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L’influence des pouvoirs publics sur le commerce et sur la vie des marchés urbains en Dalmatie (XIIIe-XIVe siècles)

L’influence des pouvoirs publics
sur le commerce et sur la vie des marchés urbains
en Dalmatie (XIIIe-XIVe siècles)
Florence Fabijanec (Zagreb)
L’étude suivante se fonde sur les Statuts de neuf communes dalmates, dont trois villes insulaires, c’est-à-dire Dubrovnik1, Skradin2, Split3, Šibenik4, Trogir5 et Zadar6 puis Hvar7, Korčula8 et Lastovo9.
Ces Statuts ont été rédigés en majorité à la fin du XIIIe siècle, au moment où la valeur du texte écrit supplante la tradition oral, lorsque, par ailleurs, appa-raissent les premiers actes notariés10. Le premier Statut semble être celui de Kor-čula, en 1265, et, le dernier, au siècle suivant, celui de Hvar, en 1331. Leur écriture a connu toutefois des ajouts réguliers, avec pour exemple le plus pro-bant, le Statut de Lastovo, dont les 57 premières ordonnances ont été écrites au-tour de 1310, puis 32 autres au XVe siècle et 41 au XVIe siècle.
1 V. Bogišić, C. Jireček, Liber Statutorum civitatis Ragusii, Monumenta Historico-Juridica, vol. IX, Zagreb (1904) (plus loin Statut Dubrovnik).
2 Ante Birin, Statuta civitatis Scardonae, Zagreb-Skradin 2002 (plus loin Statut Skradin).
3 Antun Cvitanić, Statuta civitatis Spalati, Split 1998 (plus loin Statut Split).
4 Slavo Grubišić, Knjiga statuta zakona i reformacija grada Šibenika, Šibenik 1982 (plus loin Statut Šibenik).
5 Ivan Strohal, Statutum et reformationes civitatis Tragurii, Monumenta Historico-Jurdica, vol. X, Zagreb (1915) (plus loin Statut Trogir).
6 Josip Kolanović, Mate Križman, Statuta Iadertina, Zadar 1997 (plus loin Statut Zadar).
7 Vladimir Rismondo, Hvarski Statut, Split 1991 (plus loin Statut Hvar).
8 Antun Šeparović, Statuta et leges civitatis et insulae Curzulae, Zagreb-Korčula 1987 (plus loin Statut Korčula).
9 Vladimir Rismondo, Lastovski statut, Split 1994 (plus loin Statut Lastovo).
10 Les premiers manuscrits concernant la Dalmatie, datés du VIIIe-IXe siècles, sont des actes ecclésiastiques (répartition des fonctions officielles, dons de terres et mises en place de la taxe du dixième) – voir Codex Diplomaticus regni croatiae, Dalmatiae et Slavoniae, vol. I (743-110), dir. Marko Kostrenčić, Zagreb (1967), et Codex Diplomaticus, Supplementa, vol. I (1020-1270), dir. Josip Barbarić, Jasna Marković, Zagreb (1998)). Pour suivre l’évolution de la documentation écrite en Croatie, voir la série Codex diplomaticus, dir. Ta-dija Smičiklas, du vol. II (1101-1200), Zagreb (1904) au vol. XVIII (1395-1399), Zagreb (1990). Dans la zone de Zadar, les premiers actes notariés datent de 1279 – voir la publication Spisi zadarskih bilježnika Henrika i Creste Tarallo 1279.-1308., vol. I, dir. Mirko Zjačić, Zadar (1959).
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La construction de ces Statuts est plus ou moins élaborée, entre celui de Skradin, en un seul tenant – il ne contient qu’un seul livre – jusqu’à celui de Du-brovnik, cloisonné en huit livres, avec une relative division thématique. Les au-tres Statuts communaux contiennent entre cinq et six livres (excepté celui de Korčula, réparti en deux livres), là encore, sans réelle classification par thèmes juridiques.
Parmi les différentes catégories traitées dans les Statuts, figurent les dé-crets attachés à la vie économique dans un sens large (entre la réglementation des actes d’achat-vente de biens mobiles et immobiliers, les baux des taxes communales, jusqu’aux clauses des accords commerciaux). Que nous révèlent ces décrets statutaires concernant la vie économique des centres urbains en Dalmatie ? Tout d’abord, les textes de loi dévoilent des centres d’intérêts diffé-rents selon les communes, quant à leur rayonnement commercial extérieur. D’autre part, ils illustrent la vie quotidienne dans les marchés urbains, à travers l’activité codifiée de quelques artisans. C’est à nous enfin, d’en déduire les for-mes de contrôle exercées au quotidien par le pouvoir communal sur certains as-pects de la place du marché.
Les pôles d’intérêts économiques et le rayonnement commercial
des communes dalmates
Une première approche, statistique (voir tableau I), est celle du champ économique dans les Statuts. Les ports de Trogir, Šibenik, Skradin, Lastovo, Hvar et Korčula, consacrent entre 15 et 22% de leurs textes de loi aux aspects économiques; Split et Dubrovnik, respectivement 23 et 28%, et enfin Zadar, cité dont 41% de l’ensemble de ses décrets en rapport avec le domaine économique.
Des thèmes sont communs à toutes les cités, comme la réglementation des biens immobiliers, la mise en place d’un système d’imposition et de taxes et l’interdiction du prêt à intérêts11. Toutes les communes interdisent l’exportation des céréales produites sur leur sol12 (sauf avec l’autorisation éventuel du comte), et à l’inverse, pénalisent l’importation de vin étranger13. Elles veillent de la sorte
11 Sur l’intérêt voir : Statut Dubrovnik, livre VIII § 27, p. 181; Statut Korčula, livre I § 13; Statut Skradin, § 98; Statut Split, livre IV § 53, p. 651; Statut Trogir, livre II § 97, p. 89; Statut Zadar, livre V titre IV, § 6-8; Sur ce même sujet, on peut se référer à l’ouvrage de Jacques Le Goff, La bourse et la vie, Paris 1986, sur les questions théologico-morales sou-levées par la pratique de l’usure à l’époque médiévale.
12 Statut Dubrovnik, livre I § 17; Statut Hvar, livre III § 8, pp. 183-184; Statut Korčula, livre 1 § 44, p. 21; Statut Split, livre V § 20-44; Statut Trogir, livre II § 93, p. 88.
13 Statut Dubrovnik, livre VI § 35-38, pp. 137-139; Statut Hvar, livre V § 43, pp. 183-174; Statut Korčula, livre II § 105, pp. 65-66; Statut Skradin, § 79, p. 212; Statut Split, livre IV § 112, p. 701; Statut Trogir, livre II § 47, pp. 72-73. A Lastovo, l’ordonnance date du XVIe siècle (1508), § 102.
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à défendre leur production vinicole locale14 et à garantir l’approvisionnement en vivres.
Tableau I : Organisation des Statuts et part de l’économie
Ville
Date
Organisation
Part de
l’économie
(île) Korčula
1265
2 livres
177 ordonnances
22,5%
Dubrovnik
1272
8 livres
447 ordonnances
28%
Šibenik
1290
6 livres
482 ordonnances
16%
Zadar
1305 (?)
5 livres
430 ordonnances
41%
Split
1312
6 livres
460 ordonnances
23%
Skradin
1304/
1312 ou 1322
1 livre
143 ordonnances
17%
(île) Lastovo
1310
XIVe 57 ordon-nances
XVe 32 ordonnan-ces
XVIe 41 ordon-nances
16-17%
Trogir
1322
3 livres
269 ordonnances
15%
(île) Hvar
1331
5 livres
209 ordonnances
20%
De plus, tous les Conseils de villes, organes législatifs, traitent des poids et me-sures communaux et fixent les prix de certaines matières premières et denrées en vente dans le commerce, pour assurer la stabilité économique nécessaire aux consommateurs, infligeant des amendes aux transgresseurs.
Ces Statuts contiennent aussi des particularités. Les armes ne sont mentionnées que dans des contextes précis, comme l’armement des navires, au-delà d’une certaine capacité de charge; à Split, tout détenteur de biens immobi-liers dont la valeur surpasse les 500 livres, doit s’armer d’une pointe de flèche,
14 Dans la Dalmatie médiévale, le vin est non seulement considéré comme un produit alimen-taire, utile à la santé publique, mais il est aussi, à la différence des régions du nord, un pro-duit de consommation courant et non pas un luxe. Sous un aspect économique, les pouvoirs publics recevaient d’importants profits des taxes sur le vin, de sorte que, à Dubrovnik au moins, de nombreuses normes débattent de la consommation et de l’imposition sur le vin; Gordan Ravančić, Život u krčmama srednjovjekovnog Dubrovnik, Zagreb 2001, pp. 39-40. 39
ou d’un arc et d’une cotte de maille par millier de livres15. Les villes de Split et de Korčula sanctionnent sévèrement, par ailleurs, la vente d’armes aux pirates16. L’île de Lastovo semble affligée par le vol fréquent de bêtes. En effet, six textes concernent ce sujet, selon lesquels, la commune serait confrontée à la saisie d’animaux en pâture, que les voleurs revendent par la suite. Elle a mis ainsi toute une tarification des contraventions par type de bêtes volées, comme 12 hy-perpères par vache, 4 gros par chèvre ou bouc, plus 10 hyperpères d’amende pour la revente17. L’île de Hvar réglemente dans le détail la vente aux enchères du vin et des céréales dans cinq à huit localités attachées à la commune, c’est-à-dire les îles et îlots de son district, ainsi que les fermages des baux de quelques taxes urbaines18. Quant à la cité de Trogir, elle détaille en plusieurs clauses les démarches de vente à crédit et de prêt sur gage19.
Quelques décrets semblent particulièrement révélateurs du rayonnement commercial de certaines communes. Le Statut de Split mentionne le départ de ceux qui vont voyager «hors de l’Adriatique», mais sans indiquer de destination précise, et seulement pour déterminer la quantité de nourriture (farine et biscot-tes) qui doit être emportée à cet effet20. Deux communes, à l’inverse, se distin-guent nettement des autres :
Dubrovnik tout d’abord. Son Statut consacre un livre entier – le septième – à la réglementation de la navigation, de l’équipement des navires, des naufra-ges, des relations entre les commerçants et les différents membres de l’équipage, ainsi qu’au commerce maritime. Elle est la seule à traiter de ses relations avec d’autres centres politiques. Dubrovnik rapporte, en neuf décrets, des coutumes pratiquées avec Zadar en particulier, avec Šibenik Trogir, Omiš et Split en un seul tenant, ensuite avec ses régions frontalières : Hum (l’Herzégovine actuelle), la Bosnie, la Rascia, la Zenta (le Monténégro actuel), puis avec la Dalmatie su-périeure (de Krk à Zadar), l’Esclavonie (la Croatie médiévale) et enfin, avec les Slaves21. Ces «coutumes» pourraient bien être les prémices d’une activité diplo-matique à long terme, dont la signature d’un certain nombre d’accords mutuels avec les villes italiennes, par exemple, en est un prolongement22. De plus, en réglementant la vente de navires à l’étranger, le Statut révèle des marchés po-tentiels, comme «en terre des Sarrasins, des Tartares, en Dalmatie, en Romanie
15 Statut Split, livre VI § 22, pp. 765-767.
16 Statut Split, livre IV § 97, p. 690-691; Statut Korčula, livre I § 52, p. 23.
17 Statut Lastovo, § 7, 8, 9, 10, 11, 50, pp. 210-211, 227.
18 Statut Hvar, livre IV, pp. 141-141, 144.
19 Statut Trogir, livre I, § 30, 32, p. 19; livre III, § 37, 39, 41, 43, 45, pp. 116-119.
20 Statut Split, livre VI § 50, pp. 781.
21 Statut Dubrovnik, livre III § 49-57, pp. 75-80.
22 Un premier accord commercial est signé entre les villes de Dubrovnik et de Split avec Pise en 1169, puis entre Dubrovnik et Fano et Ancône en 1199; Listine o odnošaji između južnoga Slavenstva i Mletačke Republike, dir. Šime Ljubić (Monumenta Spectantia histori-arum Slavorum meridionalum) (plus loin Listine), vol. I, doc. XIV, p. 10; Codex Diplo-maticus, op. cit., vol. II, doc. 209, pp. 223-224; Listine …, op. cit., vol. I, doc. XXVI, p. 19.
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et en Sicile»23. Cette ordonnance témoigne de la présence des Ragusains, dès la fin du XIIIe siècle, dans des centres économiques très éloignés, hors de l’Adriatique.
Zadar, ensuite, apparaît comme le centre économique le plus développé du bassin oriental de l’Adriatique. Tout d’abord, plusieurs indices pourraient expliquer le fort pourcentage de la sphère économique dans le Statut de Zadar. La ville devient, dès le XIe siècle, la capitale du pouvoir byzantin en Dalmatie; entre les XIIe et XIIe siècles, elle signe plusieurs accords commerciaux avec des villes d’Italie; enfin, des témoignages contemporains mentionnent sa grandeur24. Ayant atteint de manière précoce un stade élevé d’organisation politique, la ville a pu, sans doute la première en Dalmatie, développer plus rapidement différen-tes manifestations de l’activité économique. Nous sommes confortés dans cette idée si l’on observe qu’à l’intérieur de la législation zadaroise, au même titre que Dubrovnik, un livre entier de son Statut – le quatrième – est uniquement consa-cré, en 83 décrets, à «la navigation et aux navires», soit toute une réglementation se rapportant au commerce maritime extérieur et à ses acteurs.
En outre, l’élément le plus remarquable est l’existence de rapports économiques, sinon d’échanges, avec l’Afrique du Nord. En effet, une ordon-nance témoigne de l’importation de laine en provenance de Tunisie et des autres terres «barbares» (berbères le plus vraisemblablement, du temps de l’émirat haf-side de Tunis), ainsi que de l’importation de coton de la Romanie (en Grèce)25. Cette information, adjointe à la réglementation pointilleuse de la construction navale et de la vie à bord, donne à prouver que la cité a axé une part très impor-tante de sa vie économique sur le commerce maritime extérieur, et qu’elle a, au début du XIVe siècle, le réseau commercial le plus étendu de la rive adriatique orientale.
Le développement de ces réseaux commerciaux attestés a été, au début de la période médiévale, la résultante d’un effort collectif de la population urbaine, plutôt homogène et non encore réellement stratifiée, dans chaque cité dalmate. De sorte que les «spécialistes», les mercatores (marchands) ne font leur appari-tion dans les textes écrits qu’à partir de la fin du XIIIe siècle26. En revanche, les
23 Statut Dubrovnik, livre VII, § 14, pp. 156-157.
24 Selon des contemporains, au XIe siècle, Zadar est le port privilégié entre l’Adriatique et l’Egée; à la paix de Pise, en 1188, est signé le premier accord commercial de libres échanges, puis une longue tradition d’amitié s’établit avec Ancône à partir de l’accord commercial de 1258, renouvelé en 1288 puis encore régulièrement chaque siècle; Šime Perišić, Razvitak gospodarstva Zadra i okolice u prošlosti, Zagreb-Zadar 1999, p. 41. Tout aussi significative est la description du croisé Villehardouin de 1202, lorsqu’il décrit la ville comme «l’une des plus fortifiées du monde» (…) et dont «on ne peut en trouver de plus belles, de plus fortes et de plus riches»; Geoffroi de Villehardouin, La conquête de Constantinople.
25 Statut Zadar, livre IV, § 24, pp. 415-417.
26 Sabine Florence Fabijanec, «Pojava profesije mercator i podrijetlo trgovaca u Zadru u XIV. stoljeću i početkom XV. stoljeća”, Zbornik zavoda za povijesne znanosti HAZU, vol. 19, Zagreb (2001), pp. 83-125 (86-91).
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premières désignations écrites d’artisans sont plus anciennes et semblent appa-raître au début de ce même XIIIe siècle27. Ainsi, à la rédaction des Statuts, des catégories artisanales se distinguent particulièrement; c’est aux artisans et non à l’artisanat en soit que les textes législatifs s’adressent : de ce que doivent faire les bouchers ou les pêcheurs, par exemple. Grâce à cela, nous obtenons quelques éclairages sur la vie quotidienne des artisans dalmates, actifs sur la place du marché.
La vie quotidienne des marchés urbains
Peu éloquents quant à la vie commerciale extérieure, les textes de lois dal-mates sont plus bavards, en revanche, concernant la réglementation des marchés urbains; ils nous permettent ainsi d’illustrer au quotidien, la vie de certains arti-sans et producteurs. Cette législation s’est attachée davantage à la gestion des produits alimentaires mis en vente sur le marché. Les professionnels les plus concernés, dont les textes de lois fassent mentions28, sont les pêcheurs, les boulangers et boulangères, les taverniers et tavernières et les bouchers.
Les boulangers et boulangères (fornarius/panicoculus)
L’activité économique des femmes en milieu urbain est souvent réduite à la vente au détail et à la production textile29. Les boulangères figurent parmi ces rares professionnelles féminines reconnues par les textes de loi. A Hvar et à Trogir, leur salaire, hommes ou femmes, ne doit pas dépasser un pain sur trente pains cuits, sous peine de vingt sous d’amende30. A Trogir, les faiseurs de pain (panicoculus) doivent acheter les céréales de la commune au prix fixé par la ville (6 sous le setier de froment). Le pain blanc est vendu 2 deniers, au poids de 8 onces, et l’autre pain, de 16 onces, 4 deniers. Tout contrevenant, y compris les femmes (panificule), est pénalisé d’au moins 12 deniers par pain; en outre, si les cuiseurs de pain n’emploient pas le blé de la commune, ils payent 10 sous
27 D’après les premiers manuscrits conservés, on conçoit une stratification progressive de la population. Les premières catégories mentionnées sont les figures officielles ecclésiastiques (vicarius, presbyter, abbatissa, etc.) et civiles (banus, comes, notarius, etc.). Suivent alors les premières mentions d’artisans, comme un pelliparius, ou un piscatores; pour ces derniers, voir le Codex Diplomaticus, op. cit., vol. III (1201-1235), Zagreb (1905). Les bancarius, monetarius et autres agents économiques sont les plus tardivement évoqués.
28 Selon les Statuts, il est également question du métier des cordonniers (caligarius), des orfèvres (aurifex), des épiciers et vendeurs de «médicaments» (spiciarius ou apothe-carius), etc …
29 Dans les faits, à Dubrovnik par exemple, les femmes libres sont pour la plupart tenancières d’auberge, de boulangerie, de fruiterie, d’ateliers de couture ou de blanchisseries; Душанка Динић-Кнежевић, Положај жена у Дубровнику у XIII и XIV веку (la position de la femme à Dubrovnik aux XIIIe et XIVe siècles), Belgrade 1974, «La femme dans l’éco-nomie», pp. 1-60.
30 Statut Hvar, livre V § 22, pp. 171-172; Statut Trogir, livre II § 44, 72.
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d’amende31. A Šibenik, si celui qui cuit le pain ne le vend pas de manière régle-mentaire, il paye 40 sous d’amende. Le pain réquisitionné est ensuite distribué aux prisonniers et si la prison est vide, alors le pain est distribué aux pauvres32.
Les conseillers de Split sont davantage concernés par la qualité du pain quotidien, puisque leur décret insiste sur le fait que les boulangères doivent bien le cuire. Dans le cas contraire, elles sont pénalisées de 10 sous par pain, tout en dédommageant l’acheteur.33 De même à Trogir, les boulangers (furnarius) payent 40 sous pour la mauvaise cuisson du pain; l’accusateur récupère la moitié du pain litigieux34. L’hygiène pose aussi problème, puisque selon le Statut spli-tois, il est interdit aux femmes de filer la laine tant qu’elles vendent leur lait au marché, pour ne pas que le produit soit infecté (l’amende n’est que d’un sou). En cas de désobéissance, les contrôleurs sont invités à briser le rouet35. De même à Skradin, aucune vendeuse de lait, revendeuse ou tavernière ne doit filer dans le lieu où sont vendues les denrées comestibles, sous peine d’une amende de 12 deniers; à Trogir, les femmes qui vendent quoi que ce soit tout en filant sur la place du marché, sont globalisées de 5 sous36. Cette question d’hygiène revien-dra encore au début du XVIe siècle, lorsqu’il est interdit aux femmes, selon la réglementation du comte de Split, de vendre du pain et de la rasse (sorte de tissu frustre) l’après-midi si elles ont vendu du fromage le matin37.
L’agitation du marché, et en dehors de lui, entraîne inévitablement des malentendus et des disputes. A ce titre, les Statuts abordent et sanctionnent les questions de coups et blessures et celles des injures. A Hvar par exemple, les propos injurieux sont pénalisés de 50 sous, et la réplique également injurieuse, 50 autres sous38. Or, les femmes semblent tenir une place de choix dans le do-maine des conflits verbaux. Si l’on observe, par exemple, les actes de justices d’un notaire de Fano à Šibenik au XVe siècle, près d’un cas sur une dizaine de plaintes, concerne les injures et les creps de chignon entre femmes !39
Un autre lieu propice aux débordements sont les tavernes. Une étude détaillée sur les tavernes médiévales à Dubrovnik40 montre combien les femmes sont pleinement engagées dans la vente du vin au débit dans ces locaux. Les Statuts communaux se sont ainsi attachés à réglementer une partie de l’organisation de ces tavernes, avec des nuances visibles selon les cités.
31 Statut Trogir, livre II § 43, p. 71.
32 Statut Šibenik, livre VI § 25, p. 181.
33 Statut Split, livre IV § 93, p. 689.
34 Statut Trogir, livre II § 44, p. 72.
35 Statut Split, livre IV § 96, p. 691.
36 Statut Skradin, § 75, p. 211; Statut Trogir, livre II § 46, p. 72.
37 Državni Arhiv u Zadru (plus loin DAZd), Proclamationes comitis Hieronymi Bernardo comitis et capitaneus Spalati (1503.-1504.), boîte 36, vol. 43, liv. I, fasc. II, f° 32, 34, 35v.
38 Statut Hvar, livre III, § 18, p. 131.
39 Spisi kancelarije šibenskog kneza Fatina de cha de Pesaro 1441-1443, Josip Kolanović, Šibenik 1989, part. XI Extraordinaria, § 83 (200), 86 (201), 94 (204), 100 (207), 102 (208) … 334 (355).
40 G. Ravančić, Život u krčmama…, op. cit.
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Les taverniers et tavernières (tabernarius – tabernaria)
Certains édits statutaires sont communs à toutes les villes dalmates, comme dans le cas où ils fixent une heure limite de fermeture des tavernes. Ainsi, les taver-nières et taverniers sont invités à fermer boutique au troisième son de cloche, à la tombée de la nuit, et de chasser ceux qui boivent, ainsi que ceux qui sont ivres ! Korčula est plus stricte, en fixant l’heure de fermeture au deuxième son de cloche. La peine généralement encourue en cas d’infraction est de 20 sous pour les restaurateurs et pour les clients (à Trogir le tavernier paye 10 sous et le client 5 sous) 41. Dans la ville de Skradin, les autorités ont le souci de la bien-séance, puisque les tavernes ne doivent pas être ouvertes avant la fin de la messe du dimanche, et seule la vente aux voyageurs est alors tolérée, sinon l’amende est double. De plus, à Skradin toujours, les taverniers sont obligés de donner à boire de l’eau à ceux qui boivent de l’alcool, sous peine de 20 sous à nouveau.42 A l’inverse, les autorités de Korčula considèrent comme obligatoire de servir tout client désireux de boire du vin; tout en respectant les horaires d’ouverture, les taverniers ne doivent ainsi pas refuser de verser à boire à une personne, si déplaisante lui paraît-elle43. La ville de Hvar a une particularité, puisqu’elle autorise la vente de vin les jours de fêtes chrétiennes, dont Noël, Pâques et la veille de la saint Stéphane, le saint patron de la ville44.
L’honnêteté marchande ne semble pas faire de doute aux yeux des autori-tés publiques dalmates, si l’on observe que tous les Statuts s’accordent à prêter foi aux taverniers dans les cas de litiges de vente de vin à crédit : il suffit au ta-vernier de faire serment sur les reliques et de porter plainte dans un délai de quinze à trente jours, selon les communes; à Trogir, le mauvais payeur est condamné à 20 sous d’amende45 Par ailleurs, le seul prix du vin dont on dispose est notifié dans le Statut de Skradin, soit un denier la mesure de vin46. Si nous revenons sur le montant moyen des amendes, c’est-à-dire 20 sous, la valeur de la peine paraît énorme, puisqu’elle représenterait le prix de 240 mesures de vin !
Les pêcheurs (et vendeurs de poissons) (piscator)
Dans cette zone maritime, la consommation de poissons est considérable; il existe de ce fait une réglementation précise sur la pêche et la vente de pois-sons. Une partie des Statuts s’attache à reprendre les faits et gestes de la «loin-taine tradition» et une autre à fixer les tarifs et les mesures des poissons. Grâce à
41 Statut Hvar, livre III § 16, p. 130; Statut Korčula, livre I § 18, p. 14; Statut Skradin, § 60, pp. 275-276; Statut Split, livre IV § 95, p. 689; Statut Trogir, livre II § 52, pp. 74-75.
42 Statut Skradin, § 62, 64, 133, pp. 276, 298.
43 Statut Korčula, livre II § 107, p. 66.
44 Statut Hvar, livre III § 16, p. 130.
45 Statut Hvar, livre II § 12, p. 111; Statut Trogir, livre II § 53, p. 75.
46 Statut Skradin, § 63, p. 276.
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ces textes, il est possible de retracer l’activité du marché aux poissons depuis le stade de la pêche nocturne jusqu’à la vente en stands.
Tout d’abord, la pêche est organisée soit de nuit, soit de jour. Le Statut de Skradin mentionne plus en détail l’équipement de la pêche nocturne avec des filets spéciaux et les torches – toutefois, c’est au comte de délivrer l’autorisation de ce type de pêche (pour mieux comprendre cette activité de la pêche nocturne, nous pouvons nous référer par ailleurs au texte contemporain de Petar Hektoro-vić Des pêcheurs et des histoires de pêcheurs, rédigé au XVe siècle47). Une fois revenus, les pêcheurs de Skradin doivent déposer leur équipement dans un ma-gasin de la ville, n’ayant pas le droit d’emporter le matériel avec eux48. Selon la tradition de presque toutes les communes dalmates étudiées, les pêcheurs doi-vent, une fois débarqués au port, donner une partie de leur pêche aux notabilités de la ville. Ainsi, à Dubrovnik, ils donnent six poissons, sur cent, au comte; ceux de Skradin, de retour de leur pêche nocturne, doivent donner un poisson à la commune, un au comte et un au juge – s’ils repartent pêcher dans l’après-midi, ils ne sont plus tenus de donner de poissons; à Hvar enfin, les pêcheurs doivent donner leur plus gros poisson au juge49.
Dans toutes les communes, les pêcheurs sont supposés distribuer et vendre tous leurs poissons dès leur retour de pêche, uniquement dans les poissonneries et debout. A Šibenik, le poisson doit être vendu soit dans le quai sous le palais, soit en boucherie; à Trogir, le poisson peut être vendu soit au port, ou plutôt près des Franciscains et jusqu’au pont qui mène à l’îlot de Bue, soit sur la place du marché50. Il est interdit de vendre ce poisson avant de ne l’avoir entièrement dé-barqué du navire sur le quai, sous peine de 40 sous d’amende. Dans le cas où un pêcheur ose vendre le poisson hors du quai, ou bien l’emporte avec lui, il perd le produit de sa pêche51. De plus, à Hvar, il est interdit aux acheteurs potentiels de se rendre au-devant des pêcheurs avant qu’ils n’aient installé leurs stands et payé la taxe, sous peine de 20 sous payables immédiatement52. Dans cette ville tou-jours, il est interdit aux poissonniers de porter de béret ou tout autre couvre-chef sur la tête53. A Skradin, le marché aux poissons ne doit pas être situé à proximité de la côte; les pêcheurs de cette ville présentent leurs filets au vicaire, qui, tout en contrôlant la qualité, choisit un poisson à son goût54. Le Statut de Split pré-cise que le poisson doit être vendu frais, le jour même, sauf si c’est jour de Ca-
47 Petar Hektorović Ribanje i ribarsko prigovaranje složeno po Petretu Hektoroviću, Venetia MCLXVIII, Biblioteka Bašćina, rééd. A. Čavić, Stari Grad Faros 1997.
48 Statut Skradin, § 25, pp. 197-198.
49 Statut Dubrovnik, livre I § 10, p. 9; Statut Hvar, «De ce que doivent faire les pêcheurs», pp. 146-147; Statut Skradin, § 25, p. 197..
50 Statut Skradin, § 25, p. 198; Statut Split, livre IV § 114, pp. 703; Statut Šibenik, livre VI § 129, p. 210; Statut Trogir, livre II § 42, p. 71.
51 Statut Šibenik, livre VI § 129, p. 210.
52 Statut Hvar, livre V § 31, p. 176.
53 Ibid., livre IV § 9, pp. 146-147.
54 Statut Skradin, § 67, p. 209.
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rême, auquel cas, les pêcheurs sont autorisés à le vendre le lendemain matin, sous peine de 20 sous55.
Les autorités publiques obligent les pêcheurs de vendre leurs poissons à quiconque veut en acheter, et fixent également le prix des différents types de poissons : à Skradin, les anguilles valent 5 deniers la livre, la pieuvre coûte 3 deniers et le calamar 4 deniers, tandis que tous les poissons à grands ailerons valent 2 deniers la livre, la sèche vaut 5 deniers56, voire 8 deniers à Split, tandis que le thon vaut 3 deniers57. A Trogir, les anguilles et les murènes valent 5 de-niers la livre, le calamar 3 deniers, les poulpes et les seiches 2 deniers, tandis que la raie et les poissons de la même famille, 1,5 denier58. La majorité des au-tres espèces de poissons est vendue 2 deniers la livre. Le poisson est vendu au poids, comme à Skradin par exemple, à raison d’une livre et demie par unité, tout comme pour la viande59.
Les bouchers (becarius)
Le traitement et la vente de la viande semblent un domaine particulière-ment réglementé. Les boucheries sont strictement contrôlées quant aux poids employés, aux prix fixés à l’avance par chaque commune pour chaque type de viande, et au déroulement de la vente. Une bonne illustration en sont les clauses de Skradin concernant la foire au bétail et la viande le jour de la Saint-Martin60. De plus, à Split, il est interdit aux membres du Conseil de la ville d’être boucher ou de vendre de la viande dans la commune61. Cette mesure vise à éviter les privilèges en approvisionnement, les passe-droits et les abus au détriment de la consommation sur le marché public.
Plusieurs activités se déroulent dans l’enceinte de la boucherie. C’est tout d’abord le lieu où les bêtes vivantes sont abattues et leur peau y est arrachée. A Šibenik, les peaux ne peuvent être écorchées avant les matines et l’activité doit être publique dans la boucherie, sous peine de 40 sous62, et à Hvar, la vente des peaux ne peut se faire sans le paiement de la taxe63. Toutes les viandes ne peu-vent être vendues au détail qu’en boucherie, et aucun boucher n’est autorisé à en emporter hors de cet espace, excepté pour ses besoins domestiques; à Trogir, l’amende pour chaque transgression est de 5 sous64. Dans le seul cas où il reste
55 Statut Split, livre IV § 114, p. 705.
56 Statut Skradin, § 67, p. 209.
57 Statut Split, livre IV § 114, pp. 703-705.
58 Statut Trogir, livre II § 42, p. 71.
59 Statut Skradin, § 67, p. 209.
60 Tout acheteur de la viande communal doit payer 1 sou par tête; si quelqu’un abat une bête sur la place de la viande, il doit donner 3 sous par boeuf, 30 deniers par porc, 2 sous par cerf et 6 deniers par caprin (…); Statut Skradin, § 87-88, pp. 214-215.
61 Statut Split, livre II § 36, pp. 407-409.
62 Statut Šibenik, livre I, § 37, 43, pp. 52, 54.
63 Statut Hvar, «De ce que doivent faire les bouchers», p. 146.
64 Statut Šibenik, livre I, § 36, pp. 51-52; Statut Trogir, livre II § 39, p. 69.
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de la viande invendue le soir, et que le lendemain est un jour maigre, alors il peut emporter les surplus avec soi pour les entreposer ailleurs. En revanche, à Hvar, les bêtes qui ont déjà été tuées auparavant – sans doute les produits de la chasse – peuvent être vendues en dehors des boucheries; de même à Trogir, seule la viande séchée ou salée peut être vendue ailleurs; ce type de vente extérieure est au contraire interdit à Šibenik65.
La viande peut être également salée, sur place uniquement. A Šibenik, les bouchers ne peuvent saler que la viande de boeuf ou de vache, mais en présence du contrôleur des mesures; ce contrôleur ne peut autoriser à la salaison que la moitié de la viande fraîche, l’autre moitié étant vendue telle quelle. De plus les bêtes de petite taille sont interdites à la salaison, sous peine de 40 sous par bê-tes66.
La vente de la viande se fait au poids, tel qu’un demi gros minimum à Korčula67, une livre minimum à Šibenik et à Split, et selon les mesures fixées à l’avance par chaque commune. A Split, toute infraction sur la pesée de la viande est de 40 sous pour le petit bétail et de 10 sous pour la volaille68. Des contrôleurs peuvent venir à l’improviste pour vérifier si la viande est bien vendue avec les poids communaux. A Skradin, les bouchers sont tenus de placer leurs poids hors de la table de coupe – à Split à un pas de distance69, pour éviter qu’ils ne trichent sur la pesée. La vente doit être publique, sur la table, et non pas dissimulée, sous peine de 40 sous70. Les Statuts de Korčula et de Šibenik précisent que la viande doit être vendue à quiconque veut en acheter; les bouchers ne doivent pas refu-ser de vendre de la viande à client qu’ils estiment indésirable sous le prétexte fallacieux – et illicite – qu’elle est déjà vendue71.
Si l’on considère les tarifs appliqués à chaque type de viande, les étalages sont très bien achalandés : du boeuf, de la génisse ou du cerf (3 deniers chacun), du porc (5 deniers), de la truie (4 deniers), des quarts de bélier, de chèvres ou de bouc (28 deniers) avec leurs petits, des perdrix (6 deniers les grosses, 4 deniers les petites), des pigeons (4 deniers les gros et 2 deniers les petits)72, du porc en-tier (8 deniers la livre), du porc dépecé (7 deniers la livre), du porc salé et fumé au moins 15 jours (12 livres), de l’agneau (7 deniers la livre), des têtes de petites bêtes (8 deniers, avec les pieds), des queues avec du foie (8 deniers), de
65 Statut Hvar, «De ce que doivent faire les bouchers», p. 146; Statut Šibenik, livre I § 45, p. 54; Statut Trogir, livre II § 39, p. 69.
66 Statut Šibenik, livre I § 42, 44, pp. 53-54.
67 Statut Korčula, livre II § 106, p. 66.
68 En guise d’illustration, voici les poids et tarifs à Split : 2 deniers la livre de boeuf, 2 deniers la livre de cerf, 4 deniers la livre de porc, 6 deniers le porc salé, 5 deniers la livre de truie, 1 gros le quart de bouc châtré, 28 deniers la livre de chèvre, de mouton et de bouc, 12 deniers la panse de mouton, 40 deniers le lapin, 5 deniers la paire de gros pigeons; Statut Split, livre IV § 117, pp. 705.
69 Statut Split, livre IV § 117, p. 705.
70 Ibid.
71 Statut Korčula, livre II § 106, p. 66; Statut Šibenik, livre I, § 38, p. 52.
72 Exemples de prix tirés du Statut de Skradin, § 66, pp. 208-209.
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l’estomac (8 deniers avec la graisse, «selon l’ancienne tradition), tandis que pour les tripes, les marchands se mettent d’accord sur le prix avec les acheteurs; à Trogir les intestins avec le sang et avec les pieds de bêtes sont vendus 6 deniers, et les têtes valent le même prix73.
Quelque soit l’activité de vente au détail prise en considération, les Statuts dans leur ensemble insistent sur deux pôles principaux : le lieu de vente et le respect des poids et mesures, ainsi que des prix communaux. Ceci nous permet de nous interroger sur ce qui relève de la tradition, simplement ratifiée dans les textes de loi, et sur ce qui relève d’un réel contrôle communal sur la vie du mar-ché urbain, tout en en suggérant les motivations.
Entre tradition et contrôle
La rédaction des Statuts est la mise en forme légale et plus tardive des us et coutumes de chaque cité dalmate. Sa fonction a été d’officialiser les faits et pratiques quotidiens, au moment où les populations urbaines prennent davantage conscience de leur appartenance commune à une entité civile indépendante. Comme pouvons-nous alors départager ce qui, dans les textes, ne fait que retra-cer les usages anciens, des nouveautés apportées par cette rédaction ?
D’un côté, les textes parlent eux-mêmes de «la lointaine tradition»; sont inclus dans cette conception tous les faits qui se rapportent aux serments de fi-délité et de l’exécution équitable de leurs devoirs que les fonctionnaires prêtent au chef du gouvernement communal, le comte. De même, tous les usages atte-nants aux dons de poissons et aux parts de viande accordées aux fonctionnaires entrent dans ce bloc. Il est fort possible, par ailleurs, que tout ce qui se rapporte à la fermeture des tavernes, à la manière de servir le vin et au crédit accorder aux taverniers soit également le fruit d’une longue pratique, qui s’est avérée la plus efficace par le passé. Ajoutons encore dans cette catégorie de la «tradition», les notions d’hygiène minimale attachées à la présence de femmes fileuses sur le marché, qui provoque des mesures de sanction pour cause d’insalubrité. Une partie de la vie quotidienne des marchés a été ainsi purement ratifiée par les textes de loi, et elle nous a permis de connaître de plus près certaines pratiques de la vente au détail.
Une nouveauté, en revanche, semble avoir germée : celle du contrôle des poids, des mesures et des prix. C’est désormais à l’organe législatif, le Conseil communal, de fixer les normes officielles propres à chaque centre urbain. En effet, chaque cité détermine, tout d’abord, ses tarifs et son système de mesures, puis elle nomme un certain nombre d’administrateurs, dont le devoir est de contrôler le respect de ces normes. Ainsi, à Skradin, le iusticiarius prête serment sur les Evangiles qu’il ira de part la ville et la banlieue pour vérifier et enquêter sur les mesures de vin et de tout autre liquide, et qu’il s’enquerra des mesures, tout en avertissant la commune de toute tricherie. A Hvar, c’est aussi au iusticia-rius de vérifier chaque mois les poids et mesures utilisés pour les marchandises
73 Statut Šibenik, livre I § 39-40, pp. 52-53; Statut Trogir, livre II § 37, pp. 68-69.
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pondérables; une fois par semaine, il doit se rendre dans les tavernes pour contrôler la quantité et la qualité du vin versée. Il déclare toutes les infractions auprès du comte. A Šibenik, les contrôleurs examinent chaque jour si le pain vendu sur le marché a le poids réglementaire, ils doivent emporter un morceau auprès du comte et de la cour avec un témoin puis le distribuer selon le Statut. De même, ils doivent circuler dans les auberges et vérifier, avec le même té-moin, si le nouveau vin en vente est vendu à la bonne mesure. Ils ne disposent toutefois que d’un seul jour pour déclarer la tricherie et pour soumettre la sanc-tion, sinon la déclaration n’est plus valable; un seul témoin suffit pour certifier qu’il y a eu tromperie. A Korčula, la commune engage également un fonction-naire pour enquêter chaque mois sur la validité des mesures, des balances, des plateaux de pesée et de tous les autres poids, et tout transgresseur doit payer 2 hyperpères par poids à chaque fois74.
A Dubrovnik, des chanceliers sont spécialement attachés au contrôle des poids et mesures, ils doivent prêter serment devant le comte qu’ils vérifieront toute fraude et qu’ils imposeront une amende d’un hyperpère à tout fraudeur, ce dernier perdant par la même occasion ses outils de mesure. Leur service s’effectue pendant un an – jusqu’à la Saint-Michel, en septembre. D’autres per-sonnes sont affectées au contrôle de la provenance du vin sur chaque navire, et d’autres au contrôle de tout le vin qui se trouve en ville. Leurs fonctions durent aussi un an jusqu’à la Saint-Michel, après avoir prêté serment auprès du comte. Le serment est le même pour ceux qui contrôlent le pain en ville. A l’inverse, c’est aux vendeurs de faire la démarche pour l’examen des poids de certaines de leurs marchandises : que tous ceux qui veulent vendre ou acheter de l’or, de l’argent, de la cire ou toute autre marchandise pondérable au poids de gros ou au poids subtil, doivent d’abord faire vérifier leurs poids auprès de la commune; personne ne peut vendre, ni posséder dans sa maison ou dans son magasin des poids sans détenir la bulle de Saint-Blaise, sous peine de 5 hyperpères pour cha-que poids75.
Le système de répression et de pénalités est plus sévère que pour les au-tres infractions. Ainsi à Split, quiconque possède de faux poids et mesures et s’en sert, paie une amende de 100 livres. A Skradin et à Trogir, quiconque pèse avec des fausses mesures doit compenser les pertes et payer 5 livres d’amende. A Hvar, celui qui trompe sur les mesures paye 10 livres par fausse mesure ; si quelqu’un trompe sur la mesure du vin ou rajoute de l’eau, l’amende est de 50 sous ; si quelqu’un trompe sur la taille du moule du fromage, il est pénalisé de 50 sous76.
74 Statut Hvar, livre I § 5, pp. 91-92; Statut Korčula, livre II § 103, p. 65; Statut Skradin, § 113, p. 221; Statut Šibenik, livre I § 32, 34, pp. 50, 51.
75 Statut Dubrovnik, livre II § 11, pp. 35-36; I § 18, 19, pp. 42, 51; § 21, p. 44; livre VIII, § 77, pp. 214-215.
76 Statut Hvar, livre III § 35, p. 137; Statut Skradin, § 65, p. 208; Statut Split, livre IV § 54, pp. 653-655; Statut Trogir, livre II § 33, p. 66.
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Outre les poids et mesures, la ville contrôle également de très près l’usage de la bonne monnaie. C’est dans les cas de détention ou de l’usage des fausses monnaies que les villes se montrent les plus rigoureuses. A Split, par exemple, toute personne qui frappe de la fausse monnaie perd la main droite et elle est exilée de la ville; quiconque paie sciemment avec de la fausse monnaie, qui paraît en or ou en argent, pour une valeur supérieure à 10 livres, est pénalisé de 100 livres. A Trogir, les falsificateurs doivent d’abord payer 30 livres d’amende, puis ils sont fouettés, marqués au fer et exilés – à chaque fois qu’ils oseraient revenir en ville et qu’ils se font prendre, ils sont à nouveau fouettés, marqués et exilés. A Dubrovnik, tous ceux qui détiennent de la fausse monnaie doivent payer 100 hyperpères d’amende et perdent également la main droite77.
Selon quels principes et justificatifs les Conseils communaux se fondent-ils pour déterminer les prix et les poids et mesures ? Tel est le dernier volet qu’il nous importe en dernier lieu d’éclairer. Deux Statuts révèlent quelques pistes intéressantes.
Tout d’abord, à Korčula, les Conseillers avancent l’opinion suivante : «Du fait que dans la ville et sur l’île tout se vend sans l’emploi d’aucune mesure communale, au détriment et à la charge de l’acheteur, car il est souvent pesé sans les bons poids (…), il est donc important de s’en occuper, pour le bien être du seul particulier et en raison du retrait pour la paye du comte. De sorte qu’il faut que soit réalisé un poids sur toute l’île de Korčula, et qu’à l’avenir tout ce qui est vendu doit être mesuré avec le poids communal; il faut payer à la com-mune 1 sou par mesure de 100»78. Il y est question de deux choses : contribuer au bien être de la communauté, grâce à une unification du système de mesure, et faciliter le mode de paiement du comte – et des autres fonctionnaires – à travers le prélèvement des taxes urbaines.
L’autre information vient du Statut de Šibenik. Dans cette ville, le comte et sa Cour décident avec le Conseil des quinze, entre Noël et le premier jour du Carême, puis de Pâques à tout le mois de mai, de l’augmentation des prix de la viande : «de manière à ce que cela nous semble juste», tout en précisant que le prix de la viande de veau est fixée à 4 deniers la livre «selon l’ancienne tradi-tion»79. Avisant que, dans certains aspects la pratique de certains prix, par le passé, s’est révélée acceptable, le Conseil reprend les tarifs de quelques denrées – les plus courantes – et impose ses propres tarifs et son système métrique selon des principes qui lui semblent justes.
Ainsi dans deux Statuts au moins, le fondement d’une mise en place d’un système uniforme de tarification – et de mesures métriques – est l’idée de justice et d’équité pour l’ensemble de la communauté urbaine, des particuliers aux membres du gouvernement. Or c’est précisément à partir du XIIIe siècle que germent les idées de «juste prix» et de «juste poids». Selon un homme de loi
77 Statut Dubrovnik, livre VIII, § 55, p. 196; Statut Split, livre IV § 54, pp. 653-655; Statut Trogir, livre II, § 27, p. 64.
78 Statut Korčula, livre II § 153, p. 85-86.
79 Statut Šibenik, livre I § 41, p. 53; § 39, p. 52.
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romain : «Le prix est fixé selon l’estimation d’une chose, tandis qu’un poids se-lon l’estimation de l’usage de la chose»80. Trois méthodes permettent de parve-nir à un juste prix : le prix «naturel» venant de l’usage quotidien au marché, le prix «légal», fixé par les autorités publiques, et le prix «librement négocié», en-tre deux partenaires d’affaires. Le plus souvent le prix «légal» se réfère à la pra-tique du prix «naturel», ce qui est le cas dans l’exemple de Šibenik, au moins sous un aspect. Cette idée de justice trouve déjà ses fondements dans les ré-flexions d’Aristote (l’Ethique de Nicomaque), pour être ensuite reprise par les textes de loi et ecclésiastique du IXe siècle, et enfin par des hommes de loi ro-mains du XIIIe siècle. A partir de cette période, plusieurs écoles de pensée ar-gumentent soit en faveur du prix «naturel», soit du prix «légal». Dans la prati-que, lorsque l’Etat, ou plutôt l’autorité publique est forte, le prix «légal» est im-posé en priorité. Cette logique peut également s’appliquer à la mise en place du «juste poids»81. Ce mouvement législatif de mise en place de normes de prix et de poids ira croissant dans tout l’espace européen à partir de la peste de 1348, qui a montré combien la communauté pouvait être fragile82. En Dalmatie, cette logique commence beaucoup plus tôt, en raison de l’organisation déjà bien structurée de la population urbaine et de la vie politique de ses centres urbains.
* * *
L’analyse des textes de loi de neuf communautés urbaines de la côte adriatique orientale, en Dalmatie, apporte une contribution importante pour la compréhension de phénomènes économiques multiformes. Ainsi, dès la fin du XIIIe siècle, les communautés dalmates sont clairement structurées, sinon strati-fiées, avec des organes législatifs soucieux de régir la vie de leur population. Dans cet espace dalmate, par la structuration et le contenu de son Statut, Zadar apparaît, au début du XIVe siècle, comme la cité la plus développée, politique-ment et économiquement. D’autre part, la vie quotidienne sur les places de mar-chés est la résultante d’une imbrication entre la pratique coutumière, ou encore, la «tradition», avec l’émergence d’un principe légal, imposé par les organes du pouvoir publique. Les Conseils se nourrissent des usages locaux pour légiférer, selon des principes de justice et d’équité, la pratique future de l’économie de marché. Leur but est à la fois de satisfaire et de protéger les besoins communs de leurs populations, ainsi que de s’assurer des revenus fiscaux pour la bonne ges-tion de leurs cités. Hormis l’imposition d’un système unifié et homogène de ta-rifs et de poids et mesures, ces Conseils n’interfèrent que peu, en réalité, sur la vie quotidienne des villes dalmates.
80 Diana Wood, Medieval economic thought, Cambridge 2002, p. 132.
81 En Angleterre par exemple, c’est avec la rédaction de l’Ordinance of Labourers (1349) et du Statut (1351) – soit près d’un siècle plus tard qu’en Dalmatie – que les poids sont fixés par l’Etat; D. Wood, Medieval …, op. cit., p. 145.
82 D. Wood, Medieval …, op. cit., pp. 132-138, 143-146.
51
En cela, les premières rédactions des Statuts dalmates se distinguent forte-ment de leurs «Réformes», imposées à partir du XVe siècle par la République de Venise, au moment de sa prise de pouvoir sur les territoires dalmates (1409 à Zadar, 1421 à Split, etc.). Ces Réformes n’ont plus pour fondement le «bien être» de la communauté, mais la satisfaction des besoins propres à la Seigneurie. Elle imposera de nouvelles règles économiques et commerciales qui lèseront fortement certaines communes – en premier lieu Zadar, à propos de la produc-tion de sel de Pag. Toutefois, Venise interviendra peu, voire reprendra les clau-ses antérieures, sur la vie artisanale et l’activité quotidienne des marchés ur-bains. Ainsi, la vie au jour le jour des places de marché dalmates semble être demeurée immuable depuis le XIIIe siècle, quel que soit le pouvoir en place, si ce n’est, à partir du XVIe siècle, l’apparition de petits commerçants musulmans, sujets de l’Empire ottoman, qui donne une coloration plus «exotique» aux acti-vités quotidiennes.
52
M E D I U M A E V U M
Q U O T I D I A N U M
48
KREMS 2003
HERAUSGEGEBEN
VON GERHARD JARITZ
GEDRUCKT MIT UNTERSTÜTZUNG DER KULTURABTEILUNG
DES AMTES DER NIEDERÖSTERREICHISCHEN LANDESREGIERUNG
Titelgraphik: Stephan J. Tramèr
Herausgeber: Medium Aevum Quotidianum. Gesellschaft zur Erforschung der materiellen Kultur des Mittelalters, Körnermarkt 13, 3500 Krems, Österreich. Für den Inhalt verantwortlich zeichnen die Autoren, ohne deren ausdrückliche Zustimmung jeglicher Nachdruck, auch in Auszügen, nicht gestattet ist. – Druck: Grafisches Zentrum an der Technischen Universität Wien, Wiedner Hauptstraße 8-10, 1040 Wien.
Inhaltsverzeichnis
The Public (in) Urban Space, II
Papers from the Daily Life-Strand
at the International Medieval Congress (Leeds, July 2003)
Edited by Judith Rasson and Gerhard Jaritz
Juhan Kreem, Between Public and Secret:
Town Archives and Historiographic Notes …………..………………… 5
Judit Majorossy. Archives of the Dead:
Administration of Last Wills in Medieval Hungarian Towns ……….. 13
Ingrid Matschinegg, Student Communities and Urban Authorities ………….. 29
Florence Fabijanec, L’influence des pouvoirs publics sur le commerce
et sur la vie des marchés urbains en Dalmatie (XIIIe-XIVe siècles) …… 37
Gordan Ravančić, Alcohol in Public Space:
The Example of Medieval Dubrovnik …………………………………. 53
Tom Pettitt, Moving Encounters: Choreographing Stage and Spectators
in Urban Theatre and Pageantry ……………………………………….. 63
Rezensionen ………………………………………………………………….. 94

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