enigmatique a fonction d’ind ice. I I est comme l’i ndex,
qui permet de designer du doigt une direction, un a i l leurs du sens. I I dit,
non le signifie, mais l e sens, Ia voie ä emprunter. I I est invitation au voyage,
cheminement et i nitiation par degres. Et Ia voie qu’il designe est
celle de Ia Vie, qu’il annonce en multipl iant les references ä Ia mort et ä
l’obscurite du monde chtonien. Si l’obscuritas de l’enigme est retard apporte
ä Ia progression, eile est ega lement passage necessaire, par l ‚effort
qu’elle demande au lecteur qui eherehe ä l’i nterpreter, pour i n staurer ä
nouveau une forme de lumiere et de revelation.
111.1 Vertu ordonnatrice de I‘ obscuritas
Le reagencement du monde passe par Ia sortie du chaos, grace au verbe
poetique, qui, ä l’image du verbe divin appelant ä Ia lumiere le monde,
propose un ordre correspondant aux valeurs du groupe auquel appartient
le poete, I’Egl ise qui voit le monde avec un regard qui lui est propre
et q u i est propose aux contemporains. Ce regard propose de voir en
l’un ivers cree par l’entite divine un tout qui fait sens, et, par l’admiration
qu’il suscite, dit Ia grandeur du Createur et Ia necessite pour les hommes
de le louer dans sa creation, pour les moines Ia necessite de prendre en
charge l’initiation des lecteurs ä ce monde de mirabilia qui, une fois de-
29 „Corpore formata pleno de paruulo patre I Nec a matre feror, nisi feratur et ipsa.
I Nasci uetor ego, si non genuero patrem I Et cretam rursus ego concipio matrem.
I Hieme conceptos pendens meos seruo parentes I Et aestiuo rursus ignibus
trado coquendos“ (Aenigma Tu/li, XXXVII I , 584).
30 „Scribitur octono siluarum grammate lignum I Vltima terna simul tuleris si grammata
demens, I Milibus in multis u i x postea cernitur una“ (Aenigmata Laureshamensia,
VII, 353).
POITIQUE TEXTUELLE OE L‘ OBSCURITAS 4 5
couvert, doit susciter Ia louange d u verbe humain devant Ia puissance d u
Logos createur.
Or le statut rhetorique de l’enigme, ce qu’on appelle egalement son
regime, est d’offrir non point un poeme isole mais un recueil ou une collection
d’items. L’enigme n’est point i nseree dans un texte englobant, eile
est texte mis en serie. Le discours d u recueil enigmatique se dit donc en
pointilles; i l adopte une forme d iscontinue.31 La brievete et l ‚obscurite
sont ici celles des fragments qui j alonnent le manuscrit et dont il convient
de se demander s’ils se pretent ou non a Ia mise en ceuvre d’un
agencement particulier, qui coifferait en quelque sorte l’ensemble des
items de chaque recueil.
De fait, comme on l’a deja signale dans Ia presentation du corpus,
plusieurs de ces recueils semblent placer en ouverture et en fin de collection
des enigmes sign ificatives, Oe Deo, Oe animo, Oe caelo . . . . Est-ce a
dire que les poetes attendent de leurs lecteurs une interrogation ultime,
sur le sens de l’agencement des fragments, et laissent des indices susceptibles
de conduire ces memes lecteurs sur Ia piste d’un sens ultime? Si tel
est le cas, comment alors ne pas remarquer que les cent enigmes
d’Aidhelm proposent en enigme 50 un poeme dont Ia solution est le Millefeuilles.
plante aux ramifications naturelles en eventai l , qui masque
sans doute une metonymie manifestant Ia complexite du manuscrit comportant
le recueil enigmatique?
Dans Ia Iangue des Grecs tout comme dans Ia Iangue latine
Je suis appel le millefeu 1 l l e n de !’herbe f·aiche.
C’est pour cette raison quej’aurai dix fois cent noms,
Fleurissante autrefois dans des petites tiges de teile faon que nulle herbe ne
germe
Par d’innombrables sillans au sentier de terre.n
Cet enonce renferme une cle de lecture donnee grace a Ia tmese “ m i l le . . .
folium“ du deuxieme vers; mais i l insiste bien davantage encore sur Ia
pluralite des noms qu’il contient, c’est a dire sans doute sur les innombrables
objets auxquels font a l l usion les nombreuses enigmes qui composent
le recueil „millefeuille.“ Des lors, Ia question posee est celle d u
3l Sur ces points. cf. Bernard Roukhomovsky, Lire /es formes breves (Paris: Nathan
Universite, 2001 ) .
32 „Prorsus Achiuorum lingua pariterque Latina I M i l l e uocor uiridi fo i J U m de
cespite natum. I ldcirco d e c i e s c e n t e n u m nomen habebo, I Cauliculis florens
quondam sie nulla frutescit I Herba per innumeros telluris Iimite sulcos“ (Aenigmata
Aldhelmi, L, 437). Nous renvoyons, pour l’analyse dtaille de ce texte metapoetique.
a notre article de Ia Revue des Erudes La eines.
46 CHRISTIANE VEYRARD·COSME
röle la isse au lecteur: ce dernier a pour ainsi dire Ia mission de term iner
le processus d’interpretation, en lisant et surtout relisant-on l’a vu avec
le jeu propose par Tatwine au terme de son recuei l-des enigmes qu’il
s’agit de soumettre a d’autres investigations. En designant son lecteur
comme etant un uates, Tatwine lui confie une ttlche imposante et lourde
de significations:33 si l’on se fonde sur les sens, attestes des I’Antiquite
pour ce terme, de „prophete“ ou de „devin,“ voire de „poete i nspire,“34 le
lecteur-uates devient, par consequent, non seulement relais
hermeneutique, mais se doit aussi de porter a un degre superieur
l ‚ interpretation premiere. L’obscuritas est donc defi lance a Ia capacite
hermeneutique d’un public par ail leurs rompu aux differents sens de
I’Ecriture sainte et a l’exegese a l legorisante.
1 1 1.2 Obscuritas et ecriture ultime
A) Oe l’enigme au tombeau, du tombeau a Ia vie
Si Ia forme poetique a deja en soi bien des points en commun avec Ia
forme epigrammatique, l’i nscription, le genre de l’epitaphe, aspects que
nous avons eu l’occasion d ‚etudier a i l leurs, I a forme poetique de l’enigme
semble I iee a une initiation a une forme d’Au-dela, comme si l’au·dela du
sens premier (l ‚enigme, etant une forme de metaphore, se fait passage
vers l’ail leurs) avait pour mission d’annoncer I’Au-Dela auxquels les
moines qui composent ces enigmes esperent acceder.
Nombre d’enigmes deploient des champs semantiques mettant en
avant Ia thematique de Ia cachette et de l’element cache, l’univers sous
terre, l’ombre et le froid, l’ensevelissement et Ia sepulture.
Or, dans le bestiaire des enimes surgit le paon, symbole christique
fameux, qui, pourtant, nous est presente par Aldhelm sans Ia moindre
allusion au christianisme, alors meme que l’intertextualite permet
d’identifier, sur Ia base de reperages deja effectues par l’editeur, Pau l i n
33 „(Le poete) salue maintenant a bon droit en ses vers tresses l e lecteur prophete I
L’invitant ajoindre I es premieres lettres au tout debut des premiers vers I Et de
Ia meme faon les dernieres, celles qui sont rubriquees. I Qu’arrive au terme, il
fasse demi·tour et parcoure de nouveau son cheminjusqu’au bout !“ {„Versibus
intextis uatem nunc iure salutat I litterulas summa capitum hortans lungere
primas I Versibus extremas hisdem, ex minio coloratas ; I Conuersus gradiens
rursum perscandat ab imo!“ Aenigmata Tatuini, Conclusio poetae de supra dictis
aenigmatibus, 208).
3• Cf. sur ce point, Danielle Molinari, „Problematique du ‚uates‘ chez Horace,“ Noesis
4 (2000): 1 97-98.
POTIQUE TEXTUELLE )E L‘ OBSCURITAS 47
de Nole, Augustin (qui, dans son Oe Ciuitate Dei, XXII, 4 en fait le symbole
de l’immortalite) ou lsidore.
Je suis remarquable d’apparence, admirable sur toute Ia terre,
Fait d’os, de nerfs, de rouge sang.
Tant que Ia vie est ma compagne, il n’est point de forme en or
Qui ait plus d’clat rougeoyant que moi et au moment de ma mort, ma chair ne
pourritjamais.3S
La salamandre, chez Aldhelm, succede a l’enigme du paon. Et, taut en paral
l elisme antithetiques, l’enonce du poeme met en exergue le phenomene
q u i semble presenter comme un adynaton, une impossibilite
majeure, ou u n phenomene allant au rebours des Iais naturel les, etre
dans Ia flamme sans brüler:
Au beau milieu du feu, en vie,je ne sens pas I es flammes
Je cause le malheur du bücher et m’en ris
Et malgr le foyer crpitant, l’tincelle scintillante,
Brüler,je ne puis: I es flammes, a l’ardeur dvorante, se font tiedeur.36
Quant a l’enigme des folios de parchemin, qu’offre le recueil d’Eusebe,
eile montre comment Ia lettre de l’enigme peut etre indice du sens du
monde, par translatio de verite. Ne s’acheve-t-elle point sur l’affirmation
„responsum mortua famur“?
Avant par notre intermdiaire nul son, nul mot ne resonnait
Ma1s aujourd’hui distincts, nous emettons, sans voix, des mots
Tandis que champs vierges, nous brillons de mille f1gures sombres
Vivants, nous ne parlons pas; morts, nous disons Ia reponse.37
B) Du tombeau au Monument l i tteraire
Si Ia parole du poete est confusion recherchee, l’inscription de son nom
est souvent soul ignee:
Ah, toi qui tout ensemble tiens en ton empire cleste le sceptre
Le lumineux tribunal du royaume des cieux,
Dotant cet illustre royaume, que tu gouvernes, de lois ternelles-ainsi I es
Horribles membres de Behemoth, tu I es tordis, pour sa peine.
En le pripitantjadis de l’altiere citadelle dans l’tendue livide, toi
35 „Sum namque excellens specie, mirandus i n orbe, I Ossibus ac neruis ac rubro
sanguine cretus. I Cum mihi uita comes fuerit, nihil aurea forma I Plus rubet et
moriens mea numquam pulpa putrescit“ (Aenigmata Aldhelmi, XIV, 397).
36 „lgnibus in mediis uiuens non sentio flammas, I Sed detrimenta rogi penitus Iudi·
bria faxo. I Nec crepitante foco nec scintillante fauilla I Ardeo, sed flammae fla·
granti torre tepescunt“ (Aenigmata Aldhelmi, XV, 397).
37 „Antea per nos uox resonabat uerba nequaquam I Distineta sine nunc uoce edere
uerba solemus; I Candida sed cum arua Iustramur m i l i bus atris; I Viua nihil loqui
mur, responsum mortua famur“ (Aenigmata Eusebii, XXXII, 24 2).
48 CHRISTIANE VEYRARD-COSME
Le maTtre de celui qui compose ces vers et poemes,
Mai ntenant accorde-moi ta l umiere en recompense, a moi qui puis en mes rudes
Vers devoiler I es enigmes secretes du monde;
Seigneur Dieu, ainsi, tu acco rdes, a qui n’en est point digne, gratuitement ta
grace. 38
Ainsi commence Ia Preface d’Aidhelm. Acrestiche et telestiche permettent
de dresser une stele qui, tout en chantant le Dieu Arbiter, le Createur,
dans l’axe horizontal du poeme, propose en axe vertical
l ‚ i nscription du poete Aldhelmus. Le poeme est a Ia croisee de ces ordonnees.
L’homme poete fait monter vers l’entite divine une psalmedie
enigmatique q u i d i t Dieu dans lejeu des contraires et des paradoxes. Le
recueil est monumentum, inscrivant Ia celebration divine et le nom humain.
Les moines q u i composerent ces recueils etaient des grammairiens,
habitues a manipuler les outils de connaissance de Ia Iangue, a reconnaTtre
les differentes figures de mots et de sens qui faisaient l’ornement
d’un enonce. Grammairiens pour lesquels l’interpretation des textes
n’avait pas de secret, i ls etaient aussi des exegetes accomplis, rompus a
une forme d’exegese, Ia symbolisation, qui etait un mode de lecture des
Ecritures, mais pouvait egalement se faire mode d’ecriture: l’en igme,
dans son obscuritas, montre comment l’exegese peut aussi produire des
symboles et comment les tentatives d’explication du monde pouvaient
emprunter voie (uia) et voix (uox) obscures pour aller vers Ia Lumiere.
Dans i’enclos des monasteres, et l’enclos des manuscrits, les col lections
d’enigmes du Haut moyen Age entendaient sans nul doute offrir un
monde en mi niature qui disait l ‚ l ncommensurable.
Toutefois, Ia Renaissance carol ingienne, fondee sur une volonte de
clarification et de l isibi l ite, a sans doute constitue un temps d’arret dans
Ia production des enigmes latines en recueil, se contentant d’accorder
quelque place aux jeux lettres et aux inflexions enigmatiques de
l’ecriture de cour. Desormais, pour nombre de potentes de ce monde carolingien,
i’obscuritas devenait Ia marque de i’i nsoumission religieuse ou
politique et devait, en tant que teile, etre avant tout contenue.
38 „Arbiter, aethereo iug iter qui regmine sceptrA I Lucifluumque simul caeli regale
tribunal I Disponis moderans aeternis legibus illuD, I Horrida nam multans torsisti
membra VehemotH, I Ex alta quondam rueret dum luridus arcE, I Limpida
dictanti metrorum carmina praesul I Munera nunc largi re, rudis quo pandere
reruM I Versibus enigmata queam clandistina fatV: I S ie, Deus, indignis tua gratis
dona rependiS“ (Aenigmata Aldhelmi, Praefatio, 377).
Obscurity in Medieval Texts
MEDIUM AEVUM QUOTIDIANUM
SONDERBAND XXX
Obscurity in Medieval Texts
edited by
Lucie Dolezalova, Jeff Rider,
and Alessandro Zironi
Krems 2013
Reviewed by
Tamas Visi
and Myriam White-Le Goff
Cover designed by Petr Dolezal with the use of a photo of the interior of
the Church of the Holy Sepulchre in Jerusalem (photo Lucie Dolezalova)
GEDRUCKT MIT UNTERSTÜTZUNG
DER
CHARLES UNIVERSITY RESEARCH DEVELOPMENT PROGRAMS
„UNIVERSITY CENTRE FOR THE STUDY OF ÄNCIENT AND MEDIEVAL
INTELLECTUAL TRADITIONS“
UND
„PHENOMENOLOGY AND SEMIOTICS“ (PRVOUK 1 8)
80TH AT THE FACULTY O F HUMANITIES, CHARLES UNIVERSITY IN PRAGUE
UNDDER
CZECH SCIENCE FOUNDATION
WITHIN THE RESEARCH PROJECT
„INTERPRETING AND APPROPRIATING ÜBSCURITY
IN MEDIEVAL MANUSCRIPT CULTURE“
(GACR P405/1 0/Pl 1 2)
A l l e Rechte vorbehalten
-ISBN 978-3-901094-32-13‘.3
Herausgeber: Medium Aevum Quotidianum. Gesellschaft zur Erforschung der materiellen
Kultur des Mittelalters. Körnermarkt 1 3. 3500 Krems, Österreich. Fur den
Inhalt verantwortlich zeichnet die Autorin, ohne deren ausdruckliehe Zustimmung
jeglicher Nachdruck, auch in Auszügen, nicht gestattet ist. Druck: KOPITU Ges. m. b.
.• iedner Hauptstraße 8-10, 1 050 Wien, Österreich.
,s \i !.Ut ‚o ,… ….
Acknowledgements
List of Figures
T able of Contents
Textual Obscurity in the Middle Ages (lntroduction)
Lucie Dole2alov. Jeff Rider. and Alessandro Zironi
„Ciarifications“ of Obscurity:
Conditions for Proclus’s Allegorical Reading of Plato’s Parmenides 1 5
Florin George Cäl ian
Lucifica nigris tune nuntio regna figuris. Po!!tique textuelle de I‘ obscuritas
dans I es recueils d‘!!nigmes latines du Haut moyen Age (V He-V I I I • s.) 3 2
Christiane Veyrard-Cosme
The Enigmatic Style in Twelfth-Century French Literature 49
Jeff Rider
Mise en abyme in Marie de France’s „Laüstic“ 63
Susan Small
Perturbations of the Soul: Alexander of Ashby and Aegidius of Paris an
Understanding Biblical Obscuritas 75
Greti Dinkova-Bruun
Versus obscuri nella poesia didascalica grammatocale del X I I I sec. 87
Carla Piccone
Disclosing Secrets: Vorgil on Middle High German Poems 1 1 0
Alessandro Zironi
Obscuritas tegum: Traditional Law. Learned Jurisprudence, and Territorial
Legislation (The Example of Sachsenspiegel and fus Municipale Maideburgense) 124
Hiram Kümper
Ta Be Born (Aga in) from God:
Scriptural Obscurity as a Theological Way Out for Cornelius Agrippa 1 45
Noel Putnik
Obscuritas in Medoeval and Humanist Translation Theories 157
R!!ka Forrai
The Darkness Within:
First-person Speakers and the Unrepresentable 1 72
Päivi M. Mehtonen
Contributors 1 90
Index nominum 1 94
Index rerum 197
Acknowledgements
This volume grew out of a conference held in Prague in October 6-8. 201 1 .
The conference and the book were supported by a post-doctoral research
grant from the Grant Agency of the Czech Republic, “ l nterpreting and
Appropriating Obscurity i n Medieval Manuscript Culture“ no. P405/1 0/
P1 1 2 undertaken at the Faculty of Arts at the Charles University in Prague,
by The Ministry of Education, Youth and Sports through l nstitutional
Support for Longterm Development of Research Organizations to the
Faculty of Humanities of the same university (PRVOUK 1 8 and UNCE
204002), and by the European Research Council under the European
Community’s Seventh Framewerk Programme ( FPJ/2007-2013) I ERC
grant agreement No. 263672. We are much grateful to these i nstitutions.
Further thanks goes to the individual contributors to this volume who have
been very quick and patient during the process, as weil as to Petr Dolezal
for the cover design and Adela Novakova for the index.
List of Figures
Figure 1 : Scene from one of the Saxon Mirror’s codices picturati (Wolfenbuttel, HerzogAugust-
Bibliothek, Cod. Guelf. 3.1 . Aug. 2°, fol. 34r).
Figure 2: Index for a manuscript of the Richtsteig Landrecht (Göttweig, Sti ftsbibliothek,
Cod. 364rot, fol. 526r).
Figure 3: Printed text of a Saxon Mirror with Gloss (Christi an Zobel, Leipzig, 1 569).
Figure 4: A remissorium from a Saxon Mirror edited tn 1536 by Chistoph Zobel (Leipzig).
Figure 5: Editorial report for a Saxon Mirror pri nted in 1545 by Nikolaus Wolrab
(Leipzig).
Figure 6: Sebastian Stelbagius, Epitome sive summa universae doctrinae iusticiae legalis
(Bautzen, 1 564 ).
Figures 7 and 8: Melchior Kling, Das Gantze Sechsisch Landrecht mit Text und Gloß in eine
richtige Ordnung gebracht (Leipzig 1 572).